Table ronde

Gestion thématique : comment profiter des tendances de long terme ?

Publié le 25 février 2021 à 13h22    Mis à jour le 26 février 2021 à 10h30

Propos recueillis par Catherine Rekik

Le succès de la gestion thématique semble s’accélérer depuis la crise du covid-19. Comment expliquer ce phénomène ? La gestion thématique rend-elle plus facile l’exposition au risque actions, notamment pour la clientèle privée ? En quoi le vieillissement de la population et la santé constituent-ils des thématiques d’investissement ? Comment les univers d’investissement sont-ils définis ? Les fonds thématiques peuvent-ils traverser différents cycles de marché ? Thématique et investissement responsable sont-ils forcément liés ? Quels sont les atouts de la gestion active en matière de gestion thématique ?

Ces dernières années, l’offre de fonds thématiques n’a cessé de s’enrichir et rencontre beaucoup de succès auprès des investisseurs. Comment l’expliquez-vous ?

Nathalie Pelras

La gestion thématique permet de s’extraire de la gestion classique, ce qui explique en grande partie son succès. Traditionnellement, les fonds avaient une approche généraliste ou sectorielle. Or, il faut que le timing soit bon pour investir dans un secteur et, pour un gérant, être capable de faire face à de grosses sorties d’encours quand le secteur n’est plus à la mode ou trop cher. La gestion thématique permet de s’extraire de cette contrainte sectorielle, et surtout de pouvoir raconter une histoire avec un fil conducteur dans la gestion. L’investisseur devient ainsi, avec le gérant, partie prenante de l’histoire dans laquelle il investit.

Christine Lebreton

La notion d’histoire est en effet importante, car la gestion thématique touche à des sujets qui parlent vraiment aux investisseurs, institutionnels ou particuliers, faciles à comprendre et qui répondent à des enjeux de taille liés à l’environnement et aux évolutions de la société en général. C’est ce que l’on appelle des « mégatendances », des tendances de long terme qui transforment les sociétés, les besoins et les services. Les perspectives de croissance et de valorisations boursières des sociétés exposées à ces tendances sont ainsi importantes.

Thierry Rigaudière

La gestion traditionnelle a été attaquée par la gestion passive. Raconter des histoires à travers des mégatendances a permis de renouer avec une gestion de conviction non benchmarkée. La gestion thématique a créé une opportunité de retrouver une liberté d’investissement et de choix, de reconstruire des paris dans une gestion qui n’est pas contrainte par un indice de référence comme dans la gestion traditionnelle ou dans la gestion passive. C’est l’occasion pour les gérants actifs de se distinguer par le stock picking.

Olivier Cassé

Nous pouvons remarquer que le succès des fonds thématiques, ces dernières années, s’explique aussi par leurs bonnes performances. Ces fonds sont très souvent positionnés sur des tendances de long terme et de croissance. Nous voyons que, depuis dix ans, ce sont ces valeurs de croissance qui surperforment sur les marchés. En outre, l’offre crée la demande. Il y a eu de nombreux lancements de fonds thématiques ou transformations de fonds existants, notamment sur l’ISR et le « green », expliquant la hausse des encours sur ces stratégies.

Thierry Rigaudière

Un fonds thématique permet à un client de savoir dans quoi il investit. Auparavant, nous avions des fonds sectoriels, mais la crise des valeurs technologiques en 2000 a fait prendre conscience de l’étroitesse de certains secteurs et de leur cyclicité. La gestion thématique permet d’être transversal dans quelques secteurs, avec un biais croissance. Or, depuis dix ans, en effet, c’est ce style qui surperforme et qui est le plus recherché par les investisseurs. 

S’il y avait un retournement de style un peu plus marqué que celui que nous avons connu récemment sur les marchés, il serait intéressant de voir comment se comporte la gestion thématique, et s’il émerge une offre de fonds thématiques avec un biais plus « value » mais également transversale dans quelques secteurs. Jusqu’à présent, la forte corrélation entre thématiques et croissance a payé, mais on peut s’interroger sur le différentiel de performance entre les mégatendances et les fonds plus cycliques.

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

Les investisseurs manifestent de l’intérêt pour donner du sens à leurs investissements, surtout les investisseurs français, qui ont moins d’appétit pour la Bourse que les investisseurs européens. La crise du Covid-19 a clairement accéléré ce phénomène, notamment en raison des dislocations entre les secteurs et des asymétries de performance. Des thèmes ont émergé en termes de performance, comme les innovations technologiques et les enjeux liés au changement climatique.

Par ailleurs, même si, au niveau des marchés, on peut se poser la question de se positionner davantage sur la croissance que sur le biais « value », il n’est pas inconcevable d’avoir un biais « value » dans un portefeuille thématique. Cependant, la gestion thématique repose sur l’idée que le marché est efficient à court terme, mais qu’il n’identifie pas forcément des tendances de croissance disruptive sur le long terme. Il est donc possible de tirer avantage d’une anomalie de prix sur des tendances de très long terme.

