Rémunérations

Les femmes doivent mieux négocier

Publié le 25 novembre 2016 à 11h03    Mis à jour le 25 novembre 2016 à 17h14

Astrid Gruyelle

Pointée du doigt il y a quelques années comme étant le pire secteur en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, la finance rattrape peu à peu son retard. Toutefois, les progrès se remarquent davantage dans les banques et les fonds d’investissement qu’au sein des directions financières d’entreprise.

Des voix de femmes commencent à s’élever contre les inégalités salariales dans le monde de la finance. Le 7 novembre dernier, certaines comme Jacqueline Faisant, présidente de BNP Paribas REIM France, ont d’ailleurs déclaré leur intention de faire grève à l’appel des Glorieuses. Ce collectif a incité toutes les femmes à cesser leur travail ce jour-là à 16h34, heure à partir de laquelle il peut être considéré comme effectué bénévolement jusqu’à la fin de l’année au regard de leur différence de rémunération par rapport aux hommes. Il est vrai que ce type de revendications a de quoi être particulièrement fort dans le secteur financier qui fait figure de mauvais élève. Selon la dernière étude de la Dares, les établissements financiers présentaient le plus d’inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes en 2013. Ces dernières percevaient 36,6 % de moins que les hommes, contre une moyenne nationale de 19 %.

Toutefois, les chasseurs de têtes exerçant auprès de banques, de fonds d’investissement, ou encore de directions financières d’entreprises, constatent que cet écart a cessé de se creuser.«La différence de salaires entre les femmes et les hommes a tendance à se réduire, en particulier au sein des banques d’affaires et des fonds d’investissement, ainsi que, dans une moindre mesure, au sein des directions financières d’entreprise, relève Diane Segalen, fondatrice du cabinet de recrutement éponyme. Néanmoins, les femmes perçoivent encore une rémunération inférieure d’environ 10 % pour la part fixe et de 20 % pour la part variable par rapport aux hommes. Leurs avantages en nature sont également souvent moins intéressants, avec par exemple des voitures de fonction plus petites et moins récentes que celles des hommes.»

Des inégalités accrues au cours de la carrière

Cette moyenne cache néanmoins des inégalités qui ont tendance à se creuser au fil des années. «Au départ, les grilles de rémunération sont généralement équivalentes, surtout au sein des banques, des fonds d’investissement et des autres établissements financiers», note Sophie Landale, principal chez Heidrick & Struggles. Souvent, ces employeurs mettent en effet en place des critères objectifs de fixation des niveaux de rémunération.«Dans les banques d’investissement, les salaires des profils juniors sont par exemple attribués en fonction de l’école dont ils sont issus et sans distinction de sexe», appuie Odile Couvert, fondatrice dirigeante d’Amadeo Executive Search. Mais par la suite, les différences entre les hommes et les femmes se renforcent. Celles-ci sont particulièrement marquées dans les fonctions pour lesquelles les rémunérations sont très élevées. «Par exemple, dans les métiers liés aux fusions-acquisitions exercés au sein des banques, la part variable a une place très importante dans la rémunération globale, souligne Odile Couvert. Or, souvent, les bonus des femmes progressent moins vite que ceux des hommes, ce qui explique un certain écart de salaire sur la durée.»

Cette tendance s’explique d’abord par la posture des femmes. En effet, celles-ci n’osent pas toujours faire part de leurs revendications salariales et sont donc moins rompues à l’exercice de négociation que les hommes.«Ces derniers ont tendance à solliciter plus régulièrement des augmentations de salaires, relève Sophie Landale. Ils ont bien souvent des attentes plus élevées que les femmes.» En outre, celles-ci ne sollicitent pas assez de promotions et s’autocensurent parfois pour privilégier ainsi leur vie privée. «Elles n’acceptent pas toujours les voyages répétés, ni les contraintes horaires, note Odile Couvert. Or, accéder à des postes d’associés en banque d’affaires implique de mettre entre parenthèses sa vie privée. C’est pourquoi les écarts n’existent pas en début de carrière, mais se creusent à partir de trente-cinq ans.» A cet âge, certaines femmes ont déjà pris un ou plusieurs congés maternité. «Ceux-ci peuvent les conduire à rester plus longtemps au même poste et au sein de la même structure, observe Sophie Landale. Ces interruptions leur font également manquer des opportunités de promotion, alors que dans le même temps les hommes ne marquent pas quant à eux de pauses, ce qui leur permet de prendre de plus en plus de responsabilités.» Au fil des années, la différence de salaires peut alors devenir significative. «A partir de la trentaine, la rémunération des femmes ayant pris un ou plusieurs congés maternité peut être inférieure de plusieurs milliers d’euros par an à celle d’un homme qui aurait mené une carrière continue, et cette différence peut atteindre des montants importants en fin de carrière», estime Odile Couvert.

Toutefois, les employeurs ne sont pas toujours étrangers aux inégalités salariales. Le management dans les établissements financiers reste dominé par des hommes dont certains n’encouragent pas la progression des femmes. De plus, de mauvaises habitudes persistent. «Récemment, j’ai eu connaissance d’un cas dans un fonds d’investissement où un employeur versait le même bonus à un homme et à une femme alors que cette dernière était reconnue plus performante», souligne Diane Segalen. Les pratiques sont également critiquables dans de nombreuses entreprises. «Au sein des directions financières, les hommes disposent généralement dès le départ de salaires plus élevés que les femmes, alerte Diane Segalen. Les efforts pour plus d’égalité salariale restent encore insuffisants.»

Vers plus de transparence

Certains employeurs, essentiellement des banques et des fonds d’investissement, commencent toutefois à revoir leur politique de rémunération. «La finance étant critiquée depuis quelques années à cause de ses inégalités salariales, la lutte contre ces différences est devenue un véritable enjeu pour l’ensemble du secteur, estime Sophie Landale. Avec l’exigence d’une communication de plus en plus transparente, les sociétés sont contraintes de modifier leurs pratiques, autrement, elles encourent un risque de réputation. Toutefois, si elles communiquent désormais sur le ratio de femmes dans leurs équipes, elles restent encore peu disertes sur les écarts de salaires.»La réduction des inégalités proviendra peut-être plutôt des changements qui s’opèrent dans les mentalités.«Récemment, des femmes, essentiellement à des postes de managing director, se sont mises à négocier davantage leur salaire», observe Diane Segalen. Elles pourraient ainsi devenir tout aussi exigeantes que les hommes en termes de rémunération.

A travail égal, salaire égal

  • Même si les inégalités salariales persistent, la législation est pourtant claire sur ce point. La fixation des rémunérations est en effet encadrée par le Code du travail. «La règle établit qu’à travail égal doit correspondre un salaire égal, indique Fabienne Haas, associée au sein du cabinet d’avocats August & Debouzy. Ensuite, des accords d’entreprise et des chartes d’engagement peuvent réitérer ce principe au sein des sociétés.»
  • Dans le secteur bancaire, certaines initiatives vont déjà dans le sens d’une plus forte égalité. «Un accord datant de 2013 est venu apporter des mesures spécifiquement destinées à réduire les inégalités de salaires entre hommes et femmes au sein des banques, note Fabienne Haas. Il impose notamment de mettre en place un dispositif de contrôle de la répartition des augmentations individuelles.»

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