Stratégie

Une direction financière à la loupe… JCDecaux

Publié le 7 octobre 2016 à 16h38

Arnaud Lefebvre

Présent dans 75 pays, JCDecaux a placé la croissance externe au cœur de son développement. Ayant des répercussions directes sur la consolidation des comptes et la remontée du cash, cette stratégie a amené la direction financière à optimiser ses processus et ses outils en la matière. Elle l’a également conduite à lancer des roadshows dans de nouveaux pays afin d’élargir la base actionnariale du groupe.

A la tête de la direction financière de JCDecaux (3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015) depuis près de deux ans, David Bourg est actif sur tous les fronts. Après avoir piloté la seconde émission obligataire de l’histoire du groupe fin mai, être intervenu en support sur des acquisitions puis avoir travaillé sur la clôture et la publication fin juillet des comptes semestriels du leader mondial de la communication extérieure, il s’est notamment attelé, durant l’été, à l’organisation le mois dernier d’un roadshow inaugural en Suède. Pour le directeur général finance et administration de JCDecaux, le quatrième trimestre s’annonce tout aussi chargé. Au-delà des nombreux projets de croissance tant organique qu’externe que le groupe examine, cette situation s’explique par son champ d’intervention. «Mon périmètre est assez étendu puisqu’il couvre en effet presque l’ensemble des fonctions supports, à savoir, outre les services financiers corporate, les relations investisseurs et la communication financière, les fusions-acquisitions et le développement, la fiscalité, le juridique, les systèmes d’information, le développement durable et la qualité, ainsi que JCDecaux Link, l’activité dédiée à la connectivité», témoigne David Bourg.

N’ayant pas évolué depuis sa prise de fonction, cette liste de prérogatives s’est renforcée progressivement au fil des années. La dernière fois était en 2007, lorsque le départ en retraite du directeur général des opérations s’est traduit par un transfert des compétences informatiques et juridiques au profit de la direction financière. De quoi animer un peu plus des journées que les tâches financières remplissent à elles seules déjà considérablement. Et pour cause : présent dans 75 pays, JCDecaux consolide les comptes de plus de 350 entités !

Des marges de manœuvre laissées aux équipes locales

Pour mener ses divers chantiers de front, David Bourg peut néanmoins s’appuyer sur une organisation financière en partie décentralisée. «Dans la mesure où nos activités s’intègrent le plus souvent dans un environnement purement local (clients, partenaires, réglementation, etc.), il est légitime de laisser aux équipes locales, en particulier les comptables, les contrôleurs de gestion et les responsables financiers, une réelle autonomie. Nous ne détenons, par exemple, aucun centre de services partagés au niveau comptable et financier couvrant plusieurs pays.» Afin de coordonner l’ensemble, chaque pays est suivi par un directeur financier. «Pour les zones à forte croissance, nous avons nommé des directeurs financiers régionaux qui animent les équipes financières pays sous leur responsabilité.»Ces directeurs financiers régionaux sont au nombre de quatre : un pour l’Asie, un pour l’Amérique latine, un pour l’Afrique et un pour le Moyen-Orient.«Qu’il s’agisse des directeurs financiers pays ou régionaux, ils sont rattachés hiérarchiquement à leur direction générale locale et fonctionnellement à moi, signale David Bourg. Bien que les liasses de reporting soient directement consolidées au niveau du groupe, les interactions entre les services financiers corporate et les financiers des pays à forte croissance se font essentiellement via les directions financières régionales.» Les effectifs financiers et administratifs au sens large avoisinent 15 % des effectifs du groupe.

