Table ronde

Gestion obligataire : comment profiter du nouvel environnement ?

Publié le 3 juillet 2020 à 10h09    Mis à jour le 9 juillet 2020 à 15h32

Propos recueillis par Catherine Rekik

La crise du Covid-19 a rebattu les cartes sur les marchés financiers. L’intervention des principales banques centrales pour en limiter les conséquences sur le plan économique crée un nouvel environnement pour les investisseurs en obligations.

Quel bilan peut-on tirer de ce premier semestre et des conséquences de la crise du coronavirus sur les marchés obligataires ?

Sunjay Mulot

Nous avons vécu des mois historiques, puisqu’il s’agit de la pire crise sanitaire et économique jamais connue depuis la Seconde Guerre mondiale : la population a été confinée à travers le monde, l’activité mondiale s’est effondrée, et les prix du pétrole sont passés temporairement en territoire négatif. Les chiffres macroéconomiques ont connu de tels extrêmes que les échelles des graphiques n’étaient plus adaptées ! Nous sommes désormais dans la phase deux, qui consiste à vivre avec le Covid-19 et à tenter d’éviter une seconde vague. La reprise économique sera très lente et incertaine. Quoi que l’on fasse, nous ne retrouverons pas la trajectoire de croissance que nous avions avant la crise. Les dernières estimations de l’OCDE montrent d’ailleurs une chute vertigineuse de la croissance, de plus de 10 % en 2020 dans plusieurs pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, de 6 à 7 % aux Etats-Unis, au Canada et en Allemagne, et de 6 % environ pour la croissance mondiale. Et ce sous réserve que l’épidémie ne frappe qu’une seule fois. Les dettes publiques vont exploser, tandis que le chômage va atteindre des niveaux inédits. Cela aura un impact sur l’inflation qui devrait rester atone.

Nicolas Leprince

Ces six derniers mois se sont aussi caractérisés, sur les marchés financiers, par une absence de liquidité et des corrélations entre les classes d’actifs compliquées à gérer. Certains mouvements étaient surprenants : entre le 9 et le 19 mars, les taux d’intérêt ont beaucoup remonté, alors que nous étions dans une phase de risk-off. Les marchés se sont normalisés durant quelques semaines, mais n’ont pas réussi à se réguler car les flux étaient trop importants. Autre exemple : sur le marché des taux italiens, il existe un future, très actif en temps normal, sur lequel il n’était plus possible de traiter pour des tailles significatives. Alors que la liquidité est plutôt bonne sur ces marchés de taux, il y a eu des dysfonctionnements. Cela a offert des opportunités mais a aussi engendré des problèmes de corrélation entre les grandes classes d’actifs. Il y aura des conséquences, dans le futur, pour de nombreuses stratégies soucieuses de garder des actifs liquides dans les portefeuilles, d’autant que certains clients ont été choqués de l’illiquidité de certains produits ou par les mouvements un peu erratiques de certains ETF crédit.

Matthew Morgan

Même si elles ne sont pas totalement comparables, la crise du Covid-19 présente des similitudes avec celle de 2007-2008, notamment dans son aspect «credit crunch». En effet, pour la première fois depuis 2008, nous avons eu en même temps la panique des marchés, une vraie crise de liquidité et l’échec de la diversification. Il y a même eu des ventes forcées d’obligations souveraines pour des clients qui voulaient retrouver des liquidités. Cependant, cette période n’a duré qu’un mois. S’en est suivi une récupération certes partielle, mais qui a pris des années lors de la crise précédente. L’évolution des marchés reste toutefois très incertaine. Après cette récupération partielle, il nous semble que les marchés se rapprochent d’un point d’inflexion. Des conséquences difficiles de la crise vont sans doute se révéler plus tardivement dans l’année.

Cette récupération rapide résulte-t-elle de l’action des banques centrales ?

