Table ronde

La prévoyance collective, transformer une charge en atout

Publié le 17 novembre 2017 à 12h13    Mis à jour le 17 novembre 2017 à 15h41

Propos recueillis par Eric Leroux

Peu connue, parfois méprisée, la prévoyance joue pourtant un rôle majeur dans les entreprises. Un rôle qui va bien au-delà de la simple complémentaire santé. Pour les participants à notre table ronde, les vrais enjeux se situent dans la couverture des risques graves, mais aussi dans celui des arrêts de travail. Avec un rôle qui va désormais plus loin que la seule couverture financière.

Santé, prévoyance : comment s’articule aujourd’hui la prévoyance collective en entreprise ? Tous les salariés sont-ils couverts ?

Pierre-Alain Boscher : Au-delà des protections des régimes obligatoires, il n’existe que deux obligations légales en matière de protection sociale complémentaire : l’ANI, c’est-à-dire l’obligation de couvrir l’ensemble des salariés en santé au travers d’un régime obligatoire d’entreprise depuis 2016, et la prévoyance des cadres, depuis 1947, qui oblige l’employeur à consacrer une cotisation de 1,5 % de la tranche A à leur protection.

S’ajoutent ensuite des obligations issues des conventions collectives. Il existe une centaine d’accords en santé dans les branches professionnelles qui viennent compléter la loi en spécifiant le niveau des couvertures devant être souscrites, supérieur au socle légal. Elles portent sur les garanties, le niveau des primes, et peuvent recommander la souscription dans des organismes assureurs déterminés.

Par ailleurs, environ 250 accords de branche couvrent des salariés en prévoyance lourde – décès, arrêt de travail, invalidité – au-delà des obligations légales. Pour autant, tous les salariés ne sont pas couverts. En santé, il existe de nombreux cas de dispenses et toutes les entreprises sont loin d’avoir suivi cette obligation, notamment dans les plus petites. Les risques encourus sont limités, puisque les sanctions sont essentiellement prud’homales. Le ratio de personnes couvertes devrait néanmoins continuer à augmenter.

Annika Milville : En santé, on commence à assister à une harmonisation des régimes, avec des obligations de socle minimum et de maximum, qui conduisent à des contrats uniques pour les entreprises, apportant les mêmes couvertures aux cadres et non-cadres. En prévoyance, nous ne sommes pas du tout à la même vitesse. La seule obligation légale date de 1947 et ne concerne que les cadres. Au plan conventionnel, il existe également quelques accords locaux qui peuvent concerner les populations non-cadres, mais ils sont rares.

La difficulté provient du fait que ces risques ne peuvent pas être pilotés de la même façon d’un point de vue budgétaire. Lorsqu’une entreprise affecte le même budget aux différentes populations, on constate fréquemment une sinistralité arrêt de travail plus importante chez les non-cadres, générant une forte consommation du budget au détriment de l’amélioration des garanties en cas de décès. Cela freine la recherche d’harmonisation au sein des mêmes entreprises. C’est particulièrement vrai pour les cadres, qui bénéficient de garanties décès assez substantielles par la convention collective de 1947

En synthèse, nous sommes face à des couvertures déséquilibrées, sans obligation hormis celle au profit des cadres en prévoyance, et avec des collèges cadres/non-cadres en prévoyance qui n’affichent pas la même sinistralité. En santé, la loi a conduit à une plus grande harmonisation et à la convergence des garanties.

Hubert Clerbois : La couverture est effectivement très différente entre les cadres et les non-cadres, bien qu’il existe nombre de conventions collectives prévoyant des couvertures pour les non-cadres. Nous constatons de plus en plus dans les entreprises une volonté d’harmoniser les couvertures entre les différentes catégories.

Il y a cependant une distinction à établir entre les grandes entreprises, qui ont négocié des conditions particulières et souvent plus généreuses avec les partenaires sociaux, et les PME. Soit ces dernières sont dans une branche avec un accord et elles l’appliquent au minimum. Soit il n’existe rien, et la plupart ne font donc rien.

A la différence de la santé, il y a encore beaucoup de choses à faire pour améliorer la prévoyance dans les entreprises. Mais tant qu’une loi n’obligera pas les employeurs à augmenter leurs engagements de protection, il y a peu de chances qu’elles s’y précipitent.

