Rémunération

Les inégalités hommes/femmes persistent dans la finance

Publié le 28 novembre 2014 à 15h32    Mis à jour le 28 novembre 2014 à 19h39

Pierre Havez

L’influence positive de la mixité sur la performance des entreprises a été démontrée par plusieurs études. Mais alors que l’égalité hommes/femmes s’est imposée sur le terrain des idées, dans les faits, des écarts subsistent encore au détriment de ces dernières, tant en termes de salaires que de perspectives d’évolution.

La mixité est devenue un levier de rentabilité pour les entreprises. Selon une étude mondiale publiée fin septembre par Credit Suisse, les groupes dont la capitalisation dépasse 10 milliards de dollars, et qui comptent au moins une femme au sein de leur conseil d’administration ont en effet vu leur cours de Bourse et leurs résultats dépasser respectivement de 5 % et de 3 % les performances des entreprises dont les conseils étaient exclusivement composés d’hommes.

Ces impacts positifs ont fait évoluer favorablement la perception des entreprises sur les profils féminins. Une tendance à laquelle n’échappent pas les directions financières. En effet, les demandes discriminantes de leur part en faveur de candidats masculins sont devenues extrêmement rares, de l’avis unanime des recruteurs. «Ces requêtes s’expliquent encore parfois par des considérations de management : la crainte qu’une femme rencontre des difficultés à diriger une équipe d’hommes ou la difficulté personnelle du supérieur hiérarchique à communiquer avec une personne du sexe opposé, par exemple, observe Bruno Fadda, directeur chez Robert Half France.Mais, le plus souvent, elles résultent d’une simple volonté de rééquilibrage entre les effectifs masculins et féminins au sein d’une même d’équipe.»

A l’exception de ces cas de figure punis par la loi (voir encadré), les directions financières ne font donc plus de liens entre le sexe d’un candidat et la maîtrise de qualifications particulières. «La recherche d’un cadre financier est aujourd’hui exclusivement fondée sur le besoin de compétences spécifiques, d’expériences professionnelles pertinentes, et de qualités personnelles clefs, confirme Aude Boudaud, consultant senior au sein de la division finance chez Robert Walters.Elles ne tiennent jamais compte du genre.» La finance fait même partie des directions les plus féminisées de l’entreprise en France, avec près de 60 % de femmes, selon des données récoltées auprès de 7 500 entreprises de toutes tailles et issues de tous secteurs en 2014, et compilées par Deloitte, juste derrière les ressources humaines ou les services généraux (environ 80 %) et la communication (75 %).

Certains métiers et secteurs d’activité ne favorisent pas la mixité

Une mixité qui n’empêche pourtant pas certaines inégalités de perdurer entre les collaborateurs masculins et féminins. D’abord, des différences subsistent dans l’exercice de certains métiers de la finance. Si la parité est globalement respectée sur la plupart des fonctions financières, comme la comptabilité, la trésorerie ou le contrôle de gestion, d’autres postes attirent encore peu de femmes.«L’audit et le contrôle interne intéressent plus naturellement les candidats masculins, pointe Olivier Brzakowski, partner chez Michael Page. Le rythme de travail, comprenant de fréquentes missions, parfois de plusieurs semaines consécutives sur site ou à l’étranger, correspond en effet peu aux priorités des collaboratrices, qui mettent souvent en avant la compatibilité entre vie professionnelle et vie familiale.» Ces disparités peuvent également être renforcées dans certains secteurs d’activité particuliers. «Les femmes sont ainsi naturellement très présentes dans les services, mais beaucoup moins dans l’industrie lourde», constate Aude Boudaud.

Les inégalités salariales se resserrent

Autre discrimination de taille, les collaboratrices féminines de la direction financière demeurent dans l’ensemble moins bien rémunérées que leurs homologues masculins. Par exemple, le salaire moyen d’un contrôleur de gestion s’élève à 62 400 euros annuels pour un homme, contre 56 200 euros pour une femme, selon le baromètre 2014 Michael Page-DFCG-Option Finance. Celui d’un directeur administratif et financier masculin atteint 98 300 euros, contre 92 100 euros lorsqu’il s’agit d’une femme.