Matthew Morgan

La réponse monétaire et fiscale a été de grande ampleur. Les banques centrales ont tiré les leçons de la dernière crise, durant laquelle des réponses ont été apportées mais de façon fragmentaire, surtout en Europe où il a fallu attendre le discours de Draghi en 2012 pour avoir une réponse efficace. Cette fois-ci, l’action a été rapide et considérable, puisque les banques centrales ont réussi à éviter, dès fin mars, qu’une crise de liquidité temporaire ne devienne une crise de solvabilité. Il est probable que les banques centrales continuent à travailler étroitement avec les gouvernements pour maintenir les taux bas et permettre aux Etats surendettés de continuer à fonctionner. Les taux d’intérêt vont rester proches de zéro pendant longtemps. Cela explique, avec le retour d’un optimisme réservé, que les économies puissent redémarrer plus rapidement qu’on ne le pensait il y a quelques semaines. Cependant, on n’a pas encore pris connaissance des vraies conséquences économiques du virus, donc il faut s’attendre à de mauvaises nouvelles plus tard dans l’année.

Sunjay Mulot

Les banques centrales ont en effet apporté de la liquidité aux marchés et ont permis aux investisseurs de se refinancer dans des conditions optimales. Aux Etats-Unis, à fin mai, les sociétés ont émis en cinq mois l’équivalent du montant annuel moyen de ces dernières années. Néanmoins, il faut nuancer cet apport de liquidité, car l’effet peut être inverse à celui recherché. En permettant à ces sociétés d’émettre et en investissant dans le marché secondaire, les banques centrales contribuent à l’assèchement de ce marché. Il devient de plus en plus difficile d’obtenir du papier, notamment quand il est éligible comme collatéral aux opérations de refinancement de l’eurozone. Il me semble que seul le marché primaire va devenir pourvoyeur de liquidité, mais il faut s’attendre à ce que les primes d’émissions soient fortement réduites, voire parfois inexistantes par rapport au marché secondaire.

Romain Lacoste

Cette crise est unique par sa nature, une pandémie, ainsi que par l’ampleur du choc et des mesures, sans précédent, mises en place par les gouvernements et les banques centrales. Cependant, nous avons constaté une certaine hétérogénéité des performances selon les classes d’actifs. Dans un premier temps, en dehors des valeurs refuges, l’ensemble des actifs a évolué de la même façon mais, dans un second temps, certaines différences sont apparues. Les actions des sociétés technologiques ont bien surperformé, mais aussi les actifs qui bénéficient directement des largesses des gouvernements et des banques centrales, en particulier les obligations investment grade américaines et européennes ainsi que certains émetteurs high yield dans les marchés développés, alors que les émetteurs des marchés émergents n’ont pas forcément accès à ce type de liquidité. Ce qui entraîne une dislocation assez importante des niveaux des spreads par rapport à ce que nous connaissions auparavant, alimentée par cette prise de pouvoir des banques centrales. Les différences de performances ne sont pas nécessairement justifiées par les fondamentaux, mais par une dynamique de flux.

En quoi l’action des banques centrales est-elle différente de ce que nous avons connu ces dernières années ? Pensez-vous qu’il y aura plus d’impacts positifs cette fois-ci sur l’économie réelle ?

Nicolas Leprince

La banque centrale américaine est d’abord intervenue pour des raisons de liquidité au mois de mars, tandis que la BCE, après quelques discussions, a aussi réagi rapidement pour éviter un écartement des spreads de la plupart des dettes des pays de la zone euro. Ce qui change et qui pourrait être positif dans cette crise, c’est que les banques centrales et les régulateurs nationaux prennent des mesures qui ne sont pas contra cycliques. La Fed va par exemple acheter des dettes dégradées en high yield. Par ailleurs, alors que, au cours des précédentes crises, les banques avaient été considérées comme un problème dont la régulation avait contraint la relance économique mondiale, elles font aujourd’hui partie de la solution dessinée par les régulateurs et les banquiers centraux. Les besoins de capital des différentes banques ont été réduits pour pouvoir relancer l’économie. C’est là l’une des principales différences avec la crise précédente : l’impact de la relance devrait être plus important.

Matthew Morgan

L’action des banques centrales dans cette crise fait partie d’une tendance qui a débuté dans la période 2008-2009/2010. Nous sommes passés d’une innovation en matière de politique monétaire à une réaction pavlovienne des banquiers centraux. Cependant, depuis la dernière crise, nous avons vu que toutes les mesures d’assouplissement monétaire n’ont eu qu’un effet limité sur l’économie réelle. On peut donc douter que cela fonctionne cette fois-ci. Nous devrions voir apparaître des politiques de plus en plus innovantes pour tenter de changer cette dynamique, aider l’économie réelle et créer de l’inflation.

