Ressources humaines

Les recrutements reprennent dans l’audit

Publié le 30 octobre 2015 à 15h47    Mis à jour le 16 mars 2017 à 17h33

Olivia Dufour

Les Big Four ont annoncé ces dernières semaines leurs prévisions de recrutement pour l’exercice 2015-2016. Celles-ci retrouvent les niveaux d’avant la crise. Mais les candidats recherchés ne sont plus tout à fait les mêmes.

Chaque année, les poids lourds de l’audit et du conseil reçoivent chacun 60 000 CV. Sur la période 2015-2016, ils vont embaucher à eux quatre en France 6 600 nouveaux collaborateurs. Un peu plus d’un candidat sur dix aura donc la chance de décrocher le poste convoité. Globalement, la tendance est en légère hausse par rapport à 2014. PwC annonce 300 recrutements supplémentaires par rapport à 2014-2015, KPMG 250, Deloitte 200. Est-ce le signe d’une sortie de crise ? «L’année dernière, nous avons réalisé 1 350 embauches, cette année nous serons certainement au-dessus. Nous restons toujours prudents en début d’exercice. Depuis 2014, nous avons retrouvé nos niveaux d’embauche d’avant 2010», confie Sylvie Bernard-Curie, associée et DRH Talents chez KPMG. Sami Rahal, associé directeur des ressources humaines chez Deloitte, estime même que les recrutements sont redevenus supérieurs aux niveaux de 2006-2007, «mais il est vrai que nous réalisons aujourd’hui 20 % de notre chiffre d’affaires sur des métiers qui n’existaient pas à l’époque», précise-t-il.

Retour à la normale

Le turnover dans ces cabinets est de 20 %. Les Big n’ont donc jamais cessé de recruter durant la crise pour remplacer les départs naturels. Mais ils ont réduit la voilure. Par définition, lorsque l’activité des entreprises se contracte, celle des réseaux en subit nécessairement le contrecoup. La baisse d’activité entraîne la baisse des embauches. Durant la crise, les cabinets ont été confrontés à un autre problème qui a également pesé sur les embauches : la baisse du turnover. Comme il y avait peu d’offres d’emploi sur le marché en provenance des entreprises et des banques d’affaires, les collaborateurs avaient tendance à rester plus longtemps à leur poste. Par temps troublés en effet, ces firmes sont des refuges. Le problème, c’est que cette situation modifie la pyramide des âges et, à travers elle, le modèle économique des Big. Au point que certains cabinets ont plus ou moins poussé leurs collaborateurs vers la sortie sans le dire. EY a décidé pour sa part de trancher dans le vif en organisant un plan de départs volontaires de 300 personnes en avril 2009. A l’époque, la nouvelle avait fait grand bruit car c’était une première. «Nous avons choisi en effet de nous adapter très vite à la crise pour éviter les situations malsaines, confie Sylvie Magnen, associée responsable de la stratégie RH d’EY. Au final, nous estimons que nous avons adopté la bonne stratégie.»

Les ingénieurs ont la cote

Toujours est-il que les embauches repartent à la hausse. Les premiers à en bénéficier sont les jeunes diplômés. Sur les 6 600 recrutements annoncés par les Big, ils représentent 2 960 postes, suivis des stagiaires – 2 080 – et des expérimentés – 1 550. Le salaire fixe pour la première année est compris entre 33 000 et 42 000 euros. Il faut dire que les jeunes diplômés constituent l’essence même de ces structures. «La moyenne d’âge est de 30 ans chez nous : nous sommes et restons des tremplins de carrière, les jeunes diplômés rejoignant souvent nos clients au bout de trois, quatre, cinq ans», analyse Virginie Groussard, directrice du recrutement chez PwC. Les étudiants de grandes écoles de commerce représentent toujours le gros des effectifs, environ 50 % des recrutements, mais, et c’est une tendance de fond, la part des ingénieurs augmente. Les universitaires, en revanche, restent minoritaires. «Le recrutement d’ingénieurs fait partie de notre ADN, confie Sylvie Magnen. Il y a trente ans, déjà, nous avions compris qu’ils apportaient un regard différent. Ils représentaient 20 % de nos jeunes diplômés ; aujourd’hui, ils sont 30 %.» Petite nouveauté, ces cabinets commencent à s’intéresser à des profils de bac +2 ou +3 qu’ils forment eux-mêmes jusqu’au niveau bac +5 et embauchent dans la foulée. «Nous recrutons depuis deux ans des bac +2 ou +3, une centaine, en alternance ou directement en CDI, ce sont des profils étudiant la comptabilité à l’université (licences) ou en BTS/IUT, confirme Virginie Groussard. Ils viennent renforcer les équipes d’audit. Les diplômés de grandes écoles sont plus attirés par le conseil.» C’est en somme une nouvelle filière qui permet aux géants du conseil d’intégrer des collaborateurs formés sur mesure. Les Big s’y mettent tous plus ou moins. «En Grande-Bretagne, EY recrute au niveau bac – et, par ailleurs, des profils étonnants, comme littérature ou histoire –, et il les forme, précise Sylvie Magnen. Nous, nous continuons à briguer les bac +5, mais nous commençons aussi à aller voir du côté des bac +2/3, qu’on accompagne sur quatre ans. Ils reviennent tous les ans, construisent un vrai parcours professionnel et une relation client, c’est de la formation sur mesure.»