Vincent Harel : C’est le paradoxe de l’ANI : l’accord s’est centré sur la santé, soit un univers de risque qui était déjà très bien couvert, notamment en assurances collectives ou grâce aux mécanismes à caractère social comme la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) ou l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, sans augmenter le taux de couverture des Français. En revanche, l’accord ne s’est pas préoccupé du principal risque non couvert, c’est-à-dire la prévoyance des risques lourds des non-cadres. Or quand il existe des accords, la protection financière est souvent très insuffisante – une année de salaire, pas beaucoup plus – alors que les ayants droit de cadres peuvent prétendre à des indemnités bien plus importantes.

On n’a donc pas avancé sur le risque de prévoyance, alors qu’il est bien plus croissant que celui de la santé, en raison notamment du recul de l’âge de départ à la retraite qui, en prolongeant la durée d’activité, accroît le risque de subir un accident de la vie en étant toujours salarié. C’est pourtant un sujet de fond crucial qui n’est pas traité, en particulier dans les petites entreprises.

Les pouvoirs publics et partenaires sociaux avaient évoqué l’idée d’un ANI «prévoyance». Une idée toujours dans l’air ?

Vincent Harel : Cela pourrait effectivement être une contrepartie dans une négociation. Au-delà du décès et de l’arrêt de travail, il faudrait aussi se pencher sur un volet dépendance, qui est un sujet de plus en plus prégnant dans les entreprises. Nombre de salariés sont aujourd’hui des aidants, et cela incite à rechercher une couverture pour soi-même.

Annika Milville : Oui. L’ANI «santé» a été gagnant, car issu d’une négociation. L’accord n’a pas été imposé. Un ANI «prévoyance» pourrait donc être une bonne manière d’intégrer un socle minimum pour les risques lourds, en particulier pour des populations fragiles.

On sait cependant que les budgets sont contraints dans les entreprises et qu’ils ne sont pas extensibles. Même si les besoins sont réels, se pose un problème de financement. Il est d’autant plus important que la prise en charge de la couverture santé en capte une partie non négligeable.

Il ne faut pas non plus négliger la difficulté pour les entreprises d’aborder des sujets comme l’indemnisation lors des arrêts de travail, car cela oblige à négocier sur des thèmes sensibles et à ouvrir parfois une véritable boîte de Pandore.

Pierre-Alain Boscher : Le risque important de décès est effectivement très mal couvert. On peut donc regretter que les partenaires sociaux se soient emparés du sujet de la santé, pourtant déjà bien couvert par les régimes obligatoires, et qu’ils aient laissé en jachère la prévoyance, qui devrait être la première préoccupation. S’il y avait des ressources à affecter, il aurait mieux valu les allouer aux risques les plus graves.

Hubert Clerbois : C’est aussi une question de visibilité. Une complémentaire santé, c’est directement mesurable. La prévoyance, peu de gens savent ce que c’est, et nombre de salariés, y compris des cadres, ignorent tout des protections dont ils bénéficient. Il existe des grandes entreprises qui ont fait des efforts dans leur communication au travers du BSI (bilan social individuel), mais encore faut-il que les salariés aient envie de le lire. Il est donc plus facile de communiquer sur la santé que sur la prévoyance, à laquelle on ne s’intéresse que contraint et forcé la plupart du temps, à la suite d’un accident de la vie. C’est certainement une partie de l’explication de cet «oubli».

Où se trouvent les principaux axes de développement? Quels sont les thèmes les plus porteurs ?