Ces écarts s’expliquent notamment par des prétentions salariales supérieures de la part des hommes. Une étude sur la mobilité des cadres réalisée en 2014 par Deloitte montre ainsi qu’à niveau de salaire et de responsabilité identique, les hommes sont 37 % à se déclarer insatisfaits de leurs rémunérations, contre seulement 27 % des femmes. «Cette propension plus importante des hommes à négocier est, en partie, la conséquence d’une certaine pression sociale, qui les pousse à vouloir gagner davantage que leurs femmes», observe Philippe Burger, associé, responsable capital humain chez Deloitte. Ces exigences se matérialisent par exemple par le fait que trois quarts des directeurs financiers masculins bénéficient d’une part de rémunération variable, contre seulement deux tiers des femmes au même poste, selon le baromètre 2014 Michael Page-DFCG-Option Finance. En outre, les bonus de ces dernières sont davantage liés à des objectifs individuels (80 % contre 64 % en moyenne) et moins dépendants de critères quantitatifs (7 % contre 25 % en moyenne), ce qui rend leur réalisation plus aléatoire. «Les différences de salaires réellement inexplicables, c’est-à-dire à niveau de compétence équivalent, s’élèvent en réalité à 2,6 % pour les non-cadres, 4,5 % pour les cadres, et 7,1 % pour les cadres supérieurs», précise Philippe Burger.

Cependant, ces différences sont en train de s’estomper. Les politiques de rémunérations des entreprises tendent en effet aujourd’hui à gagner en cohérence. «Ces divergences se resserrent de 0,5 à 1 point par an, indique Philippe Burger. De nombreuses entreprises mettent pour cela en place des budgets spécifiques, pouvant aller de 0,2 % à 0,3 % de la masse salariale

Le «plafond de verre» freine la progression des femmes

Finalement, les plus fortes inégalités entre homme et femmes résultent du «plafond de verre», que subissent toujours un certain nombre de collaboratrices au sein des entreprises. Ainsi, bien qu’elles soient globalement majoritaires dans les fonctions financières, les femmes restent sous-représentées aux plus hautes responsabilités. Selon une étude réalisée en 2014 par l’association Financi’Elles et Deloitte au sein des secteurs de la banque, finance et assurance, la proportion des femmes dans l’encadrement diminue en effet à chaque échelon de l’entreprise pour atteindre seulement 5 % au niveau de la direction générale… Une situation qui masque parfois une certaine forme d’autocensure de la part des femmes elles-mêmes. «De fait, sur les postes de très haut niveau, nous recevons statistiquement une majorité de candidatures masculines, observe Aude Boudaud. Il n’est donc pas impossible que les femmes ressentent parfois un déficit de confiance ou d’estime de soi devant ce type de responsabilités».

La mixité gagne les niveaux intermédiaires

Pour autant, les obstacles internes à l’avancement des femmes sont en train de reculer progressivement. En effet, l’étude de Financi’Elles et Deloitte montre que dans la banque et l’assurance, les femmes sont en revanche beaucoup plus présentes dans les échelons intermédiaires. Ainsi, alors que la parité est globalement respectée au niveau hiérarchique N-5 (49 % de femmes), ce pourcentage s’élève encore à 43 % aux niveaux N-3 à N-4, et à 39 % aux niveaux N-1 et N-2. «Ces avancées pourraient être plus rapides. Néanmoins, les postes de management intermédiaire sont de plus en plus équilibrés, assure Olivier Brzakowski. Il est ainsi devenu courant de voir des femmes accéder à des postes de direction financière – même dans des secteurs relativement masculins comme l’automobile –, notamment parce que ces niveaux de responsabilité interviennent à des moments de carrière où il est plus facile de concilier vie professionnelle et personnelle».

