Organisation

Monter une direction financière après un spin off

Publié le 24 avril 2015 à 16h42    Mis à jour le 24 avril 2015 à 19h22

Guillaume Clément

Lorsqu’une filiale est vendue par un groupe, sa fonction finance connaît d’importants changements, à la fois humains et techniques. Pour mener à bien cette transformation, le directeur financier doit donner un cap, mettre en place des outils spécifiques et établir de nouvelles relations avec les partenaires de l’entreprise.

«Monter la direction financière d’une filiale qui se retire d’un groupe est l’un des chantiers les plus éprouvants que j’ai eu à mener au cours de ma carrière, se souvient Claire Dubois-Berger, directrice administrative et financière de Spherea, une ex-filiale d’Airbus. C’est un moment tellement charnière pour les nouveaux actionnaires et la gestion de l’entreprise que les responsables chargés des finances n’ont pas le droit à l’erreur.» Un sentiment partagé par les directeurs financiers qui ont vécu la même expérience. Qu’il s’agisse de trouver des financements, de recruter des collaborateurs ou de mettre en place des processus de gestion, la création d’une fonction financière après une cession est considérée comme un défi particulièrement difficile. Pour le relever avec succès, les responsables doivent agir sur différents fronts à la fois.

Sensibiliser les opérationnels

Avant tout, il est attendu du directeur financier qu’il mène des actions au-delà de son département et assume un rôle de copilote de la nouvelle structure, notamment en matière de stratégie de développement. «Il faut rapidement donner un cap aux dirigeants et aux opérationnels, idéalement durant les 100 premiers jours suivant la cession de l’entreprise, indique Olivier Maltese, associé au sein du pôle Financial Advisory de Deloitte. Le responsable financier doit donc définir les objectifs et les priorités de l’entreprise, par exemple en matière de production et de ventes, et communiquer régulièrement auprès des équipes pour les accompagner dans cette phase de transition afin de les faire adhérer aux changements en cours.»

Pour s’appuyer sur des bases solides, les directeurs financiers doivent au préalable récolter un maximum de données financières auprès des collaborateurs de la société. «Après la vente de Spherea (ex-Cassidian Test et Services) par Airbus à deux fonds d’investissement en juillet dernier, j’ai commencé par recueillir toutes les informations disponibles sur les recettes et les dépenses de la société, comme les factures des fournisseurs, les statistiques des ventes, les bilans ou encore les salaires, explique Claire Dubois-Berger. Une fois ces informations analysées, j’ai pu présenter à la direction générale, aux actionnaires, aux équipes et à nos partenaires bancaires et commerciaux un état des lieux financier précis de notre situation. Je m’en suis ensuite servi pour établir un budget, des prévisions et un business plan.» De quoi y voir plus clair avant de s’attaquer aux autres chantiers.

Bien définir ses besoins en matière de ressources humaines

La direction financière d’une ex-filiale récupère parfois une partie des collaborateurs déjà en place. Mais il arrive souvent qu’elle se retrouve en sous-effectifs, compte tenu du fait que certaines tâches sont parfois effectuées au niveau du siège. Une situation qui implique donc de procéder à des recrutements. «Quand j’ai pris la tête de la fonction finance chez Tokheim début 2004, j’ai repris une équipe très restreinte, se souvient Thierry Dervieux, désormais directeur administratif et financier de Novacap. A l’exception de quelques contrôleurs de gestion qui officiaient avant mon arrivée, tous les collaborateurs financiers de Tokheim travaillaient en effet au siège social de l’ancienne maison mère aux Etats-Unis. Comme la nouvelle structure opérait sur plusieurs filiales en Europe et en Afrique, j’ai eu besoin de recruter un trésorier, un spécialiste en consolidation et un directeur du contrôle de gestion.»Cette mission n’est pas toujours évidente car la direction financière ne dispose pas forcément du budget nécessaire pour embaucher autant de collaborateurs qu’elle le souhaiterait. De plus, il est parfois difficile de cibler les bons profils. «Il y a quelques années, j’ai conseillé une société industrielle de production de médicaments qui venait de sortir d’un groupe pharmaceutique, confie Olivier Maltese. Elle a nommé un directeur financier qui n’avait pas l’expérience et les compétences nécessaires pour assumer ce poste. Il était par exemple incapable de mener des opérations de croissance alors que sa nouvelle direction générale lui demandait d’acquérir plusieurs sociétés européennes. Il a fallu plusieurs mois pour le remplacer par quelqu’un de plus expérimenté.» Pour ne pas commettre de telles erreurs de casting, il peut être intéressant de faire appel à des cabinets de recrutement ou à d’anciens collègues, afin de bénéficier de leur retour.