Vincent Harel : En prévoyance, le risque le plus menaçant pour les entreprises est celui de l’arrêt de travail. On constate là une importante dérive depuis plusieurs années. Les budgets des employeurs étant contraints, les augmentations de tarifs passent difficilement. Ceci nous pousse à travailler de plus en plus sur la maîtrise de ce risque, soit de manière curative avec des services qui consistent à aider les salariés à revenir à l’emploi – cela se développe rapidement car l’impact sur les coûts, et donc sur les provisions, est immédiat – mais aussi avec une approche préventive.Au-delà de promouvoir l’activité physique, nous pouvons aller plus loin avec des analyses assez fines des arrêts de travail souvent liés à l’entreprise elle-même, et qui peuvent révéler des problèmes sur le management, l’organisation, les perspectives d’avenir. Avec l’aide des porteurs de la protection sociale, nous déployons des analyses et plans d’actions afin de permettre une meilleure compréhension et une amélioration de ces risques. C’est sans doute la seule solution, car les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et l’on ne peut pas indéfiniment augmenter les cotisations de 5 % ou 6 % par an ! Le principal sujet des entreprises en prévoyance doit donc être celui de la maîtrise des risques.Nous voyons aussi surgir des demandes pour des risques connexes, par exemple ceux liés aux maladies graves, ou maladies redoutées ; notre but étant de prémunir les salariés touchés par ces drames. Les solutions peuvent être financières, grâce au versement d’un capital pour équiper un logement ou prendre mieux en charge certains soins, mais aussi liées aux services permettant de faire face à ces situations. C’est un sujet sur lequel les DRH sont souvent démunis.L’avenir est donc à la maîtrise des risques et à des approches plus fines de certains besoins.

Hubert Clerbois : La dépendance est un sujet de grandes entreprises, mais face aux tarifs demandés ou aux garanties offertes, beaucoup ne vont pas plus loin dans leur réflexion. Sur ce sujet, rien n’est organisé dans les piliers de base, ce qui est un frein à la diffusion d’une couverture complémentaire.

Le concept de «cafeteria plan» mériterait, lui, d’être mieux connu. Même s’il est difficile à gérer pour les opérateurs, il pourrait répondre aux besoins de certaines grandes entreprises, en permettant à leurs salariés de moduler leurs garanties en fonction de leur situation personnelle.

Pierre-Alain Boscher : L’allongement de la durée d’activité et le recul de l’âge de départ à la retraite sont de vraies bombes pour la prévoyance, car il faut les financer. On ne prévoit pas officiellement de nouveau décalage de l’âge de départ, mais dans les faits, les salariés vont partir de plus en plus tardivement pour optimiser leurs droits. Cela aura des conséquences sur le provisionnement et le coût des régimes.

Deux sujets sont également importants. Tout d’abord, l’absentéisme, qui ne doit pas être abordé sous le seul angle assurantiel, mais avec une approche globale pour réduire l’impact sur l’entreprise. En effet, les coûts les plus élevés des arrêts de travail ne sont pas supportés par l’assurance : c’est l’entreprise qui les porte, par le fait d’avoir à remplacer les collaborateurs absents, de devoir parfois prévoir plusieurs personnes sur un même poste pour pallier les absences possibles de l’une d’elles. L’impact sur la rentabilité est fort, et dans certains secteurs, il est très sensible car il influe directement sur le chiffre d’affaires.

Il est vrai que ce sujet est délicat à aborder pour une entreprise, mais les enjeux méritent pourtant d’en parler pour agir. L’absentéisme n’est pas une fatalité, il faut ouvrir le sujet.

Deuxième thème : les services. Le marché doit se transformer pour passer du statut de vendeur de protection financière à celui de fournisseur de services de prévention. Ce changement de paradigme, de positionnement, se fait lentement. Le business model n’est pas trouvé, mais il existe un vaste champ de réflexion autour de ces services. Reste que s’ils sont performants, ils ont aussi un coût non négligeable : il faut donc les justifier par l’intérêt qu’ils procurent à l’entreprise et à ses salariés.

Annika Milville : Le marché de la prévoyance collective est très particulier, car il est tiré par les avantages fiscaux et sociaux. Les sujets de développement sur d’autres produits et services connexes à la prévoyance, santé ou dépendance, sont régulièrement évoqués avec les entreprises, mais lorsqu’elles découvrent que les cotisations versées au titre des services, d’aidants aux personnes dépendantes par exemple, ne sont pas déductibles fiscalement et socialement, elles renoncent généralement à souscrire. Les entreprises peinent à sortir de l’enveloppe fiscale et sociale de déduction, c’est une difficulté majeure.

