Stratégie

Une direction financière à la loupe… Eutelsat

Publié le 11 mars 2016 à 15h57

Guillaume Clément

Alors que le spécialiste des satellites Eutelsat a vu son activité pratiquement doubler de taille depuis 2013 sous l’effet d’opérations de croissance externe, sa fonction finance s’est également adaptée à cette évolution, via un renforcement de ses prérogatives. Comptant une dizaine de départements, elle pilote en effet, outre les missions «classiques», des tâches souvent peu rattachées à la direction financière, comme les achats et les assurances.

Lorsqu’il a rejoint Eutelsat en septembre 2013, l’objectif d’Antoine Castarède n’était pas de prendre la tête d’une «super-direction financière». Pourtant, le directeur financier du groupe spécialisé dans les satellites, qui a réalisé 1,476 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2014-2015, se trouve bel et bien en charge d’une fonction finance au périmètre particulièrement étendu. «Non seulement je supervise dix départements, dont deux étaient précédemment en dehors du périmètre de mon prédécesseur, mais certains d’entre eux ont en outre vu leurs prérogatives renforcées depuis mon arrivée», souligne-t-il. Cette réorganisation avait pour objectif de permettre au groupe de répondre à plusieurs impératifs. D’abord, Eutelsat était en train de finaliser sa plus importante acquisition en date, celle du mexicain Satmex (devenu Eutelsat Americas), pour 831 millions d’euros. Cette opération a eu pour effet de faire quasiment doubler la taille du groupe, entraînant de nouveaux enjeux pour la direction financière, par exemple en matière de reporting. Ensuite, la société a lancé à la fin de 2013 un vaste programme d’optimisation des coûts, qui a notamment consisté à améliorer les processus internes. «L’ampleur de ce projet nécessitait de permettre aux équipes de travailler plus efficacement et de manière plus transversale que par le passé, indique Antoine Castarède. C’est pourquoi nous avons modifié l’organisation de certains services, ainsi que leurs prérogatives respectives.»

Des services informatiques regroupés

Lors de la prise de fonctions d’Antoine Castarède, la direction financière d’Eutelsat supervisait déjà, logiquement, les fonctions «régaliennes» que sont la comptabilité, la consolidation, le contrôle de gestion, le corporate finance, la trésorerie, le financement, le credit management, ainsi que l’audit interne. Elle incluait aussi les relations investisseurs et la fiscalité. «Si les missions de ces équipes n’ont pas toutes fondamentalement évolué, le principal défi des collaborateurs a consisté à adapter leurs façons de travailler au changement de taille du groupe», poursuit Antoine Castarède. Autre changement, l’intégration de la société mexicaine a conduit le directeur financier à transférer la direction des services informatiques «financiers» à la direction des services informatiques, qui rapporte pour sa part directement à la direction générale.«La séparation entre ces deux départements n’avait plus vraiment de sens car, à la suite de cette opération de croissance externe, nous avons décidé de déployer progressivement un ERP au niveau groupe dans le but d’optimiser le reporting et les processus concernant à la fois les fonctions financières et opérationnelles (achats, commerciaux, etc.), explique Antoine Castarède. Il était donc logique de regrouper les équipes en charge des systèmes d’information.» La direction des services généraux est pour sa part également sortie du périmètre de la direction financière pour rejoindre le service des ressources humaines, compte tenu de ses activités ayant davantage trait à la logistique et au social (gestion du parc immobilier, etc.), plutôt qu’à la finance.

 

Les missions du contrôle de gestion renforcées

En contrepartie, la direction financière d’Eutelsat s’est attribuée deux services qui étaient auparavant reliés à la direction générale : celui en charge du M&A et – fait peu courant – celui des achats. L’objectif principal de cette réorganisation consistait à renforcer la collaboration entre ces fonctions et les équipes financières dans le cadre, entre autres, de la prise de décisions ayant un impact sur la trésorerie du groupe, comme par exemple la négociation d’un contrat commercial.

