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Les directeurs financiers des entreprises de services numériques

Publié le 7 mai 2015 à 11h07    Mis à jour le 13 mai 2015 à 18h13

Morgane Remy

Clients cherchant à baisser leurs coûts informatiques, concurrence de plus en plus vive, concentration du secteur, les entreprises de services numériques doivent faire face à des enjeux importants. Face à ces problématiques, les directeurs financiers deviennent un rouage essentiel permettant à l’entreprise de rester compétitive… et surtout rentable !

«Le secteur du service numérique étant fortement lié à la conjoncture, l’environnement n’a été que peu porteur ces deux dernières années, en Europe. Et nos clients sont plus que jamais regardants sur la maîtrise de leurs coûts informatiques», analyse Jean-Michel Thibaud, directeur finance, stratégie et services généraux d’Orange Business Services(6,29 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014). Les entreprises clientes sont en effet en position de force sur ce marché doublement compétitif, en raison de la difficulté pour les acteurs français d’accroître leurs parts de marché alors même qu’ils subissent l’arrivée dans l’Hexagone d’entreprises indiennes qui capitalisent sur leur main-d’œuvre à bas coût. Malgré tout, les grands acteurs du secteur des entreprises de services numériques (ESN, ex-SSII) parviennent à survivre et même à croître sur ce marché mature et concurrentiel.

Par exemple, à l’échelle mondiale, Accenture est passé de 28,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2013 à 30 milliards en 2014. «Les temps sont durs mais nous avons réussi à atteindre une croissance de 5 % l’année dernière, témoigne Dominique Calmels, directeur financier d’Accenture France, Benelux et Ile Maurice. Nous parvenons également à préserver, voire à augmenter notre rentabilité, mais c’est un exercice un peu plus difficile chaque année.»

De même GFI informatique, qui vient de publier ses résultats, affiche un chiffre d’affaires 2014 de 804 millions d’euros, en progression de 8,3 %, dont 3,2 % de croissance organique.

«Nous avons réussi à délivrer une croissance organique positive pour chacun des 16 derniers trimestres, témoigne Cyril Malher, directeur administratif et financier du groupe. Nous y sommes parvenus en mettant en place une stratégie de proximité et d’innovation auprès de nos clients, en particulier auprès de ceux qui nous comptent parmi leurs principaux fournisseurs !» Pour mettre en place ces stratégies, les groupes et les directeurs financiers ont dû se battre sur deux fronts : offrir des services de moins en moins chers tout en préservant leurs marges, et innover pour offrir plus de valeur ajoutée aux clients.

Encadrer le poste client

La première étape a donc consisté à se battre sur le terrain de la compétitivité-prix, pour proposer des tarifs attractifs à leurs clients, sans pour autant rogner leur marge. Pour ce faire, le besoin en fonds de roulement est surveillé de près, notamment celui concernant le poste client. En effet, ce dernier représente un véritable enjeu car si les salaires des ingénieurs placés chez des entreprises clientes sont payés immédiatement, le règlement de cette prestation s’effectue deux mois plus tard. Par conséquent, tout doit être négocié et établi contractuellement, puis suivi de près. «Certes, nous avons un délai de paiement moyen correct (DSO) avec 60 jours en France et 65 jours sur l’ensemble du groupe, mais nous devons rester vigilants, témoigne Cyril Malher. Les clients peuvent mettre du temps, lorsque la conjoncture est plus tendue, à signer les procès-verbaux de livraison qui enclenchent la procédure de règlement.» Et donc retarder d’autant le jour à partir duquel courent les délais de paiement légaux.

La question se pose avec encore plus d’acuité pour les groupes qui sont très présents à l’international. Les règles et les pratiques ne sont pas les mêmes. Les délais tendent à s’allonger dans des pays d’Europe du Sud ou en Amérique du Sud. «Nous pouvons avoir dans certains pays jusqu’à 60 jours de délai de paiement clients et ce n’est pas, dans l’absolu, souhaitable, explique Jean-Michel Thibaud d’Orange Business Services. Pour limiter les effets sur le besoin en fonds de roulement, nous tentons de faire converger le plus possible dans un pays donné le délai de paiement client et celui que nous avons avec nos fournisseurs.» La business unit de l’opérateur a ainsi renégocié une grande partie de ses contrats afin d’atteindre cet objectif, en Argentine notamment.

Enfin, il n’est pas rare que les délais de paiement soient considérés comme un risque à prendre en compte jusque dans la stratégie de développement de l’entreprise. Cela a été le cas pour Devoteam (chiffre d’affaires de 453,5 millions d’euros en 2013), qui s’est interrogée sur la légitimité de son implantation dans certains pays tels que l’Italie, où les voyants sont au rouge : délais de paiement longs, fiscalité élevée, rigidité du marché du travail et absence de croissance. «Pour ces pays, nous avons mis en œuvre une politique de désengagement progressive», conclut Grégoire Cayatte. Elle n’est pas pour autant systématique quand il s’agit de clients stratégiques, l’entreprise est prête à faire des concessions. «Le groupe de télécommunications Vodafone, qui respectait des conditions de paiement à 30 jours, nous a basculés à près de 120 jours l’année dernière, explique Grégoire Cayatte. Face à ces nouvelles conditions, nous avons mesuré le risque que nous encourions et l’avons finalement jugé acceptable par rapport à l’importance du contrat.»