Nous pouvons contourner en offrant des services accessoires à la garantie principale de prévoyance liés à l’acte de gestion, mais au-delà de ces services directement liés à la gestion ou au risque, le développement reste marginal. La perspective d’une prochaine réforme des retraites freine également les investissements sur de nouveaux produits ou garanties : les entreprises s’attendent à voir leurs charges augmenter, elles ne sont pas prêtes à s’engager volontairement sur de nouveaux dispositifs. Les entreprises seront frileuses tant que leur horizon n’est pas éclairci sur le front des réformes des régimes de retraite en particulier.

Par ailleurs, l’appétence aux couvertures prévoyance est difficile à identifier. Les préférences se portent aujourd’hui sur des sujets qui font davantage rêver, les services, le digital, ce qui va aider à aller au plus près des salariés. Ils sont moins coûteux que les améliorations de garanties prévoyance.

L’aspect budgétaire reste clé, et l’approche financière l’emporte souvent vis-à-vis de l’aspect social. Enfin, l’environnement législatif et réglementaire devient très compliqué pour les entreprises et les partenaires sociaux et constitue un frein supplémentaire au développement de la prévoyance d’entreprise.

Les entreprises consacrent des montants importants à la prévoyance. Valorisent-elles suffisamment cet effort ? Comment les aider à faire mieux ?

Annika Milville : En décès et invalidité, les entreprises consacrent des montants inégaux selon les catégories de salariés. Avec le 1,50 % tranche A et le plafond de 0,76 % qui doit être consacré au décès, cela procure des garanties extrêmement importantes pour le décès quand les populations sont jeunes – trois ou quatre ans de salaire – mais beaucoup moins si la population moyenne de l’entreprise est plus âgée, puisque le risque coûte plus cher à couvrir.

L’obligation de cotisation n’est donc pas adaptée à l’âge moyen des populations. Pour autant, la prévoyance reste dans des budgets qui pèsent la moitié de ceux consacrés à la santé – dans les grandes entreprises, les deux budgets sont plus approchants – et représente donc une dépense importante.

Nous avons évoqué les BSI (bilans sociaux individuels) qui restent très lourds à construire. Il y a des spécialistes qui essaient de valoriser toutes les cotisations versées par l’employeur, pour montrer que la relation financière ne se limite pas au salaire, mais la difficulté avec la prévoyance, c’est sa faible occurrence.

Les «cafeteria plans» peuvent représenter un vecteur de valorisation de la prévoyance en entreprise. En effet, ils obligent le salarié à s’interroger sur les garanties les plus adaptées à sa situation. Ce choix exige en contrepartie une communication importante au sein de l’entreprise ; les cafeteria plans sont de ce fait généralement réservés aux très grandes entreprises.

Vincent Harel : Nous pouvons faire l’équivalent d’un cafeteria plan dans des entreprises plus petites, mais à condition d’inverser la logique car c’est lors du règlement d’un sinistre que différentes options peuvent être choisies. Comme c’est compliqué de suivre dans le temps l’évolution précise de ses besoins, le salarié ne touche généralement pas au contrat de prévoyance et ce sont donc les bénéficiaires qui choisiront la réponse la mieux adaptée à leurs besoins, en retenant par exemple le paiement d’un capital au conjoint ou une rente éducation pour les enfants.

La valorisation de la prévoyance par les entreprises est plutôt un sujet de grand groupe avec d’importants engagements sociaux. Pour elles, la différenciation se fait aujourd’hui sur la prévoyance lourde, puisque la couverture santé s’est généralisée et harmonisée. Il y a également des approches dans le cadre de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), comme ces entreprises cotées qui s’engagent par exemple à garantir un an de salaire en cas de décès à l’ensemble du personnel mondial. C’est aussi une manière de valoriser l’entreprise auprès des actionnaires.

Le BSI, bien que très compliqué à faire et très sensible, est aussi un sujet qui revient régulièrement dans les discussions. Il est possible de l’accompagner, grâce aux évolutions technologiques, avec des outils informatiques centrés sur l’employé, qui permettent de simuler différents scénarios d’accident et de découvrir différentes options. Ces innovations viennent particulièrement des pays anglo-saxons, plus sensibles à ces questions en raison de l’absence d’Etat-providence, mais elles se développent de plus en plus en France.