Antoine Castarède ne souhaitait toutefois pas gérer seul l’ensemble de cette direction financière étoffée. C’est pourquoi il a délégué à sa directrice financière adjointe, Arianne Rossi, une partie de la supervision des équipes. «Elle est en effet l’interlocutrice principale des services en charge de la comptabilité et de la consolidation, du contrôle de gestion, du corporate finance, de l’audit interne, ainsi que de certaines de nos filiales basées à l’étranger», détaille Antoine Castarède. Cette organisation permet ainsi au directeur financier de consacrer davantage de temps au pilotage des autres équipes, notamment celles présentes dans les branches les plus importantes du groupe (voir encadré). «Avec mon adjointe, nous travaillons toutefois en étroite collaboration sur certaines tâches, par exemple en participant alternativement aux roadshows que nous menons régulièrement afin d’aller à la rencontre de nos actionnaires.»

Si les directions de la comptabilité et de la consolidation, de la trésorerie, du financement et du credit management, ainsi que celles du corporate finance et de la fiscalité gèrent principalement des tâches tout à fait «classiques», selon Antoine Castarède, certaines d’entre elles ont un périmètre d’activité particulièrement étendu. «La direction de la trésorerie, du financement et du credit management est en effet à la fois en charge du financement du groupe, par exemple des emprunts bancaires et des émissions obligataires, des placements de trésorerie, de la gestion des risques de change – Eutelsat étant principalement exposé de manière directe à l’euro et au dollar – et du recouvrement des créances clients, en collaboration avec la direction commerciale concernant ce dernier point», poursuit Antoine Castarède.

D’autres départements ont, pour leur part, vu leurs missions sensiblement évoluer au cours des dernières années.«Par le passé, la direction du contrôle de gestion accomplissait principalement des tâches de suivi budgétaire et du chiffre d’affaires, souligne le directeur financier. Nous avons souhaité qu’elle prenne davantage en compte des indicateurs opérationnels pour mesurer la performance du groupe et qu’elle analyse plus le financement des mécanismes de création de valeur. Désormais, elle évalue ainsi par exemple de manière précise la rentabilité de nos investissements par rapport au coût du capital employé, ce qui permet au groupe de tirer des enseignements sur la base d’éléments plus concrets que par le passé pour procéder à de futures décisions stratégiques.»

Quant à la direction des relations investisseurs, elle assure la communication financière auprès des prêteurs et des actionnaires du groupe. Alors que le flottant représente près de 62 % du capital d’Eutelsat, elle a notamment été chargée de présenter en 2014 un nouveau mode de versement des dividendes. «Dans l’optique de ramener notre niveau d’endettement à un niveau inférieur à 3,3 fois l’Ebitda à fin 2015 (contre 3,5 fois après l’acquisition de Satmex), nous avons commencé il y a deux ans à proposer à nos actionnaires de choisir entre un paiement du dividende en cash ou sous forme d’actions», explique Antoine Castarède. A ce titre, la direction des relations investisseurs a publié sur le site Internet du groupe une rubrique «frequently asked questions» (FAQ) consacrée à cette proposition. Un travail de pédagogie qui a contribué à son succès : 66 % des investisseurs ont accepté d’être payés en titres en 2014, incitant Eutelsat à renouveler l’expérience l’an dernier. La direction des relations investisseurs s’implique aussi dans le suivi de la notation du groupe par ses agences de notation, Moody’s et Standard & Poor’s. Une tâche également assumée par Antoine Castarède, en lien avec le département trésorerie, financement et credit management. «Alors que nous rencontrons généralement deux fois par an nos agences afin de leur présenter l’évolution de notre activité et nos perspectives, nous discutons en outre régulièrement avec elles en cas d’événements significatifs, comme par exemple lorsque nous avons acquis Satmex, confie Antoine Castarède. Ces échanges nous permettent notamment d’identifier les actions à mener pour maintenir notre profil de crédit dans la catégorie investment grade ou pour l’améliorer.» Actuellement, Eutelsat bénéficie des notes à long terme Baa3 chez Moody’s et BBB chez Standard & Poor’s.

