Communication financière

Un exercice d’équilibriste pour la direction financière

Publié le 20 mars 2015 à 11h00    Mis à jour le 20 mars 2015 à 16h25

Morgane Remy

Communiquer pour une entreprise cotée est un exercice plus délicat qu’il n’y paraît. De la rédaction au communiqué de presse aux rencontres avec les analystes et investisseurs, chaque étape doit être minutieusement préparée.

Le couperet est tombé le 3 mars dernier : la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a infligé une amende de 1 million d’euros à l’encontre de la société Air-France-KLM et de 40 000 euros à l’encontre de son ancien directeur général, Pierre-Henri Gourgeon. La raison ? Un manquement d’information au public. Le groupe a en effet été sanctionné pour ne pas avoir communiqué «dès que possible» au marché l’information privilégiée selon laquelle l’objectif de résultat d’exploitation 2010-2011 ne serait pas atteint.

Cette sanction, après celle prise contre Faurecia en décembre dernier – 2 millions d’euros d’amende pour avoir «piloté», c’est-à-dire tenté d’influencer le consensus des analystes financiers en 2012 – vient rappeler aux entreprises cotées l’importance de respecter les principes généraux de communication financière. Les principales règles consistent en l’égalité d’information entre les investisseurs, la diffusion d’une information exacte, précise et sincère et l’obligation de communiquer au marché toute information susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours de Bourse.

Inspirer la confiance des investisseurs

Outre l’aspect réglementaire, les directeurs financiers font également face à une autre contrainte. Il s’agit en effet pour eux d’attirer les investisseurs et de maîtriser leur communication, de manière à faire évoluer positivement le cours de Bourse. Le tout sans se départir d’une certaine prudence. «La communication est un outil de valorisation de l’entreprise et de son projet, explique François-Henri Sahakian, directeur financier de la société de biologie industrielle Global Bioenergies. Pour autant, l’exercice est extrêmement contraint pour les sociétés cotées qui doivent respecter un cadre légal. Les messages doivent par conséquent être pesés à l’aune de ces deux enjeux.» 

L’outil le plus simple et le plus efficace pour atteindre ce délicat équilibre est le communiqué de presse. Ce document écrit permet à la fois de contrôler au mieux l’information publiée et de la diffuser très largement. «Ce document est aussi important que les comptes en eux-mêmes», souligne Philippe Kubisa, associé chez PwC. Or, il est souvent sous-estimé par les directeurs financiers, qui se concentrent beaucoup sur la clôture des comptes. «Ils n’ont pas toujours à l’esprit que le communiqué de presse est la porte d’entrée, même pour les analystes financiers», ajoute Philippe Kubisa. 

Etre à l’écoute du marché

Plus que le support utilisé, le contenu communiqué au marché est primordial. Afin de délivrer une information utile aux analystes et aux investisseurs, les responsables de la communication financière doivent réaliser en amont un travail de collecte en interne. «Pour ce faire, nous accordons une grande importance aux relations que nous pouvons nouer avec la direction financière du siège, afin d’avoir l’information nécessaire à une bonne communication mais également beaucoup auprès des opérationnels impliqués», poursuit Patrice Lambert de Diesbach, directeur de la communication financière et des relations investisseurs chez Orange.

L’équipe peut également remonter les réactions du marché par rapport à certaines stratégies, directement au comité de direction. Elle réunit les notes écrites d’analystes financiers ou les verbatim d’investisseurs issus de discussions en tête à tête. Ces informations constituent alors des éléments que le directeur financier et le directeur général peuvent reprendre dans le cadre de leur communication. 

Garder le contrôle à tout moment

Une fois les échanges téléphoniques et physiques fixés avec la communauté financière, les directeurs financiers doivent veiller à ne rien divulguer qui ne soit écrit dans le communiqué ou le rapport annuel, mais uniquement à mettre en perspective les informations contenues dans ces documents. Ils doivent ainsi expliquer notamment la stratégie de l’entreprise dans les mois à venir, afin de donner une ligne directrice sur laquelle les analystes pourront se baser pour réaliser leur note. «L’objectif est d’inspirer confiance sur la façon dont est dirigée l’entreprise, souligne Chris Hollis, président du Cliff, l’association française des professionnels de la communication financière. Il faut donc démontrer à travers ce levier comment celle-ci peut se distinguer de ses concurrents sur le marché.»

Toutefois, cet exercice n’est pas toujours évident. «Lors des présentations ou des rendez-vous en tête à tête, toute la difficulté est de susciter l’intérêt, sans pour autant leur délivrer des informations privilégiées ou de nouveaux chiffres», résume Philippe Kubisa. Une telle tâche ne s’improvise pas. «La communication financière est comme un sport de haut niveau, témoigne Patrice Lambert de Diesbach. Il faut beaucoup de préparation pour trouver le juste dosage : ne pas dévoiler d’informations clés qui n’aient été également délivrées en même temps à tous les observateurs de marché tout en ne pratiquant pas la langue de bois.» Les analystes et investisseurs, en général, sont très affûtés dans leur manière de poser des questions. «C’est une vigilance de tous les instants pour ne pas infirmer ou confirmer une hypothèse qu’ils avancent», confirme un directeur financier.

Pour faire face à ces professionnels à la recherche d’informations, certains dirigeants cherchent à mettre toutes les chances de leur côté. Ils n’hésitent donc pas à solliciter des consultants pour les accompagner. «Quand nous coachons des dirigeants, il s’agit de véritables répétitions, témoigne Philippe Kubisa. Cela nécessite une mission de deux semaines, en moyenne, pour une présentation de résultats.» Dans les grands groupes, les dirigeants peuvent s’appuyer sur des professionnels spécialisés en interne. C’est le cas chez Orange, où l’équipe dédiée à la communication financière est composée de six financiers. «Nous proposons au directeur général et au directeur financier des suggestions sur la façon de communiquer au mieux les résultats», explique Patrice Lambert de Diesbach. Son équipe réalise aussi un document tentant de réunir toutes les questions-réponses susceptibles d’être posées à chaque roadshow trimestriel. Rien ne doit être laissé au hasard.

Le langage corporel, l’arme des hedge funds

Les analystes comme les investisseurs sont à la recherche du moindre indice que pourrait divulguer malgré lui le chargé de communication financière ou le directeur financier d’une entreprise cotée. Dans le contexte, une grande vigilance s’impose quant à la gestuelle utilisée. «Pour tenter de décrypter les intentions des dirigeants, les représentants des hedge funds vont même jusqu’à apprendre à lire le langage corporel, ajoute Patrice Lambert de Diesbach. Le contrôle doit donc être parfait pour éviter de trahir ou prêter à une mauvaise interprétation soi-même, ne serait-ce que par un geste.»

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