Nathalie Pelras

Historiquement, un amalgame a été fait entre gestion thématique et mégatendances. Une thématique n’est pas forcément une mégatendance de croissance. Il y a eu aussi un amalgame entre gestion thématique et gestion ISR. Or, à l’origine de la gestion thématique, il n’y a pas de biais. Dans certaines thématiques comme le vieillissement de la population, on ne trouve pas uniquement des valeurs de croissance. Les fonds investis dans tous les domaines de la santé, et pas seulement dans les sociétés biotechnologiques, ont un biais plus « value » et défensif que « croissance ». Dans notre fonds de fonds, ceux investis dans des thématiques comme la nutrition, l’Afrique, etc., ont des performances très différentes de celles de certaines mégatendances. L’avantage d’une thématique est d’être très ouverte, ce qui permet de lui donner un biais « value », défensif ou croissance.

Thierry Rigaudière

En effet, la plupart des fonds thématiques lancés après l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000 étaient des fonds de restructurations. Ces fonds sont aujourd’hui devenus des fonds de disruption, qui ont un biais croissance car ils sont investis dans des sociétés en devenir. Je suis d’accord avec l’idée qu’il ne faut pas systématiquement assimiler thématiques, mégatendances et forte croissance.

Les fonds thématiques permettent-ils d’amener sur les actions des clients plutôt averses au risque ? Avez-vous constaté une évolution du profil des investisseurs intéressés par ce type de gestion ?

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

Le démarrage a été un peu lent, surtout marqué par un intérêt du retail mais concentré sur quelques fonds. L’ampleur de ce que représente la gestion thématique pour l’investisseur final a peut-être été sous-estimée au départ. La tendance s’est ensuite accélérée et, progressivement, les investisseurs institutionnels s’y sont intéressés. Jusqu’à présent, ils ont plutôt privilégié la gestion ISR et les fonds environnementaux, concernés par l’impact de leurs investissements, mais ils s’interrogent désormais sur la meilleure façon de tirer avantage de certaines mégatendances.

Olivier Cassé

Le profil des clients investis dans GIS SRI Ageing Population est diversifié, entre particuliers et institutionnels, avec un intérêt de ceux-ci à la fois pour la thématique et pour l’approche ISR retenue pour sa gestion. Depuis trois ans, les investisseurs institutionnels sont très sensibles à l’investissement responsable, tandis que la thématique du vieillissement de la population s’inscrit dans un horizon de long terme compatible avec leurs engagements, comme c’est le cas avec les caisses de retraite. En parallèle, le développement de la clientèle retail va s’accélérer à mesure que croît leur intérêt pour les marchés actions, dans un environnement de taux bas et d’érosion des rendements des fonds en euro. La crise a engendré un excédent d’épargne significatif. Cette épargne peut générer un rendement plus élevé à condition que la prise de risque soit acceptée. Une partie pourrait donc être transférée vers les marchés actions dans les prochains mois, et en particulier vers les fonds thématiques. La gestion d’actifs n’échappe pas aux grands phénomènes de société : les gens veulent agir de façon plus responsable, et les clients plus seniors sont attentifs à l’impact de ce qu’ils vont léguer à leurs enfants et petits-enfants.

Les particuliers ne risquent-ils pas d’être tentés par les thématiques à la mode, et donc de ne pas investir au bon moment et d’être ensuite déçus par les performances ?

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

Une thématique intéressante ne signifie pas que le timing d’investissement est opportun. Il faut donc regarder un portefeuille dans son allocation globale. Il faut envisager l’investissement dans une perspective de long terme et peut-être en overlay d’une gestion traditionnelle. L’investissement dans une thématique ne peut pas remplacer une gestion globale, à moins d’avoir une approche multithématique, bien diversifiée.

L’idée est plutôt de bénéficier de ces grandes tendances dans un portefeuille, avec le risque que cela représente, car il s’agit quand même d’un investissement en actions : il peut y avoir des aléas de marché, même si la tendance est porteuse sur le long terme.

Nathalie Pelras

La gestion thématique ne va pas remplacer toute la gestion. On parle essentiellement de fonds investis dans les actions, même s’il en existe avec tout ou partie en obligations de type « green bonds ». Nous avons lancé un fonds de fonds centré sur les thématiques qui contribuent au bien-être de l’homme et de la planète mais, auparavant, nous avions mis en place un mandat thématique dans notre offre de gestion sous mandat, l’idée étant d’avoir une approche dynamique avec un choix très large d’allocation actions.

Aujourd’hui, il y a trois façons d’investir la poche actions d’un portefeuille. La première consiste à choisir des gestions opportunistes fondées sur un stock picking pur sans contrainte de benchmark. La deuxième façon est d’investir dans la gestion passive, dans des ETF de plus en plus sophistiqués et intelligents, qui permettent de compléter là l’approche opportuniste. Enfin, il y a la gestion thématique. La construction entre ces approches se fait en fonction de l’aversion au risque du client. Si ce dernier est averse au risque, on aura tendance à surpondérer les thématiques plus défensives comme le vieillissement de la population ou la nutrition.