Une gestion plus fine des risques

Pour sa part, la direction des risques a vu son périmètre d’action… doubler de taille ! «Lorsque celle-ci a rejoint mon champ de supervision, nous avons en effet décidé de lui attribuer également la gestion des assurances, qui était auparavant assurée par la direction des achats», explique Antoine Castarède. Un regroupement peu courant qui se justifie par la nature même des activités d’Eutelsat.«Le budget total de l’envoi d’un satellite dans l’espace représente en moyenne 250 millions d’euros, détaille Antoine Castarède. Compte tenu de l’importance de cette somme, nous nous devons de disposer d’une vision très précise des risques qui entourent le lancement et l’exploitation de ces appareils (perte du satellite au lancement, défaillance technique, etc.) pour pouvoir souscrire les polices d’assurances les plus adaptées.»

Si elle ne gère plus les assurances, la direction des achats s’est en revanche vu attribuer de nouvelles missions suite à son intégration au sein de la direction financière. «En effet, cette dernière assurait principalement des tâches administratives et exécutives avant mon arrivée, souligne Antoine Castarède. Nous avons décidé de remédier à cette situation en la faisant participer davantage à la définition des politiques d’achat du groupe. A ce titre, elle est notamment amenée à négocier les conditions de paiement avec nos fournisseurs, à organiser certains appels d’offres.» Le renforcement de ce mode de fonctionnement transversal concerne également la direction du M&A.«Certes, la réalisation d’acquisitions nécessitait déjà la collaboration de ce département avec la direction financière, en particulier avec la trésorerie, reconnaît Antoine Castarède. Mais l’intégration de celui-ci a permis à ses équipes de communiquer plus facilement avec les membres de la fonction finance.»

Des investissements évalués ex-post

Ainsi, la réorganisation de la fonction finance d’Eutelsat a contribué, concomitamment à la mise en place d’un important programme de réduction des coûts, à permettre au groupe de réaliser, à périmètre comparable, 9 millions d’euros d’économies en 2015 sur ses frais généraux par rapport à 2013 (lorsqu’ils représentaient 150 millions d’euros), soit 3 millions d’euros de plus que son objectif initial. Des résultats positifs qui ont incité la direction financière à poursuivre ses efforts en matière d’optimisation des dépenses. «Certains projets d’investissements se sont par le passé révélés moins rentables que prévu, par exemple parce que nous avions surestimé la demande de certains marchés, indique Antoine Castarède. Afin d’en tirer des enseignements, j’ai notamment pris l’habitude de présenter une fois par an au conseil d’administration une évaluation de la rentabilité d’un chantier déjà réalisé. Ce type d’analyse ex-post consiste, entre autres, à contrôler si le business plan initial du projet concerné a été tenu, si le chiffre d’affaires généré par celui-ci s’est révélé conforme à nos prévisions et d’analyser les raisons d’éventuels écarts.»

Satisfaite des effets produits par sa réorganisation, la direction financière d’Eutelsat ne compte pas s’arrêter là. En effet, elle entend par exemple continuer de renforcer sa collaboration avec les services opérationnels au cours des prochains mois, en particulier avec la direction commerciale. «Nous encourageons actuellement ces équipes à demander davantage d’informations à leurs clients situés dans les pays émergents, notamment concernant leur situation bancaire et financière, confie Antoine Castarède. Notre objectif consiste à pouvoir estimer plus précisément leur profil de risque crédit, afin de leur proposer des conditions de paiement (délais, garanties, etc.) adaptées et in fine de limiter les retards ou les défauts de règlement de créances.» La direction financière d’Eutelsat n’a probablement pas fini d’étendre son influence…