Compresser ses coûts

Si les négociations sur les conditions de paiement sont importantes, les sociétés de services numériques doivent aussi réduire leurs coûts. «Nous sommes dans une chasse permanente, témoigne Dominique Calmels. Nous avons augmenté notre chiffre d’affaires de près de 30 % depuis 2010 mais nous devons veiller à ce que cette croissance reste rentable, même si cela implique de passer des heures sur de petites choses !» Cela va de la réduction des frais de voyages à celle du nombre d’agrafeuses, en passant par le renouvellement des ordinateurs. En termes d’immobilier, l’entreprise s’interroge aussi sur la reconduite d’un bail d’un de ses deux sites immobiliers basés à Paris. Un lieu prestigieux mais onéreux.

La direction financière, pour sa part, n’est pas exemptée de faire des efforts elle-même ! Chez Accenture, un vaste chantier de dématérialisation des factures est mis en œuvre. Grâce à cela, la comptabilité fournisseurs est à présent gérée dans des centres de services partagés (CSP) aux Etats-Unis, en Inde et à Dublin. Orange Business Service et Devoteam ont également lancé leur CSP comptable ces dernières années, afin de proposer un service à la fois plus efficace et moins coûteux.

Industrialiser des processus

Cette réduction de coût s’opère également au niveau opérationnel, avec la même logique d’industrialisation des tâches les plus répétitives afin de réaliser des économies d’échelle. Des centres spécialisés des processus informatiques, comme la maintenance externalisée des logiciels des entreprises clientes, ont été créés. L’objectif est alors d’industrialiser les tâches les moins techniques afin de baisser les coûts des services et donc leurs prix finaux. Par exemple, GFI Informatique a augmenté les effectifs de son centre de services marocain et a ouvert également en Espagne et au Portugal deux autres centres de services.

Outre ces pays, où le coût du travail est plus favorable, le groupe dispose aussi de centres importants à Lilles, Nantes et Toulouse avec un effectif total de plus de 1 600 personnes. «L’un des intérêts de cette organisation est de pouvoir y former un grand nombre de jeunes à nos technologies avec un encadrement très expérimenté dont nous pouvons démultiplier l’efficacité par un effet pyramide, explique Cyril Malher. Une fois que ces jeunes ont acquis le niveau de compétence requis, nous pouvons ensuite les envoyer en clientèle.» Cette organisation répond ainsi à deux enjeux : celui de la productivité avec l’industrialisation, et celui du recrutement. «Cela permet d’apporter toutes les solutions possibles à nos clients, malgré la pression sur les prix, poursuit Cyril Malher. Nous pouvons leur proposer des économies d’échelle en externalisant certaines de leurs tâches informatiques.»

Accenture, pour sa part, a également un centre en Inde. «Beaucoup de grands groupes du secteur ont des centres de services en Inde, ce qui permet aussi de répondre à la nouvelle concurrence d’acteurs indiens qui viennent sur le marché français», ajoute Dominique Calmels.

Mener des acquisitions pour innover rapidement

Arrivant à préserver les marges de l’entreprise, le directeur financier parvient ainsi à dégager des moyens pour réaliser des acquisitions, afin de se développer sur de nouvelles niches porteuses et préparer l’avenir. Les entreprises de services numériques cherchent ainsi de nouveaux segments du marché, à plus forte valeur ajoutée. Devoteam s’oriente de plus en plus vers le cloud, le digital et confirme sa position dans le domaine de la sécurité, qui représente plus de 20 % du chiffre d’affaires. Le groupe s’est sensiblement restructuré. «Nous avons cédé des activités que nous ne jugions plus assez rentables pour nous, comme l’activité dans le secteur des télécommunications en Italie, en Russie et en France, explique Grégoire Cayatte. Cela nous a permis de financer des acquisitions d’entreprises plus stratégiques, dans le digital et le cloud computing, et d’apporter de nouveaux services à nos clients.» Le groupe s’est ainsi orienté vers de jeunes entreprises innovantes, comme gPartner, Axance et Progis, acquises en 2014.

Dans ce secteur, l’acquisition est souvent le moyen choisi pour trouver de nouvelles compétences rapidement. Les groupes ciblent alors de petites entreprises avec une spécialité porteuse, quitte à multiplier les acquisitions. «Nous avons procédé à une quinzaine d’acquisitions depuis 2011 afin de nous positionner ou de croître dans des domaines tels que les solutions, le digital, le cloud computing mais aussi pour prendre des parts de marché récurrentes, témoigne Cyril Malher. Le rôle du couple direction générale et direction financière est déterminant, en amont de l’acquisition. «Nous devons identifier les bonnes cibles et les étudier de manière à pouvoir les acquérir au bon prix», poursuit Cyril Malher. Puis ce dernier doit s’assurer que la greffe prenne bien au moment de la fusion, l’intégration de la filiale étant une étape indispensable à la réussite du projet.