Romain Lacoste

Depuis la grande crise financière, les politiques monétaires mises en place ont en effet plus d’impact sur la valeur des actifs que sur l’économie réelle. Elles ont difficilement réussi à remettre l’économie sur les rails après 2008 et n’ont jamais réussi à relancer l’inflation alors que la plupart des actifs ont atteint des plus hauts historiques début 2020, notamment les actions américaines.

Les taux vont retomber à des niveaux très bas. Les différents quantitative easing vont avoir, à court terme, des effets positifs sur les valorisations des marchés obligataires, en particulier pour les émetteurs qui en bénéficient directement, mais aussi, à plus long terme, sur l’ensemble des émetteurs obligataires y compris high yield et émergents.

Sunjay Mulot

La crise de 2008 était essentiellement financière, avec des impacts sur l’économie. Aujourd’hui, la crise est mondiale, elle touche chaque individu. Les plans de relance sont des facteurs de soutien indéniables, mais il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de la crise sur l’économie réelle. Il y aura des mécanismes de transferts, mais seront-ils visibles ? Les consommateurs, qui sont en partie les artisans d’une relance économique durable, craignent pour certains une seconde vague épidémique et ont peur d’être licenciés. La transmission à l’économie réelle n’est donc pas si évidente ni rapide, même si les marchés financiers semblent optimistes compte tenu des interventions à l’ampleur sans précédent des banques centrales.

Peut-on imaginer, dans cette crise, que l’action combinée des banques centrales et des Etats à travers les plans de relance soit plus efficace ? Est-ce trop optimiste de l’envisager ?

Sunjay Mulot

C’est une vision encore trop optimiste, car il va falloir du temps pour se relever de cette crise. De nouveaux clusters apparaissent en Chine, avec des mesures de reconfinement. Les chiffres de contamination aux Etats-Unis demeurent inquiétants. Il faut savoir accompagner l’euphorie actuelle tout en restant prudents. Prenons l’exemple des taux de défaut qui sont des indicateurs retardés. Nous constatons, de façon empirique, que les pics de défaillance apparaissent six à douze mois après le point bas de la crise. Début 2021, nous pourrions donc observer un pic, notamment sur les PME, en dépit des aides, ce qui aurait un impact sur le chômage, la consommation, l’inflation et donc la reprise.

Beaucoup d’investisseurs sont revenus très vite sur les marchés actions, sur certains secteurs en particulier. Est-ce le cas également sur les marchés obligataires ? Comment les flux ont-ils évolué depuis le début de l’année ?

Nicolas Leprince

En dehors de la partie crédit investment grade aux Etats-Unis, nous n’avons pas observé de flux de souscriptions dans les fonds ou d’impact sur les marchés. Il y a eu des réactions aux annonces des banques centrales, mais nous constatons toujours des flux sortants sur le high yield européen depuis le début de l’année. Ces flux sont légèrement négatifs sur le high yield américain, et les encours sont stables sur l’euro investment grade. La classe d’actifs émergente est toujours en décollecte également. Les investisseurs n’ont pas véritablement profité de la baisse des spreads de crédit.

A la fin de l’année, sur la partie crédit invesment grade, la BCE pourra détenir pratiquement 25 % de son univers éligible, et les prix montent sur cette anticipation. Même chose du côté des Etats-Unis : la Fed va pouvoir déployer près de 250 milliards de dollars sur un univers investissable d’environ 1 300 milliards. Au cours des six à douze prochains mois, la Fed pourrait détenir 20 % du marché investissable. La remontée est liée à cela, et pas à des flux entrants importants provenant d’investisseurs vers la classe d’actifs.