Révolution technologique

Il faut noter néanmoins la part grandissante des profils expérimentés dans les recrutements. Cela tient à plusieurs facteurs. Depuis 2013-2014, ces structures connaissent de nouveau les niveaux de turnover d’avant-crise. «Les cabinets sont un vivier pour les entreprises qui, depuis deux ans, puisent à nouveau parmi nos professionnels affichant trois à six ans d’expérience. Ils sont fortement diplômés, bien formés, donc parfaitement employables», explique Sylvie Bernard-Curie. Résultat, les cabinets ont besoin de reconstituer leur management. Au-delà de cette ponction naturelle, l’augmentation de la proportion des expérimentés a une autre explication : «Nos métiers changent, confie Sylvie Magnen. Les traditionnels, comme l’audit, se transforment en profondeur sous l’effet de la technologie, tandis que de nouveaux métiers apparaissent.»C’est l’une des transformations profondes qui s’est opérée ces dernières années : l’émergence de nouvelles façons d’exercer les métiers historiques, comme par exemple l’audit, mais aussi et surtout de nouveaux métiers impose de partir en quête de profils très pointus et de haut niveau.«Nous sommes à la recherche de spécialistes de data sécurité, de cybersécurité, de data analytics et plus généralement de profils technologiques et développement durable, confie Sami Rahal. Des domaines où nous enregistrons une croissance de 20 à 30 % chaque année. Sur les profils les plus pointus, nous sommes en concurrence avec des acteurs comme Google.»Sans ces domaines, c’est une véritable guerre du recrutement qui s’organise.«Les auditeurs expérimentés, les consultants en organisation, notamment en transformation digitale, les profils à double compétence audit et système d’informations sont très rares et donc rapidement embauchés», confirme Virginie Groussard.

La génération Y s’impose

Outre le poids grandissant des ingénieurs et le virage amorcé vers les nouvelles technologies dans toutes les branches de métier, les effectifs des Big Four sont également soumis à une forte influence générationnelle.«La génération Y veut vivre des expériences plutôt que raisonner en employabilité, confie Sylvie Magnen. Cela ne nous empêche pas de conserver une pyramide et une hiérarchie, mais nous devons faire preuve d’agilité et proposer des parcours à la carte.» Le constat est le même chez tous les cabinets : la génération Y impose des changements culturels.Dès leur embauche, ils posent la question de leur rôle et de leur avenir dans le réseau, sont soucieux du sens de leur engagement, attendent des missions variées et intéressantes. La mobilité, dans tous les sens du terme, est leur credo. Alors, les réseaux s’adaptent. «Nous introduisons davantage de mobilité au sein des métiers, entre métiers mais aussi d’un point de vue géographique», explique Sami Rahal. La bonne nouvelle, c’est que le fameux présentiel, autrement dit l’obligation d’être présent au bureau indépendamment du travail effectivement fourni, est en train de céder le pas sous l’effet de la nouvelle culture qu’impose la génération Y. La notion même de hiérarchie évolue vers des relations teintées d’horizontalité. «Nous avons mis en place il y a un an un système d’upward feed-back qui permet à tous les collaborateurs d’évaluer leurs managers, ainsi que les associés. Nous avons aussi organisé un programme Graduate, dit “Parcours croisés”, qui permet à certains collaborateurs d’exercer trois métiers en deux ans», raconte Virginie Groussard. En d’autres termes, grâce à leur capacité d’adaptation, les grands réseaux ont traversé la crise sans dommages et amorcé une révolution technologique et culturelle profonde.

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