Une implication plus en amont des consolideurs dans le processus d’acquisition

Au niveau du siège, la direction financière et administrative stricto sensu, hors direction des systèmes d’information, ne compte qu’environ 80 collaborateurs, dont une trentaine à la direction des services financiers corporate (la consolidation, la trésorerie et le financement, le reporting et le contrôle de gestion). Le département dédié à la consolidation est particulièrement mis à contribution à l’aune de la stratégie de développement du groupe. «En deux ans, nous avons étendu notre présence dans plus de vingt-cinq nouveaux pays et, en un an, nous avons examiné près de quarante dossiers d’acquisitions, rappelle David Bourg. La charge de travail de cette équipe s’en trouve mécaniquement renforcée.» Afin de faciliter sa tâche, sa place dans le cycle de M&A a été repensée. «Depuis quelques années, les consolideurs sont impliqués de plus en plus tôt dans les projets de rachat, dès la signature du memorandum of understanding. De la sorte, ils peuvent préparer le plus en amont possible l’intégration des comptes des cibles.»Mais de manière plus générale, c’est le processus de consolidation dans son ensemble que la direction financière de JCDecaux a souhaité simplifier au maximum. «Au moment de notre introduction en bourse en 2001, nous avons rédigé un manuel interne détaillant aux responsables financiers locaux les règles à appliquer en IFRS pour clôturer leurs comptes, leur offrant ainsi un cadre clair, précise David Bourg. En outre, nous avons déployé le même système de reporting dans l’ensemble des pays, ce qui se traduit par des remontées d’informations homogènes.»

En outre, le quotidien de ce département a été récemment affecté par des évolutions de normes comptables. C’est le cas en particulier d’IFRS 11 qui, entrée en vigueur en 2014, interdit aux sociétés de comptabiliser les résultats de leurs co‑entreprises selon la méthode de l’intégration proportionnelle, au profit de la méthode de la mise en équivalence. Sous son effet, la seule ligne sur laquelle la société peut valoriser les comptes de sa co‑entreprise, intitulée «quote-part dans le résultat net des entreprises mises en équivalence», apparaît au bas du compte de résultat. De facto, tous les autres agrégats financiers situés au-dessus (chiffre d’affaires, résultat opérationnel, etc.) ne peuvent plus bénéficier de l’apport de la joint-venture (JV). «Au final, IFRS 11 fournit une image qui ne correspond pas à la réalité opérationnelle de notre groupe, regrette David Bourg. En plus des états financiers en IFRS, nous avons donc décidé de produire et de communiquer sur des données dites ajustées qui continuent à intégrer les sociétés sous contrôle conjoint selon la méthode de l’intégration proportionnelle conformément à nos historiques et à notre reporting de gestion opérationnelle sur lequel nous nous reposons pour prendre nos décisions et allouer nos ressources. Nous fournissons bien entendu une réconciliation entre les données historiques et IFRS et, si le procédé est désormais bien rodé, il a toutefois été lourd à mettre en place.»Depuis quelques semaines, c’est une autre norme, IFRS 16 (locations), qui focalise l’attention de cette équipe. «En raison de notre activité, nous sommes directement concernés par ce texte, applicable à compter de 2019. Nous venons donc de démarrer un projet qui vise d’une part à identifier ses impacts sur nos comptes, d’autre part à bien comprendre les traitements comptables à effectuer.»

Des réflexions sur les remontées de cash

De son côté, la direction en charge de la trésorerie et du financement recense cinq collaborateurs. Après l’extension l’année dernière du crédit revolving syndiqué de la société et l’émission obligataire de 750 millions d’euros sur sept ans réalisée fin mai, les aspects de financement sont temporairement derrière elle. A ce jour, sa principale réflexion concerne les remontées de cash au niveau du siège. «Même si nous disposons de cash poolings internationaux sur certaines régions, il nous est parfois impossible d’intégrer certains pays dans un tel mécanisme, signale David Bourg. D’ailleurs, un continent retient actuellement l’attention de la direction financière. «Alors que nous venons de nous renforcer en Amérique latine avec l’acquisition de Cemusa et des actifs d’Outfront, nous regardons comment optimiser la remontée de nos liquidités depuis cette région.»