Sunjay Mulot

Les chiffres publiés par certaines grandes banques montrent un retour des investisseurs sur la classe d’actifs obligataires, et ce dès fin mars/début avril. Nous ne sommes néanmoins pas encore revenus sur les niveaux d’avant-crise. Tous les secteurs n’ont pas été logés à la même enseigne : les secteurs les plus susceptibles d’être vulnérables à la crise ont été boudés, je pense à l’automobile, au tourisme, aux transports, alors que les secteurs plus défensifs tels que les services aux collectivités et les télécommunications ont conservé la faveur des investisseurs. La discrimination entre secteurs risque de perdurer, même si l’on observe plus récemment des flux sur les secteurs plus à risque.

Romain Lacoste

En ce qui concerne la dette émergente, les chiffres restent négatifs depuis le début de l’année, mais nous constatons une inversion de tendance depuis fin avril. En matière de valorisation, nous sommes encore loin des niveaux que nous avons connus en début d’année. Il reste un certain nombre d’incertitudes sur la suite de la crise économique. Il est difficile d’évaluer l’ampleur de la reprise, et surtout s’il y aura ou pas une seconde vague d’épidémie. Seule certitude : les valorisations sont attractives par rapport aux niveaux historiques, mais reste à savoir si elles sont justifiées ou pas, compte tenu des incertitudes.

Matthew Morgan

Nous avons constaté beaucoup de différenciation en fonction des segments de marché. La demande sur le marché de l’investment grade a rebondi assez vite. L’émission sur le marché primaire a battu des records. Début juin, il y a eu 17 milliards d’émissions en une seule journée, sursouscrites par le marché. En revanche, nous n’avons pas constaté de retour de la demande sur le high yield européen, y compris ces dernières semaines. Mais les investisseurs semblent plus optimistes, puisqu’il y a de nouveau des flux sur les ETF high yield venant notamment du retail, alors que nous ignorons toujours les réelles conséquences économiques de cette crise. Il faut donc faire preuve de sélectivité, car nous anticipons une remontée des taux de défaut vers la fin de l’année.

La remontée des taux de défaut est-elle le principal risque à surveiller à court terme ? Quels sont les autres risques ?

Matthew Morgan

Oui, c’est l’une des principales conséquences de la crise et un des principaux risques à surveiller avec la déflation. Il faut donc privilégier des entreprises qui disposent de liquidités suffisantes pour poursuivre leur activité. Par ailleurs, nous ne savons pas comment les gens vont réagir après le déconfinement, ni quand ils reprendront une vie normale. Face à ces incertitudes, la déflation et les faillites sont les principaux risques auxquels nous pensons. A plus long terme, les banques centrales et les gouvernements devraient faire tout leur possible pour faire repartir l’inflation. Cela devrait avoir des conséquences importantes pour les porteurs d’obligations.

Sunjay Mulot

La remontée des taux de défaut est un risque important, néanmoins, comme je l’ai mentionné précédemment, il sera visible dans les six à douze prochains mois. La crainte d’une deuxième vague et l’impact de la crise sur le chômage et sur la consommation sont à prendre en compte à plus court terme. Les consommateurs et les entreprises voudront probablement épargner davantage, ce qui est intrinsèquement déflationniste. Par ailleurs, à la suite des politiques de soutien monétaire, les marchés financiers se sont redressés, mais les investisseurs semblent oublier les prochaines publications de résultats trimestriels. Ces chiffres pourraient doucher l’optimisme des marchés s’ils étaient en deçà des attentes. De plus, il sera difficile pour de nombreuses sociétés de communiquer des prévisions de résultats tant le contexte est incertain.

Nicolas Leprince

La sélectivité s’impose en effet, car des défauts vont se matérialiser dans les prochains mois. Nous n’avons pas beaucoup de visibilité, même si les mesures de soutien ont été extraordinaires. Cependant, nous estimons que les élections américaines restent l’un des principaux risques à venir pour les marchés. On devrait en entendre parler de nouveau à la fin de l’été. Le risque ne concerne pas forcément l’élection présidentielle, mais plutôt la perspective d’une victoire des démocrates au Sénat alors qu’ils ont déjà la majorité à la Chambre des représentants. Actuellement, le Sénat est républicain à une courte majorité, mais 35 sièges sur 100 sont remis en jeu. Le marché sous-estime une victoire totale des démocrates, qui pourrait donner lieu à l’adoption d’un programme économique peu apprécié par les milieux financiers. Ce risque, pas encore intégré par les marchés, doit être pris en compte.