Le parcours du directeur financier : Antoine Castarède

Diplômé de l’ESCP Europe, Antoine Castarède débute sa carrière en 1985 au sein de la chambre franco-américaine de commerce, à New York. Il exerce ensuite comme chargé d’affaires chez Innovacom et Sofinnova, avant de rejoindre, en 1990, la direction de l’international de France Télécom. Il est ensuite promu, entre autres, directeur des fusions-acquisitions du groupe, puis, en 2003, directeur financier d’Orange France. Trois ans plus tard, il rejoint le groupe de télécommunications basé à Dubaï Oger Telecom en qualité de directeur financier. Depuis septembre 2013, il occupe le poste de directeur financier du groupe Eutelsat.

Différents paliers de reporting à l’international

  • Eutelsat compte une quarantaine de filiales et de bureaux commerciaux à travers le monde. Pour assurer une gestion efficace de ces structures, la direction financière, qui compte environ 80 collaborateurs au niveau groupe, a mis en place différents modes de supervision. «Les directeurs financiers de nos filiales les plus importantes, comme Skylogic (Italie) et Eutelsat Americas (anciennement Satmex) sont directement supervisés par leur direction générale locale, mais ils assurent également un reporting fonctionnel auprès de la direction financière groupe», souligne Antoine Castarède.
  • Eutelsat Americas présente la particularité de regrouper les filiales brésilienne et panaméenne du groupe. «Cette structure consolide les résultats de ces trois entités et constitue un “palier régional” en termes de reporting, compte tenu de la taille importante de ces filiales et leur proximité géographique», poursuit Antoine Castarède.
  • Dans certaines structures, le plus souvent de petites tailles comme des bureaux commerciaux, la direction financière groupe s’appuie sur des partenaires externes pour gérer les finances. «La gestion financière et la comptabilité d’une partie de ces entreprises, qui sont notamment basées en Afrique du Sud, à Singapour et à Dubaï, représentent des tâches qui sont souvent déléguées à des prestataires externes locaux, poursuit Antoine Castarède. Ces derniers rapportent alors généralement au directeur commercial de nos entités concernées, qui est parfois notre seul représentant sur place et qui assure ensuite le reporting de ces éléments auprès de la direction financière groupe.»

Les partenaires de la direction financière

Le pool bancaire d’Eutelsat Communications comprend actuellement dix banques : The Bank of Tokyo-Mitsubishi, UFG, Crédit Agricole CIB, HSBC, la brésilienne Intesa Sanpaolo, Société Générale CIB, Mizuho Bank, Landesbank Hessen-Thüringen Girozentrale, Sumitomo Mitsui Banking Corporation Europe Limited et la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d’Ile-de-France.

Le groupe n’hésite toutefois pas à solliciter d’autres établissements en fonction des opérations qu’il compte mener. «Nous étudions régulièrement d’autres offres afin de nous assurer que nos partenaires restent compétitifs», assure Antoine Castarède. Si le groupe ne s’entoure pas systématiquement de conseils financiers lorsqu’il réalise des levées de fonds, il lui arrive toutefois de lancer des appels d’offres dans le cadre de projets complexes. En 2013, la direction financière a ainsi été accompagnée par Rothschild & Cie pour mettre en place le crédit-relais (bridge loan) qui lui a permis de racheter Satmex.

Le contrôle et la certification des comptes d’Eutelsat sont assurés par les cabinets Mazars et EY. Le mandat de ce dernier a été renouvelé par le groupe l’an dernier, alors qu’il arrivait à échéance. 

La direction financière d’Eutelsat choisit ses conseils juridiques en fonction des opérations pour lesquelles elle les sollicite. Lors de l’acquisition de Satmex en 2013, elle a par exemple eu recours aux services de Dargent Avocats, de Debevoise et Plimpton LLP, ainsi que de Mijares, Angoitia, Cortes y Fuentes S.C. En avril 2015, c’est en revanche le cabinet Latham et Watkins qui l’a accompagnée dans sa levée de dette bancaire de 800 millions d’euros.

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