Financer les acquisitions

Si la tactique est très similaire concernant les acquisitions (acheter des entreprises de niches, compétentes sur des marchés porteurs), celui de leur financement a également un point commun : la prudence. «Nous n’avons aucune dette, ce qui est un avantage compétitif car cela nous fait un coût de moins, explique Dominique Calmels. Nous nous concentrons donc sur l’acquisition d’entreprises de moins de 50 salariés afin de rester dans cette dynamique et acquérir des compétences spécifiques, dans le domaine du numérique par exemple.»

Devoteam, pour sa part, a financé la majorité de ses acquisitions par la cession de certaines de ses activités en amont. L’entreprise est néanmoins légèrement endettée (3,7 millions d’euros fin 2013), principalement avec du crédit bilatéral à trois ans et de l’affacturage. «Nous regardons aussi le marché des Euro-PP et du Schuldschein, car nous aurons des besoins de refinancement en 2016», précise Grégoire Cayatte.

La société marcherait alors sur les pas de GFI Informatique qui dispose déjà de deux Euro-PP émis l’été dernier, de 15 et 10 millions d’euros. «Nous conservons un ratio dette nette sur Ebitda inférieur à 1,2», précise Cyril Malher. Ainsi, limiter l’endettement est synonyme d’agilité pour ces entreprises. Mais surtout, cela permet de conserver une structure financière solide… évitant de devenir elles-mêmes de potentielles cibles d’acquisition pour des sociétés concurrentes !

Piloter chaque nouveau contrat

  • La direction financière des entreprises de services numériques est désormais consultée dans toutes les négociations importantes. Un comité de pilotage, ou «business comity», étudie tous les grands projets afin de veiller à ce qu’ils soient rentables. A ce titre le directeur financier, parfois accompagné du directeur juridique, est consulté afin d’étudier le retour sur investissement. «Chez Accenture, le comité est composé du président, du directeur des ressources humaines, du patron technologique et de moi-même. Pour nous assurer que nous avons bien fédéré toutes les ressources possibles de notre société dans le but de signer de nouveaux contrats, nous avons mis en place un comité restreint chargé de revoir les propositions commerciales de contrats spécifiques, explique Dominique Calmels, directeur financier d’Accenture France, Benelux et Ile Maurice. Nos métiers étant à risque, nous étudions les propositions de l’équipe opérationnelle, chacun avec notre expertise.»
  • Le directeur des ressources humaines doit alors s’assurer que les compétences nécessaires seront bien disponibles en interne ou prévoir les recrutements nécessaires avec ses équipes. Et le directeur financier travaille et budgétise tous les scénarios possibles. «Par exemple, si nous signons un contrat important qui nécessite de localiser certains travaux en province, poursuit Dominique Calmels, nous déterminons ensemble s’il est plus stratégique de recruter une équipe dans la région concernée – et sous quel contrat – ou s’il faut proposer une mobilité à nos salariés basés à Nantes.» Le budget pour les locaux, le recrutement ou l’indemnisation des salariés nantais est alors étudié afin de répondre au mieux au cahier des charges du client, tout en préservant les marges de l’entreprise. Ce genre de comité existe désormais dans toutes les ESN.
  • Outre l’étude de la rentabilité de chaque projet, le directeur financier joue également le rôle d’aiguillon dans la négociation des conditions de paiement des clients. En effet, un projet étant livré en plusieurs fois ; il convient de prévoir quel paiement chaque étape validée déclenchera.

Faire face à des clients qui ne veulent plus supporter les investissements

  • Les entreprises clientes de services numériques tentent d’optimiser leurs coûts et mettent la pression sur les tarifs des prestations qu’ils achètent. En parallèle, une nouvelle tendance émerge : elles négocient aussi de plus en plus les modalités de leurs investissements… avec leurs prestataires de services informatiques. «Beaucoup de clients nous demandent de trouver les solutions pour les aider à financer leurs investissements», témoigne Dominique Calmels, directeur financier d’Accenture France, Benelux et Ile Maurice.

  • Ainsi, alors que la finance est une fonction support, sa valeur ajoutée peut devenir un service permettant de remporter des contrats. «L’idée est de trouver un financement avec eux, en travaillant avec notre réseau, poursuit Dominique Calmels. Nous négocions les tarifs et les conditions pour nos clients auprès d’éditeurs de logiciels, du fait que nous leur commandons de gros volumes, et nous pouvons aider à justifier, auprès des banques, l’intérêt d’un projet informatique à financer.». Ainsi, la taille du groupe d’Accenture joue en sa faveur et donne à ses clients les moyens de financer le projet qu’ils lui confieront plus facilement.

  • Enfin, les entreprises clientes se montrent également intéressées par une mutualisation de l’investissement. «Concrètement, nos clients nous demandent de cofinancer une nouvelle solution, en échange de quoi nous pouvons la vendre à d’autres entreprises, explique Grégoire Cayatte. Nous sommes alors co-investisseurs sur un nouveau produit, dont ils ont besoin.»

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