Ce risque vous semble plus important que la perspective d’une réélection de Trump précédée d’une escalade du conflit sino-américain…

Nicolas Leprince

Les marchés financiers ont compris que la Chine était un bouc émissaire pour Trump. Si ce dernier est réélu, il devra toujours composer avec une Chambre des représentants démocrate. Les Chinois vont faire le nécessaire pour remplir les termes de l’accord conclu cette année. Les tensions peuvent revenir de façon récurrente, mais ne constituent pas, selon nous, un risque important.

Romain Lacoste

Une deuxième vague de contamination serait, selon nous, le principal risque à court terme pour les marchés financiers. Il aggraverait la récession. La Chine et la Corée du Sud ont de nouveaux clusters et, si la situation devient incontrôlable, l’optimisme de ces dernières semaines sera remis en question. Un trimestre supplémentaire avec une telle récession serait dommageable pour l’univers corporate, car certaines entreprises fragiles, mais qui avaient réussi à échapper à la première vague, ne se remettraient pas de la seconde. La remontée des taux de défaut serait alors plus importante que les anticipations actuelles.

Bien que l’inflation ne soit pas un risque à court terme, faut-il tout de même s’en inquiéter ? Et quelle zone serait la première concernée ?

Matthew Morgan

Les pays surendettés sont ceux qui auraient le plus besoin d’avoir de l’inflation. Cela concerne donc l’ensemble des pays développés. Les banques centrales ont besoin de stimuler l’inflation pour faire face à ce surendettement. Or, depuis 2008, elles n’y sont pas parvenues, ni en Europe, ni au Japon, depuis 30 ans !

Après cette crise, il y aura des pressions politiques partout pour réduire les inégalités sociales. Il faudra de l’inflation pour pouvoir continuer à emprunter de l’argent et mener ces politiques. Le risque est que les politiques monétaires soient toujours plus accommodantes – on évoque ainsi la possibilité «d’hélicoptère monétaire» –, avec des risques importants pour les marchés obligataires, notamment pour les obligations souveraines qui vont perdre leur valeur. Nous n’en sommes pas là, mais il faut garder un œil sur ce risque.

Romain Lacoste

Contrairement à ce que nous avons connu ces dernières années, le risque inflationniste dans les pays émergents est assez faible, à part dans des pays comme l’Argentine ou le Vénézuela. La tendance est plutôt déflationniste, en raison du ralentissement de la croissance mondiale. Les politiques monétaires sont plutôt orthodoxes, y compris dans des pays comme la Turquie qui fut longtemps un mauvais élève. Comme dans les pays développés, on commence à voir des baisses de taux et des programmes de rachats d’actifs, mais loin d’être de même ampleur qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Comme les taux sont assez bas, il y a beaucoup de refinancements en monnaie locale dans les grands pays comme le Brésil, l’Inde ou la Chine. Cette tendance devrait s’accentuer dans les prochains mois.

Nicolas Leprince

Les taux réels deviennent un actif intéressant, puisque nous allons profiter de la hausse des anticipations d’inflation et du maintien des politiques monétaires accommodantes. Nous favorisons donc les stratégies de taux réels dans les portefeuilles, surtout aux Etats-Unis, car la Fed nous semble la plus crédible, sur des maturités intermédiaires.

Sunjay Mulot

L’inflation à horizon même moyen terme me semble un doux rêve. Pour les raisons que j’ai pu évoquer précédemment, le risque est selon moi plus du côté déflationniste. Que l’on regarde les estimations de l’OCDE ou bien les anticipations d’inflation, tant en zone euro qu’aux Etats-Unis, l’inflation ne sera pas au rendez-vous dans l’immédiat. Je n’ai donc pas de stratégie inflation dans le fonds pour le moment.

Dans l’environnement actuel, quelles sont les classes d’actifs obligataires les plus attractives ? Quelles perspectives de rendement peut-on espérer ?

