Comment travaillent…

Les directeurs financiers des assurances

Publié le 29 août 2014 à 11h17    Mis à jour le 29 août 2014 à 17h03

Audrey Spy

Fortement mobilisées depuis la crise financière, les directions financières des groupes d’assurances finalisent aujourd’hui leur principal chantier réglementaire : Solvabilité 2. Mais leurs efforts doivent désormais se porter sur d’autres challenges liés cette fois à de nouvelles dispositions législatives, à une amélioration de la croissance ou encore à la révolution numérique.

Relèvement du taux des prélèvements sociaux pour une partie des contrats d’assurance-vie, généralisation de la complémentaire santé pour les salariés, création du contrat euro-croissance, ou encore vote définitif de l’entrée en vigueur de la directive Solvabilité 2… 2013 a été riche en nouveautés pour les assureurs !

«Sur une seule année, nous avons été confrontés à des changements parfois rétroactifs de la fiscalité des entreprises, de nos clients et salariés et même de nos produits», résume Jean-Pierre Lassus, directeur financier de Swiss Life France. Si cette frénésie législative devrait se calmer en 2014, la mise en œuvre de tous les textes votés l’an dernier va encore mobiliser fortement l’ensemble des équipes, notamment financières, de cette profession. Celle-ci a néanmoins l’habitude de s’adapter car elle a déjà dû, ces dernières années, revoir son modèle à la suite de la crise financière.

Les assureurs n’ont en effet pas échappé à la vague de régulation qui a frappé l’ensemble du secteur financier après 2008. Si les réflexions concernant la directive Solvabilité 2, qui vise à mieux encadrer la solvabilité des sociétés d’assurances, ont été initiées dès 2002, soit six ans avant la crise, ce texte a largement été réorienté après les subprimes. Plaçant désormais la gestion des risques au cœur de l’organisation des assureurs, cette réglementation a ainsi eu des conséquences très importantes pour ce secteur qui a d’ores et déjà modifié sa gouvernance, en particulier celle des directions financières.«Dès 2009, afin de mieux nous préparer à la directive Solvabilité 2, nous avons optimisé l’organisation de la direction financière, relate Renaud Dumora, directeur général adjoint, finance, risques et juridique de BNP Paribas Cardif. Les équipes des différentes directions ont été rapprochées pour créer un pôle financier plus large. Ce pôle intègre désormais les finances au sens strict, comme la comptabilité et le contrôle de gestion, mais également l’actuariat ainsi que la gestion des risques et, plus récemment, des métiers plus connexes, tels que le pôle juridique et les affaires publiques. En revanche, les investissements ont été confiés à un autre pôle, et sont sous la responsabilité directe de la direction des gestions d’actifs.»
Des évolutions lourdes qui, pour certaines organisations, ne sont pas encore terminées.«Avec plus de 550 collaborateurs, le périmètre de la direction finance-stratégie-juridique intègre actuellement la stratégie et le contrôle de gestion, la comptabilité, le corporate finance, les investissements, la gestion des risques, les achats et le juridique, énumère Amaury de Warenghien, directeur financier d’AXA France. Il n’est pas figé et évolue au fil de l’eau.» Même des assureurs de taille plus modeste ont également été confrontés à cette situation qui a donné naissance aujourd’hui à deux typologies de directeur financier au sein du secteur de l’assurance : les premiers ont, en plus de leurs fonctions financières traditionnelles, sous leur responsabilité la gestion des risques, tandis que les seconds gèrent plutôt, en plus de leurs missions classiques, la direction des investissements. Pour autant, malgré cette distinction, la gestion actif-passif constitue aujourd’hui encore pour les directeurs financiers du monde de l’assurance une des composantes essentielles de leur création de valeur. «Elle consiste à optimiser le couple entre le niveau de risque que nous acceptons et la rentabilité que nous attendons pour nos clients et nos actionnaires, indique Jean-Pierre Lassus. Mais c’est aussi un des piliers de notre politique de risk management, dans la mesure où elle nous permet de limiter notre exposition aux risques financiers à un niveau compatible avec notre solvabilité. En ce sens, elle nous permet de protéger notre solvabilité à court et long terme.»