Des procédures à adapter

Malgré sa prise d’indépendance, une entreprise cédée par un groupe conserve souvent des processus et des habitudes de travail en place. Or ceux-ci ne sont pas toujours adaptés à son nouveau statut. «Il faut éviter à tout prix de céder à la tentation de reprendre les mêmes façons de faire que le groupe qu’on a quitté parce qu’elles ne correspondent pas toujours aux besoins de la structure créée, avertit Thierry Dervieux. Bien sûr, il convient de s’en inspirer, mais il faut les adapter à la nouvelle taille et aux nouvelles activités de l’entreprise. Chez Tokheim, nous avons par exemple établi plusieurs paliers de reporting pour regrouper par zone géographique les informations financières envoyées par les filiales étrangères vers le siège social, ce que ne faisait pas notre ancienne maison mère aux Etats-Unis. Grâce à cela, nous avons gagné en efficacité dans le traitement des données.»

Lorsque des collaborateurs du groupe sont conservés dans la nouvelle structure, un véritable travail de pédagogie doit alors être effectué. «C’est plus compliqué de changer des procédures déjà existantes que de partir de zéro car il faut du temps pour que les équipes changent leurs habitudes», constate Claire Dubois-Berger. Un message qui finit le plus souvent par être bien intégré par les salariés car ces évolutions se traduisent généralement par une simplification des procédures. «Désormais, nous n’avons plus besoin de la lourdeur des processus de validation d’opérations ou des exigences de reporting que nous réclamait Airbus, poursuit-elle. Aujourd’hui, je mets en place des outils et des processus plus légers pour que nous soyons plus réactifs. Cela allège les contraintes de mes collaborateurs, ce qu’ils apprécient tout naturellement.»

 

Une infrastructure informatique à repenser

A la différence des start-up et des petites sociétés, la majorité des entreprises quittant un groupe avaient généralement l’habitude de travailler avec un ERP. La nouvelle structure ne disposant pas forcément des moyens financiers pour en déployer un, le directeur financier peut se retrouver à devoir évaluer la mise en place de systèmes moins coûteux, comme un ERP plus «basique» ou, dans un premier temps, des logiciels simples de type Excel. «Les premiers mois, on peut s’accommoder de tableaux de données envoyés par e-mail par les différents collaborateurs, estime Claire Dubois-Berger. Mais il faut ensuite passer à un système plus structuré pour gagner en efficacité». La solution retenue aura dans tous les cas des conséquences fortes sur le travail des équipes. «Un ERP structure beaucoup une entreprise, estime Thierry Dervieux. S’il est trop complexe et rigide, il fera perdre du temps aux équipes en produisant une quantité de données inadaptée à leurs besoins réels.» Sans compter que la mise en place des outils peut être très longue. «Je pense que nous aurons terminé d’installer notre nouvel ERP d’ici 18 mois seulement», estime Claire Dubois-Berger.

Renégocier les conditions avec les partenaires financiers et les fournisseurs

En plus des coûts engendrés par les changements d’effectifs et de systèmes, une entreprise qui devient autonome doit faire l’impasse sur les relations avantageuses dont elle bénéficiait avec bon nombre d’interlocuteurs, à commencer par les banques. «Il est bien plus difficile pour un directeur financier de négocier des facilités de trésorerie, des lignes de crédits et d’autres prestations bancaires lorsqu’il n’a plus de groupe pour lui servir de garant, avertit Olivier Maltese. Certaines primes d’assurances peuvent par exemple doubler pour un industriel.» Les directeurs financiers choisissent alors souvent de faire jouer la concurrence entre les établissements, même s’ils gardent généralement des liens forts avec la banque historique de la société.«Nous n’avons pas eu de soucis majeurs avec notre banquier principal, car il nous connaissait bien et avait confiance en nous», confie Claire Dubois-Berger. De son côté, Thierry Dervieux s’est rapproché de différents établissements pour répondre à des besoins spécifiques. «Nous avons privilégié les banques présentes à l’international pour pouvoir mettre en place facilement des cash poolings en euros, en livres sterlings et en dollars nous permettant de centraliser la trésorerie des différentes filiales de Tokheim, des services que nos banques initiales ne pouvaient pas nous fournir», explique-t-il.