Nicolas Leprince

L’exposition à la dette émergente a été renforcée dans le portefeuille pour plusieurs raisons. Une partie de cette dette est notée investment grade, aussi bien dans le crédit que dans les obligations souveraines. La crise et la baisse du prix du pétrole ont offert des points d’entrée dans les pays du Moyen-Orient concernant des beaux noms notés A qui offrent un potentiel de sécurité et de visibilité à moyen terme. Jusqu’à fin 2019, la perspective d’une remontée des taux américains constituait le principal problème pour cette classe d’actifs, les taux américains devenant des concurrents de la dette émergente. Aujourd’hui, nous avons d’un côté des taux américains qui vont rester bas probablement durant deux ans et un dollar qui ne devrait pas s’apprécier de façon importante. D’un autre côté, certains pays émergents ont une qualité de crédit plutôt bonne. Il me semble même que l’investment grade dans la dette émergente est bien plus attractif actuellement qu’il y a six ou douze mois. C’est un actif qui a beaucoup de valeur.

Sunjay Mulot

Dans le creux de la vague, tout était à acheter, la dette émergente, les dettes corporate hybrides, etc. Nous avons profité du contexte pour investir dans la dette émergente pour accompagner le processus de normalisation. Face aux écarts de rendement avec les indices actions, celui du S&P 500 en particulier, et les emprunts d’Etat, le marché du crédit présente de l’intérêt aussi bien sur les notations investment grade que high yield, ce dernier offrant par exemple des rendements de l’ordre de 7 %. La faiblesse des dividendes est un facteur de soutien pour les détenteurs de dettes d’entreprises. Autre soutien, celui des banques centrales qui, en achetant en grande quantité des dettes souveraines, poussent les taux gouvernementaux sur des points très bas. Cela incite les investisseurs à se tourner vers le crédit à la recherche de rendement. Nous avons ainsi augmenté de façon non négligeable l’exposition du fonds au marché du crédit, à la fois sur des valeurs sanctionnées dans le secteur de l’énergie, mais aussi sur des foncières et sur des secteurs résilients ou pouvant bénéficier du rebond comme la construction. Nous avons également été très tactiques sur les futures lors des phases de volatilité afin de tirer parti des mouvements de marché.

Romain Lacoste

Nous avons également une vue positive sur la dette émergente. Nous attendons une augmentation relativement modérée des défauts pour les corporate émergents, contrairement aux Etats, avec les défauts de l’Argentine, de l’Equateur et du Liban.

Dans l’ensemble, les pays émergents ont dû faire face à un certain nombre de crises dans les années précédentes – Russie en 2014, Brésil en 2015, Turquie en 2018 et Argentine en 2019 –, qui ont provoqué la disparition des sociétés les plus fragiles. Aujourd’hui, les entreprises émergentes sont en moyenne bien capitalisées, peu endettées par rapport à ce que l’on peut voir en Europe, y compris dans l’investment grade, et solides. Nous avons une préférence pour les durations longues sur l’investment grade et sur le segment BB, car les spreads sont relativement attractifs. Ce sont des obligations qui vont profiter de l’environnement monétaire très favorable dans les pays développés pour les deux prochaines années. Par ailleurs, les agences plafonnent les notations des entreprises en fonction des notations du souverain. Beaucoup d’entreprises ont ainsi une qualité intrinsèque de crédit très bonne, mais avec une notation similaire à celle du pays. 50 % des dégradations des notations d’entreprises sont liées à la dégradation du souverain. On trouve donc des poches d’opportunités intéressantes sur des entreprises de qualité dans des pays en difficulté. En mars, nous avons investi dans des entreprises en Afrique du Sud après la dégradation du souverain de Baa3 à Ba1 par Moody’s, mais aussi en Argentine.

Matthew Morgan

Globalement, notre portefeuille est toujours conservateur, et la préservation du capital reste notre principal objectif. Nous prévoyons toujours une convergence des taux d’intérêt entre les Etats-Unis et l’Australie, par exemple, avec l’Europe et le Japon. Les obligations souveraines représentent 40 % de l’exposition, avec une duration de 6,5 ans. Nous avons profité de la crise pour acheter des obligations investment grade de façon opportuniste, mais en sélectionnant les obligations avec une certaine prudence. Nous sommes très disciplinés sur le crédit de qualité, en privilégiant les profils défensifs. Nous cherchons également des petites poches d’opportunités pour diversifier le portefeuille. On en trouve dans les pays émergents, mais en évitant les sociétés trop exposées à la Chine dont la croissance ralentit. Une des thématiques actuelle est les producteurs de viande présents notamment en Amérique du Sud.