Bien que le groupe soit présent dans 75 pays, la gestion du risque de change ne représente pas un enjeu déterminant. «Nos marges sont dans la grande majorité des cas couvertes naturellement car à la fois nos ventes et nos coûts sont libellés dans la monnaie locale, signale David Bourg. Nous avons certes quelques expositions directes sur certains pays comme le Kazakhstan (financement en dollar), mais il y est impossible ou trop cher de se protéger.» En termes de couvertures, les remontées de dividendes en monnaies étrangères font en revanche l’objet d’une protection une fois votées. Enfin, dans un contexte de taux faibles, voire négatifs, l’allocation de la trésorerie constitue une autre prérogative cruciale. Afin de réduire son coût de portage, c’est-à-dire le différentiel entre le taux auquel il emprunte et celui auquel son cash est rémunéré, JCDecaux avait notamment opté en 2015 pour un rachat d’actions, ce qui a contribué à faire passer sa trésorerie gérée de 836,6 millions d’euros en 2014 à 310,9 millions d’euros l’année suivante. Une enveloppe dont la société cherche aujourd’hui à optimiser les conditions. «Nos dépôts sont effectués sur des supports court terme, très liquides, qui offrent toujours une rémunération positive, précise David Bourg. Dans le but d’accroître cette dernière, sans augmenter significativement les risques pour autant, nous examinons en ce moment l’opportunité d’investir sur des produits affichant des maturités plus longues.»

Le chiffre d’affaires disponible le 1er jour du mois suivant

Segmentés, les départements dédiés au reporting et au contrôle de gestion regroupent, de leur côté, une quinzaine de membres à eux deux. En plus d’accompagner au plus près les équipes opérationnelles, une volonté forte de David Bourg, ceux-ci partagent une autre priorité. «Les cycles économiques étant de plus en plus courts, nous cherchons constamment à gagner en réactivité, insiste ce dernier. Cet objectif est en grande partie facilité par la digitalisation croissante de nos outils et de nos processus, qui nous permet de remonter et d’actualiser plus rapidement les informations financières.» L’un des indicateurs les plus regardés est le chiffre d’affaires. «Comme nous avons une structure de coûts fixes, cet agrégat est fondamental pour nous, souligne David Bourg. A ce titre, nous effectuons un suivi hebdomadaire. En outre, nous nous sommes organisés pour obtenir le chiffre d’affaires du mois écoulé le 1er jour du mois suivant. Cette célérité donne ensuite du temps aux contrôleurs de gestion pour mener une analyse fine des performances.» Quant aux prévisions budgétaires, elles sont mises à jour sur un rythme mensuel. «L’envoi de “latest estimates” chaque mois par les équipes locales permet d’aider leurs collègues du siège à mieux anticiper les évolutions à venir», apprécie David Bourg.

JCDecaux étant coté depuis 2001 et actif sur le marché obligataire depuis 2013, le dernier département de la direction financière est logiquement consacré aux relations investisseurs et à la communication financière. Depuis plusieurs mois, l’organisation de roadshows se retrouve au centre du quotidien des deux collaborateurs affectés à ces tâches. Soucieux d’élargir sa base d’actionnaires – plus de 70 % du capital sont détenus par la famille Decaux –, le groupe multiplie les rencontres avec de nouveaux investisseurs.«Après le Danemark récemment, puis la Suède en septembre, nous projetons de réaliser des réunions de présentation en Asie et au Moyen-Orient», informe David Bourg. De quoi augurer de nombreux déplacements dans les prochains mois pour David Bourg, d’autant que ce dernier a fait de sa présence sur le terrain une priorité. «Afin d’inculquer une véritable culture groupe au niveau local, il est important que mes N – 1 et moi-même soyons proches des collaborateurs des filiales, estime le directeur général finance et administration. A ce titre, j’ai souhaité renforcer ce lien depuis ma nomination en favorisant notamment les déplacements des équipes.» Cette quête de proximité avec la communauté financière atteint son paroxysme tous les trois ans environ, avec l’organisation d’un séminaire international. «A l’instar des autres fonctions, la finance dispose de son propre séminaire, qui permet à l’ensemble des collaborateurs du groupe de se retrouver et d’échanger durant quelques jours.» Un événement auquel David Bourg a participé sous sa nouvelle casquette pour la première fois en 2014. La date de la prochaine édition devrait être rapidement arrêtée.