En ce qui concerne les fournisseurs, la société doit aussi apprendre à se passer des avantages qu’elle a pu connaître par le passé. D’abord, elle ne peut plus bénéficier de tarifs intragroupes lorsqu’elle achète ou vend des produits et services à une entité dépendant de son ancienne maison mère, car c’est interdit par la loi. Ensuite, ses autres fournisseurs choisissent généralement d’eux-mêmes de ne plus lui offrir les tarifs privilégiés qu’ils réservent aux grands groupes, notamment parce qu’ils anticipent une baisse du volume de commandes. Dans certains cas, les fournisseurs craignent aussi pour la pérennité de leur client, ce qui peut avoir des conséquences notables sur la trésorerie de ce dernier. «Il y a trois ans, j’ai pris la direction financière par intérim du groupe de composants automobiles VMI, qui avait été vendu par le groupe industriel américain Molex, signale Claire Dubois-Berger. Comme l’entreprise était passée du statut de filiale d’un groupe international à celui de PME française, l’un de nos fournisseurs a décidé de nous réclamer pour chacune de nos commandes une garantie bancaire représentant six mois de production, soit 250 000 euros. Leur objectif était de se couvrir d’un éventuel défaut de paiement de notre part. Mais compte tenu de nos moyens financiers limités, aucune de nos banques n’a voulu nous fournir cette garantie.» Après trois semaines de négociation, Claire Dubois-Berger est finalement parvenue à trouver un compromis avec son fournisseur.«Il a renoncé à sa demande après que nous avons prouvé que nous savions respecter nos délais de paiement et que nous lui avons exposé de façon transparente nos comptes et nos prévisions de trésorerie. Nous nous sommes également engagés à le conserver comme fournisseur privilégié pendant un an.» Quand ce type d’entente n’est pas possible, il reste encore la possibilité de changer tout simplement de fournisseurs.

De l’avis de leurs dirigeants, une fonction financière nouvellement créée doit être pleinement constituée et opérationnelle au bout d’un an environ. «On peut dresser ce constat lorsque l’ensemble des collaborateurs sont en mesure de produire tous les contenus qui leur sont demandés de manière harmonisée», estime Claire Dubois-Berger. Une fois cet objectif atteint, les directeurs financiers voient leur agenda se libérer sensiblement, ce qui leur permet de se lancer dans de nouveaux chantiers.

Un soutien variable des anciens actionnaires

Même lorsqu’elles se désengagent d‘une filiale, les anciennes maisons mères maintiennent parfois une relation privilégiée. «Les entreprises cédantes sont parfois bienveillantes avec leurs anciennes branches car elles veulent garder une bonne réputation», estime Olivier Maltese, associé chez Deloitte. Cette attitude se mesure par les conditions des contrats des prestations transitoires que signent les deux parties au moment de leur séparation. «Airbus nous soutient à plusieurs niveaux, explique ainsi Claire Dubois-Berger, directrice administrative et financière de Spherea. Le groupe a assuré par exemple notre service de paie pendant un an et s’est chargé de la formation de comptables que nous avons recrutés juste après la cession.»

A l’inverse, le départ du groupe Molex du capital de la société VMI en 2009 s’est fait dans la douleur. «L’ancien actionnaire a, certes, laissé l’usine, les machines et les stocks à la nouvelle direction, mais il n’a fait aucun accompagnement en matière de transmission de savoir-faire au sein des équipes financières, explique Claire Dubois-Berger, qui était directrice financière par intérim de l’entreprise à ce moment-là. Cela a compliqué le montage de la fonction finance.»

Un autre moyen de soutenir une ex-filiale est de devenir son client, ou son fournisseur… ou les deux !

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