Faut-il s’intéresser aux subordonnées financières ?

Nicolas Leprince

En début d’année, nous avions une exposition plus importante aux subordonnées financières qu’au high yield, et force est de constater que cela a plutôt bien fonctionné. Les changements réglementaires ont renforcé le côté résilient de la classe d’actifs qui concerne des gros émetteurs, pour lesquels il est peu probable qu’il y ait des défauts dans les portefeuilles. Nous estimons que les coupons seront bien payés. Nous allons continuer à privilégier cette classe d’actifs plutôt que le high yield.

Sunjay Mulot

A la différence de 2008, les banques sont aujourd’hui dans l’ensemble mieux capitalisées et affichent des bilans plus sains. Nous avons donc jugé opportun, dans le creux de la vague, de nous exposer davantage à cette sous-classe d’actifs obligataires, notamment sur les dettes seniors non preferred et Tier 2 de banques solides à nos yeux.

Matthew Morgan

Depuis la dernière crise, l’image des banques a évolué grâce à la régulation. Les banques centrales et les gouvernements voient les banques comme une partie de la solution à la crise, un moyen d’injecter de l’argent à l’économie réelle. Il y a peu de crainte de défaut des grandes banques européennes.

Quels sont les atouts d’une approche flexible dans le contexte actuel ?

Sunjay Mulot

Etre flexible, c’est être capable de réagir rapidement face aux changements soudains de direction du marché. Il est judicieux d’avoir recours à des dérivés pour pouvoir être réactif, surtout dans des phases où la liquidité est moins importante, et implémenter des stratégies d’arbitrage entre les différentes zones géographiques afin de bénéficier du différentiel de croissance entre elles. Une autre des caractéristiques des fonds flexibles est leur capacité à passer en duration négative. Même si nous estimons aujourd’hui qu’il est encore trop tôt pour être en duration négative, nous avons la capacité de le faire jusqu’à moins dix années. Pouvoir exploiter une telle amplitude est important dans notre style de gestion. Par ailleurs, n’étant pas contraint par un indice de référence, nous pouvons être absents d’un pan entier de l’univers d’investissement si nous l’estimons nécessaire, et ainsi adapter notre allocation aux cycles économiques des marchés. Enfin, un fonds flexible permet d’aller chercher les opportunités là où elles se trouvent et ainsi de générer des revenus à partir de sources diverses. Telle est la solution proposée par notre fonds.

Matthew Morgan

L’objectif est d’optimiser l’allocation obligataire dans tous les environnements de marché. Les investisseurs doivent avoir confiance dans notre capacité à préserver et à faire croître le capital quel que soit l’environnement. L’allocation peut être diversifiée dans tout l’univers obligataire mondial.

Notre portefeuille est aujourd’hui très différent de ce qu’il était en 2016 dans un autre contexte obligataire, que ce soit en matière de duration ou d’exposition à certaines classes d’actifs. Il est important d’utiliser cette flexibilité qui permet de naviguer à travers les différentes phases des cycles économiques sur longue période.

Nicolas Leprince

Il faut pouvoir faire évoluer l’allocation de façon significative, pour le bien de la performance à long terme du fonds. Il faut en effet pouvoir être absent d’une classe d’actifs et y investir de nouveau si l’environnement évolue. Notre exposition au crédit invesment grade est passée de 0 à 25 % depuis le début de l’année, par exemple. La raison d’être d’un fonds flexible est d’être agnostique par rapport à un benchmark.

Romain Lacoste

Dans notre gestion sur la dette émergente, nous pouvons intervenir dans la duration, la notation, dans les secteurs et dans les situations géographiques. Les dynamiques peuvent être très variées selon les pays en temps normal ou en période de crise généralisée. Certains vont mieux résister que d’autres en termes de valorisation ou de dynamique économique locale. Actuellement, il y a un écart de 250 points de base entre le high yield en Amérique latine et le high yield en Asie. L’allocation du fonds varie en fonction de ce qui nous semble le plus intéressant en matière de profil risque/rendement.

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