Un recours au rating advisor

  • JCDecaux dispose à ce jour d’une double notation, attribuée par Standard & Poor’s (BBB) et Moody’s (Baa2). Pour l’accompagner dans sa relation avec les agences, le groupe a décidé de recourir il y a quelques mois aux services d’un «rating advisor». «A partir du moment où celles-ci se sont fait un avis quant au profil de crédit d’une entreprise, il est extrêmement difficile de les faire évoluer, constate David Bourg. Afin d’y remédier, nous nous faisons actuellement accompagner par un spécialiste externe, qui nous conseille sur les éléments de notre activité à mettre en avant vis-à-vis des analystes crédit.»

Le portrait de David Bourg

Agé de 46 ans, David Bourg occupe la fonction de directeur général finance et administration de JCDecaux depuis novembre 2014. Diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d’un master ainsi que d’un DEA d’économie de l’Université Paris-Dauphine, il débute sa carrière chez Deloitte & Touch, où il exerce notamment les postes d’audit superviseur en Argentine et d’audit manager en France. Il est recruté par JCDecaux en 2001 en qualité de responsable du développement, en charge notamment des projets de fusions-acquisitions. Quatre ans plus tard, il est promu directeur financier régional pour l’Asie, avant de devenir, en 2011, directeur général du groupe au Moyen-Orient.

Les partenaires de la direction financière

Banques

Disposant notamment d’un crédit syndiqué, la direction financière de JCDecaux s’appuie sur un pool resserré de neuf partenaires bancaires historiques : BNP Paribas, HSBC, la Société Générale, Natixis, Bank of Tokyo-Mitsubishi, Barclays, Crédit Agricole, CIC, et Standard Chartered. «Même si ces établissements bénéficient d’une forte exposition internationale, il arrive néanmoins qu’ils ne soient pas présents dans certains pays, ce qui nous amène à travailler avec des banques locales, précise David Bourg. De la même manière, la réglementation – en Chine par exemple quand des couvertures sont mises en place ou des transferts de fonds réalisés – ou nos concédants nous imposent parfois de recourir aux services de ces dernières.» Au total, le groupe collabore avec une quinzaine de banques dans le monde, un nombre que David Bourg s’est efforcé de rationaliser depuis deux ans.

Commissaires aux comptes

Les comptes de la société sont certifiés par deux grands cabinets, EY et KPMG, qui ont été désignés à la suite d’une procédure d’appel d’offres. «Notre volonté est de nous appuyer sur des acteurs internationaux, présents dans les zones géographiques où nous sommes implantés», souligne David Bourg. Partenaire le plus récent, KPMG a été retenu en 2007. «Le choix de ce cabinet a été facilité par le fait qu’il auditait une cible tout juste acquise en Chine et que le développement en Asie s’inscrivait, déjà à l’époque, au cœur de notre stratégie.»

Conseils

Sur le plan juridique, la direction financière collabore avec plusieurs cabinets d’avocats : Cleary Gottlieb Steen & Hamilton (droit boursier, opérations de marché), Darrois Villey Maillot Brochier (droit de la concurrence, fusions-acquisitions), Linklaters (M&A), Bird and Bird (activités de connectivité) et White & Case (financement). Des cabinets locaux sont également parfois consultés, comme par exemple lorsque des problématiques de droit public ou de concurrence entrent en ligne de compte.

En matière de croissance externe, la société se repose principalement sur son département interne dédié au M&A. Pour autant, il arrive que des prestataires externes soient mandatés, à l’image de PwC, de Deloitte et, pour certaines missions de due diligence en France, de Eight Advisory. Enfin, CMS Bureau Francis Lefebvre, Deloitte et des experts locaux assistent le groupe sur certains dossiers fiscaux.

Dans le cadre d’opérations spécifiques, des banques n’appartenant pas au pool peuvent être approchées. Pour son programme de rachat d’actions lancé en 2015, JCDecaux avait par exemple choisi de se faire accompagner par Goldman Sachs.

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