Malgré tout, le sujet de la prévoyance n’est pas encore un véritable sujet de préoccupation. Il n’est d’ailleurs pas sensible dans le dialogue social, à l’inverse de la complémentaire santé. Elle est donc difficile à valoriser, quand bien même il s’agit d’un apport très utile.

Pierre-Alain Boscher : Non, les entreprises ne valorisent pas assez ces engagements au regard des sommes importantes qu’elles y consacrent et du temps et de l’énergie qu’elles y passent dans les discussions et négociations avec les partenaires sociaux, les courtiers, les assureurs.

Pour mieux la valoriser, le BSI constitue un très bon instrument, à condition d’en faire un réel événement. Il ne faut pas que cela devienne une commodité comme un bulletin de paie. C’est pourquoi les entreprises continuent souvent à privilégier l’option de donner un document sur papier, qui a plus de chances d’être lu qu’un accès à un site Internet. Il faut aussi, de manière plus générale, que les Français se montrent plus préoccupés par leur prévoyance et cessent de croire que l’Etat et l’employeur seront là en cas d’accident de la vie.

Hubert Clerbois : En termes de communication, on parle beaucoup de prévoyance dans l’entreprise quand on a modifié ou créé un contrat, mais cela s’arrête ensuite. Quant au BSI, peu de salariés le regardent vraiment, s’y intéressent et comprennent réellement les informations qui y figurent. La valorisation, entre les BSI et les plaquettes remises par les courtiers ou les assureurs, existe. Mais il faut une volonté de la diffuser, et ce n’est pas facile d’aborder ces sujets délicats.

La multiplicité d’intervenants dans le domaine de la prévoyance – la retraite chez X, la santé chez Y… – ne brouille-t-elle pas les cartes pour les salariés qui en bénéficient ?

Hubert Clerbois : Effectivement, il y a multiplicité d’opérateurs. Et selon les sujets, ce ne sont pas les mêmes «familles» qui interviennent. Pour la prévoyance et la santé, par exemple, on trouve les assureurs, les mutuelles, les courtiers, les institutions de prévoyance, et parfois certains groupes ayant plusieurs de ces casquettes.

Certaines entreprises font le choix d’un interlocuteur/intermédiaire unique au travers du courtier conseil et gestionnaire : le salarié ne connaît que le courtier. C’est le seul interlocuteur. En prévoyance le salarié n’a que très rarement affaire au prestataire assureur ou courtier. Il est donc rarement concerné par la complexité… sauf en cas de coup dur.

Vincent Harel : C’est la proposition de valeur de base du courtier conseil : nous sommes mandatés par nos clients pour trouver la meilleure solution auprès de l’ensemble des opérateurs de la place, que ce soit en santé, en prévoyance ou en retraite. Et au-delà, de se positionner en intégrateur de services.

Les plateformes que j’évoquais tout à l’heure se développent et la technologie permet justement d’aller chercher des garanties dans les établissements les mieux placés, puis d’apporter un guichet unique pour simplifier la vie des salariés. Le monde de la protection sociale est un monde très complexe, où les opérateurs sont divers et variés. Nous nous confrontons de plus à l’exigence de l’employé pour qui la vie doit être facile dans un environnement proche du monde de la grande consommation.

Pierre-Alain Boscher : L’angle le plus important aujourd’hui dans ce domaine est celui de l’expérience client. L’évolution est là, car la protection sociale d’un individu est constituée de multiples couches. Pour faire un bilan complet de sa situation, il doit aller sur le site Ameli pour l’assurance maladie de base, sur celui de la CNAV pour la retraite obligatoire, celui de l’Arrco et de l’Agirc, de la complémentaire santé, de l’épargne salariale, etc.

Même en prenant uniquement le volet santé, on observe que les services sont souvent éclatés. L’accès à la télémédecine, aux réseaux de soin ou les remboursements ne figurent pas sur les mêmes accès. C’est une explosion d’informations dans laquelle se perdent les salariés-consommateurs.

Les professionnels ont donc tout intérêt à mettre leurs informations en commun pour valoriser les différentes garanties apportées. Désormais, grâce à des agrégateurs, chaque client bancaire peut avoir une vision globale de ses comptes détenus dans plusieurs établissements. La même chose pourrait être faite pour la prévoyance d’entreprise et les autres dispositifs comme la retraite et l’épargne salariale.