Des outils plus sophistiqués

Outre les aspects organisationnels, le monde de l’assurance a également dû faire face à de nouvelles contraintes de travail liées à cette réglementation. Solvabilité 2 va obliger les directions financières à produire une multitude d’états financiers qu’elles devront ensuite transmettre à leur régulateur – l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) –, mais également à leurs clients et actionnaires. Pour s’y préparer, elles ont déjà largement automatisé le traitement de leurs données financières grâce à des investissements dans la modernisation de leurs systèmes d’information. Ces derniers ont également permis de mettre en place de nouveaux outils de pilotage plus sophistiqués.«Nous avons mis au point au moins une centaine d’indicateurs clés de pilotage de l’entreprise, indique Jean-Pierre Lassus. Ceux-ci recouvrent à la fois des indicateurs sur notre activité opérationnelle et commerciale, notre rentabilité, nos placements financiers ainsi que sur notre solvabilité.» Grâce à ces outils plus complets, les directeurs financiers passent également plus de temps à modéliser leurs risques pour tenir compte dans leurs résultats de tous les scénarios économiques et financiers envisageables. «Il y a dix ans, la direction financière d’un assureur se contentait encore d’établir les comptes et d’analyser les chiffres par rapport au passé, complète Jean-Pierre Lassus. Aujourd’hui, nous sommes davantage tournés vers l’atteinte des objectifs stratégiques et financiers et le pilotage prospectif.» Cette évolution a permis à la direction financière de gagner en productivité et en valeur ajoutée au sein de l’organisation.«Nous ne pouvons pas nous contenter de rapporter des chiffres, il convient de les analyser, d’expliquer les écarts avec les prévisions et, surtout, de donner des conseils et des recommandations aux opérationnels», ajoute Amaury de Warenghien. Le lien avec les équipes sur le terrain s’est donc considérablement renforcé, d’autant que le secteur doit faire face à de nouveaux enjeux de croissance.

Une recherche de croissance rentable

Face à un secteur parvenu à maturité en France, les assureurs n’ont en effet de cesse de trouver de nouveaux relais de développement. Certains groupes ont, par rapport à leurs pratiques passées, réussi à mieux tirer parti du réseau et des autres filiales de leur maison mère pour continuer à attirer de nouveaux clients et croître sur ce marché très concurrentiel. «Nous bénéficions depuis l’an dernier du support de certaines des filiales de la Société Générale, comme du Crédit du Nord qui commercialise désormais notre offre assurance dommages, ce qui augmente de 30 % notre force commerciale», témoigne Philippe Perret, directeur général de Société Générale Insurance. D’autres groupes ont fait le choix de grandir par acquisitions. CNP Assurance a réalisé ces derniers mois deux acquisitions successives au Brésil. AXA a pris des participations majoritaires dans des acteurs colombiens et chinois en 2013. BNP Paribas Cardif s’est implantée sur le marché de l’assurance chinois en reprenant 50 % détenus par le groupe ING dans sa coentreprise d’assurance-vie avec Bank of Beijing. Globalement, les assureurs n’excluent aucun moyen pour se développer. «Ces trois dernières années, nous avons eu comme priorité de développer l’activité et renforcer notre business model, que ce soit par croissance interne ou externe», commente Jean-Pierre Lassus. Ce double axe stratégique a été complété en parallèle par des objectifs de profitabilité.«Dans un marché mature dans lequel AXA est bien établi, le but aujourd’hui est de saisir de nouvelles opportunités de croissance rentable, détaille Amaury de Warenghien. Dans ce cadre, mon rôle est par exemple d’accompagner les équipes de développement de produits à détecter de nouveaux segments de marché où nous pouvons avoir un avantage concurrentiel.»

Cette recherche de croissance ne se fait néanmoins pas à n’importe quel prix, car les assureurs restent vigilants depuis la crise sur les économies qu’ils peuvent réaliser. «Le contrôle des coûts est devenu une priorité permanente au sein de notre organisation, rapporte Philippe Gravier, directeur financier d’Aviva France. Pour ce faire, nous avons mis l’accent ces dernières années sur la comptabilité analytique afin de calculer au plus près notre masse de frais.»La direction financière n’accompagne pas uniquement les réflexions en termes d’économies, mais a désormais une place centrale dans l’organisation.«Des contrôleurs de gestion sont intégrés dans chaque entité opérationnelle d’AXA, révèle Amaury de Warenghien. Notre organisation fonctionne de façon matricielle et très transverse, ce qui permet de nombreuses interactions entre les directions et une grande agilité dans notre fonctionnement. Cet aspect est d’ailleurs facilité par le fait qu’une personne peut dans son parcours chez AXA commencer au sein de la direction financière puis rejoindre une direction opérationnelle et inversement. Ce fonctionnement permet de mieux appréhender les spécificités de chaque métier et d’améliorer l’efficacité de notre organisation.»Le rôle des directeurs financiers dans le cadre du pilotage de cette dernière a donc considérablement évolué. «Les directeurs financiers du monde de l’assurance deviennent de plus en plus des chief performance officers et non plus seulement des chief financial officers. Nous sommes en effet un moteur du pilotage de la performance», estime Philippe Gravier.