Un progrès notamment favorisé par une plus grande flexibilité des horaires de travail, un meilleur cadrage des horaires de réunion, et un usage croissant des outils mobiles et du télétravail dans beaucoup d’entreprises. «De plus, les problématiques liées aux congés maternité, par exemple, constituent de moins en moins un frein à l’avancement des femmes, car les entreprises ont appris à les intégrer», assure Aude Boudaud.

De bon augure pour les femmes en termes de perspectives, car la direction financière ferait même figure d’accélérateur de carrière. Selon une étude de Robert Half Belgique publiée en mars dernier, une très large majorité des directeurs financiers interrogés jugent en effet qu’une expérience préalable en finance d’entreprise augmente les chances de nomination de femmes à la direction générale (91 %) ou au conseil d’administration (93 %) d’une entreprise. Un premier pas décisif pour imprimer ensuite le changement à l’ensemble de l’organisation.

La diversité, une source de création de richesse difficile à mettre en place

  • Diverses études prouvent que la diversité est source de création de richesses au sein des entreprises. L’une d’entre elles, réalisée sur les entreprises du CAC40 entre 2002 et 2006, montre en particulier que les groupes ayant un taux de féminisation de leur encadrement supérieur à 35 % présentent des performances supérieures aux autres en matière de croissance, de rentabilité, de productivité du travail ou encore de création d’emplois. «Nos analyses font également apparaître une corrélation entre la confiance et l’engagement des salariés, et la performance de l’entreprise, explique Philippe Burger, de Deloitte. Une meilleure place des femmes dans l’organisation augmente ainsi notamment la confiance des collaborateurs quant à leurs perspectives de développement de carrière.»

  • Cependant, la simple promotion de femmes à des postes de direction ne suffit pas toujours à créer de véritable mixité. «Les femmes qui ressentent que leur nomination résulte de la seule application de quotas présentent souvent des comportements de mimétisme, ajoute Philippe Burger. Elles auront ainsi tendance à reproduire des caractéristiques masculines et à répéter les mêmes schémas de recrutement, plutôt qu’à favoriser la représentativité des femmes dans l’organisation».

  • Si la diversité doit être montrée en exemple aux plus hauts niveaux hiérarchiques, y compris au sein du conseil d’administration de l’entreprise, elle doit également s’étendre à tous les niveaux de l’organisation. «Mais étant donné l’écart historique de représentation des femmes dans l’encadrement des entreprises, ces changements sont longs à mettre en œuvre, explique Philippe Burger. Ils impliquent en effet une détection des talents en amont, ainsi que d’importants changements culturels internes».

Les inégalités hommes - femmes dans le secteur de la finance

  • Dans les secteurs de la banque, finance et assurance, l’encadrement est composé à 49 % de femmes et à 51 % d’hommes aux niveaux hiérarchiques N-5 et en deçà, alors qu’au niveau N, cette répartition n’est plus que de 5 % de femmes pour 95 % d’hommes !

  • Les hommes sont 58 % à se déclarer confiants dans leur avenir professionnel, tandis que les femmes ne sont que 44 % à croire en leurs perspectives d’évolution de carrière.

  • Si 87 % des hommes ont le sentiment d’être traités à l’égal des femmes, seules 57 % des femmes partagent cet avis.

Source : résultats de la consultation 2014 sur la confiance des cadres au sein du secteur de la banque, finance et assurance (Financi’Elles - Deloitte).

Les discriminations à l’embauche lourdement sanctionnées par la loi

Quelle que soit leur motivation, les discriminations au moment d’une embauche sont punies par le code du travail et le code pénal d’une peine d’emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 euros. Les cabinets de recrutement rejettent donc les critères fondés sur le sexe lorsqu’ils sont exprimés par l’employeur. «Dès leur intégration, tous nos consultants sont formés à répondre à d’éventuelles demandes discriminantes, explique Bruno Fadda, directeur chez Robert Half France.Si cela arrive, ils doivent expliquer au client que des critères, comme l’âge et le sexe, ne seront pas retenus dans la sélection du candidat. Et si l’entreprise persiste dans sa demande, nous refusons tout simplement la mission.»

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