Annika Milville : Le sujet concerne principalement les domaines comme la santé, que l’on consulte régulièrement. Dans le domaine de la retraite, nous avons beaucoup avancé ces dernières années et les salariés qui bénéficient de retraites complémentaires obligatoires Arrco/Agirc ont davantage d’informations et de contacts durant leur période d’activité, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans.

Concernant les parcours clients, la principale difficulté est à mon avis l’arrêt de travail, car il existe une vraie rupture entre différents acteurs qui se succèdent : l’employeur pour le début de l’arrêt de travail – indemnisation au titre de la loi de mensualisation puis de l’obligation conventionnelle – puis l’assureur ou le gestionnaire délégataire, et in fine l’assureur si l’incapacité de travail se consolide en invalidité. De nombreux acteurs donc pour un même sinistre qui touche généralement des personnes fragilisées. C’est un parcours tortueux, pour lequel nous devons tous progresser : employeur, organismes couvrant le régime de base, régime complémentaire et gestionnaires tiers.

Dans le contexte actuel de l’emploi, une offre de prévoyance ambitieuse est-elle vraiment un critère déterminant pour recruter des talents ?

Annika Milville : Dans les grandes entreprises, les «benefits» sont vraiment le sujet différenciant pour attirer les talents, et la prévoyance en fait partie. Lors du recrutement, les discussions ne s’arrêtent pas au salaire, d’autant plus si l’on se situe dans un contexte international, avec des questions de mobilité pour lesquels ces dispositifs prennent une importance capitale. Dans les entreprises qui ont une culture anglo-saxonne, cela fait d’ailleurs partie du package global.

S’il reste à faire dans les petites et moyennes entreprises au regard des moyens humains disponibles, les grandes entreprises disposent de forces dédiées incarnées par les directeurs des rémunérations et des avantages sociaux, dont la mission est justement d’élargir les avantages proposés aux salariés au-delà de la seule rémunération.

Pierre-Alain Boscher : Ce qui est déterminant, c’est d’offrir à chaque salarié une bonne couverture sociale, afin d’apporter une véritable protection contre des risques majeurs de la vie. Ces risques sont certes limités aux âges les plus jeunes, mais augmentent avec le vieillissement de la population employée. Et lorsque ces risques se réalisent, c’est un vrai drame pour la famille.

Reste que dans un contexte d’emploi difficile, on est aujourd’hui content d’avoir un salaire et on regarde peu le reste. Seuls quelques métiers spécialisés ou niches jouent cette carte.

Vincent Harel : Dans un contexte de guerre des talents, quand elle a lieu, la prévoyance est valorisée par les recruteurs car exigée par les salariés. Cela peut alors tourner à la course à l’armement. Néanmoins, pour la plupart des salariés, ce n’est pas le sujet de discussion primaire.

Le fait de ne pas en avoir pose cependant un vrai problème de responsabilité sociétale.

C’est aussi un marqueur de la politique de ressources humaines. On mesure mieux, au travers de ce prisme, quelles sont les entreprises qui sont paternalistes et pensent à l’avenir de leurs salariés et celui de leur famille, et a contrario, celles qui ne font rien et ne cessent de serrer tous les boulons. Il y a des cultures différentes, auxquelles les salariés peuvent être sensibles lors d’un recrutement, à condition que l’entreprise pense à mettre ses atouts en avant.

Hubert Clerbois : La prévoyance, c’est un sous-marin. Lors d’un recrutement, l’entreprise va exposer ce qu’elle apporte en mutuelle santé, en retraite ou en épargne salariale. Les salariés, peut-être par manque d’informations, ne s’intéressent pas aux aspects de prévoyance pure, pour la couverture des plus gros risques de la vie. Mais je partage l’idée qu’il s’agit de la responsabilité sociale de l’entreprise. Elle doit s’interroger pour savoir ce que deviendrait la famille d’un salarié qui perdrait la vie, même si cela n’a pas de rapport avec la vie professionnelle. Ce sont des sujets à aborder dans l’entreprise, pour l’ensemble de la population salariée. L’entreprise a un rôle à jouer et elle doit l’assumer.

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