Une révolution numérique à mettre en œuvre

Les évolutions ne s’arrêtent d’ailleurs pas là car les directeurs financiers de l’assurance doivent désormais préparer l’avenir. En ce qui concerne la réglementation, même si le chantier Solvabilité 2 est aujourd’hui, pour la plupart des groupes, en phase de finalisation, puisque cette réglementation entrera en vigueur en 2016, les assureurs doivent désormais porter leurs efforts vers d’autres textes en préparation. «Les normes comptables internationales constituent aujourd’hui un sujet important pour le monde de l’assurance, indique Renaud Dumora. Nous suivons de près les discussions concernant les normes IFRS 4, car ces dernières pourraient entraîner une volatilité artificielle dans nos comptes.»
Les assureurs doivent également suivre les évolutions législatives. Même si de nouveaux textes ne devraient pas venir s’ajouter à la longue liste de ceux votés l’an dernier, certains doivent encore être précisés. La loi de finances rectificative pour 2013 a par exemple donné naissance au contrat euro-croissance, mais avant de pouvoir commercialiser ce nouveau type de contrat d’assurance-vie, les assureurs doivent attendre les textes officiels. Ces derniers, constitués d’une instruction fiscale et d’ordonnances gouvernementales doivent encore être publiés. En attendant, les assureurs peuvent commencer à préparer leur offre sur les modalités qu’ils connaissent déjà, en particulier en tenant compte de l’Accord national interprofessionnel (Ani), signé il y a un peu plus d’un an par le patronat et des organisations syndicales et qui a été rendu obligatoire à partir du 1er janvier 2016. «L’Ani prévoit de faire basculer les contrats de complémentaires santé individuelles vers des contrats collectifs, pour tous les salariés qui n’en bénéficient pas déjà dans leur entreprise, détaille Philippe Perret. Notre présence depuis seulement 2012 sur la santé individuelle va nous permettre d’adapter facilement notre offre à cette nouvelle disposition législative.»De même, les assureurs attendent les décrets d’application de la loi Hamon qui prévoit qu’un particulier pourra résilier, à tout moment dans l’année, ses contrats d’assurance auto, habitation et affinitaires (téléphones mobiles, voyages…).«Les lois Ani et Hamon viennent bouleverser les règles du jeu de la concurrence sur certains segments de l’assurance, ce qui peut être source d’opportunités», résume Philippe Gravier.

Les assureurs doivent également faire face à un nouveau bouleversement de leur environnement : le passage au numérique.«Internet et plus largement l’ensemble des outils digitaux que nous pouvons mettre en place avec nos clients sont des éléments clés à développer dans notre offre de produits et dans les services que nous fournissons à nos clients», explique Philippe Gravier. Si quelques assureurs proposent déjà à leurs clients de déclarer leurs sinistres via une application sur leur téléphone mobile, l’ensemble de la profession doit désormais faire face aux nouvelles habitudes de consommation de leurs clients. Ce canal de distribution devrait représenter un tiers de leur activité d’ici cinq ans, mais l’investissement à mettre en œuvre dans le digital reste pour le moment difficile à évaluer pour les assureurs.

Les chiffres clés du secteur

Le chiffre d’affaires du secteur de l’assurance s’est établi à 189 milliards d’euros en 2013, soit une progression de 4 % sur an mais un niveau similaire à celui de 2011, selon les estimations de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA).

Les effectifs du secteur de l’assurance sont restés stables en 2011 et 2012, autour de 147 000 salariés, selon l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance.

L’assurance-vie a renoué avec une collecte nette positive de 10,7 milliards d’euros en 2013, qui reste néanmoins en deçà des niveaux de 2009 ou 2010, supérieurs à 50 milliards d’euros, selon la FFSA.

Avec près de 2 000 milliards d’euros placés sur les marchés, dont 1 151 milliards d’euros auprès des entreprises, les assureurs représentent les premiers investisseurs institutionnels français. Ils prennent de plus en plus le relais des banques dans le financement de l’économie puisqu’ils ont consacré 47 milliards d’euros au financement des PME et ETI l’an passé.

Avec 54 % d’emprunts de l’Etat français, les assureurs français en constituent les premiers détenteurs domestiques.

En France, le coût des aléas climatiques de l’hiver 2013-2014 est estimé à 500 millions d’euros pour les assureurs. Alors que le coût des événements climatiques a représenté 34 milliards d’euros entre 1988 et 2007, il pourrait atteindre 60 milliards d’euros entre 2009 et 2030, selon les projections de la FFSA.

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