Christine Lebreton

Au-delà des mégatendances de croissance, ce sont les enjeux de ces thématiques, comme la nutrition ou le vieillissement de la population, qui me semblent importants. A cela s’ajoute l’intérêt des investisseurs pour les objectifs de développement durable définis par l’ONU. L’important, pour un gérant, est de trouver des sociétés qui sont exposées à ces enjeux. Ensuite, dans le portefeuille, il peut y avoir des sociétés qui ont des profils de croissance et d’autres plus « value ».

Dans le portefeuille investi dans le thème du vieillissement de la population, on trouve le secteur de la santé, mais aussi les loisirs ou les voyages pour les seniors qui, dans le contexte actuel, sont plutôt décotés. Le pilier épargne de cette thématique n’est pas non plus très orienté croissance. Le fonds que je gère investit dans ces trois piliers principaux, qui ont des dynamiques de croissance totalement différentes et complémentaires.

De quoi est constitué l’univers d’investissement d’une thématique comme le vieillissement de la population ?

Thierry Rigaudière

Notre conception de la « silver économie » accorde une place dominante à la santé. Ce pôle santé est large : des grands laboratoires, des medtechs, des valeurs technologiques dédiées à la santé mises en valeur depuis la crise du Covid-19, des services et de la domotique, ainsi que des maisons de retraite.

Les autres secteurs dans lesquels nous investissons n’ont pas la même importance au sein du portefeuille. Dans la finance, par exemple, nous sommes très sélectifs, avec une attention portée sur quelques asset managers et assureurs. On ne trouvera pas dans notre fonds R-co Thematic Silver Plus une banque généraliste sous prétexte qu’il y aurait un rallye sur les valeurs bancaires à un moment donné. Le portefeuille peut également être exposé aux loisirs, à la consommation discrétionnaire, aux voyages, etc. Les fondamentaux de toutes les sociétés en portefeuille doivent être liés aux biens et aux services dont ont besoin les seniors. Nous assumons un biais croissance dans le fonds. Par ailleurs, comme pour toutes nos thématiques, l’accent est mis sur les mid & small caps, car c’est dans ce segment du marché que se trouvent les gagnants de demain.

Olivier Cassé

Le vieillissement de la population est en effet une tendance de croissance de long terme, mais cela ne signifie pas pour autant que les investissements ne ciblent que des valeurs de croissance. Notre portefeuille repose sur trois piliers d’investissement : la santé, l’épargne retraite et la consommation au sens large. Au sein de la santé, les profils sont très différents entre des laboratoires pharmaceutiques, dont le portefeuille produits offre une visibilité à cinq ou dix ans, et des acteurs proposant des équipements ou services médicaux plus sensibles aux cycles ou plus exposés à la pandémie actuelle. 

Dans le deuxième pilier, l’objectif est d’investir dans des sociétés qui offrent des solutions pour la retraite et qui gèrent ces produits. Ce sont des valeurs avec un profil plus financier, que l’on peut donc classer dans le style de gestion dit « value ». Enfin, dans la consommation, il y a aussi des valeurs de croissance dans tout ce qui concerne la nutrition et des valeurs plus cycliques comme dans le secteur des voyages et loisirs. Tout le travail du gérant est de faire son stock picking et son allocation entre les piliers en intégrant la valorisation des titres sous-jacents.

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

Le vieillissement de la population est un thème important et global. Au niveau mondial, l’espérance de vie de la population va passer de 53 ans dans les années 1960 à 82 ans environ en 2030. En Chine, à cet horizon, le nombre de personnes de plus de 60 ans sera de 361 millions, soit l’équivalent de la population des Etats-Unis. Il faut donc regarder l’impact de cette partie de la population sur la consommation et le mode de vie de la Chine. Aux Etats-Unis, les plus de 55 ans représentent aujourd’hui plus de 40 % de la dépense de consommation, soit plus de 15 trillions de dollars. Cette évolution démographique est génératrice de changements, mis en relief avec quatre sous thèmes : les soins à la personne et les maisons de retraite, la sécurité financière et l’épargne retraite – une tendance que nous privilégions en Asie, notamment –, la santé ainsi que le « vivre mieux » (loisirs, voyages et rénovation de l’habitat).

Christine Lebreton

Notre portefeuille repose également sur trois piliers, la santé, l’épargne et la consommation, laquelle a le poids le plus important aujourd’hui dans le portefeuille. Nous avons comme objectif de sélectionner aussi des acteurs de taille moyenne qui permettent de bien capturer l’exposition au thème. Notre fonds est européen, mais nous pouvons également investir dans quelques valeurs américaines, dans les secteurs comme le sport ou la télémédecine qui n’ont pas d’équivalents boursiers en Europe.

Dans le secteur de la santé, la pandémie a-t-elle permis de mettre en lumière de nouveaux acteurs ? Comment a évolué l’exposition santé de vos portefeuilles ?

Thierry Rigaudière

Si la pandémie a marqué un tournant pour l’intégralité du secteur de la santé, elle a surtout mis en avant les insuffisances de tout le système, public ou privé. Même s’il était difficile de la prévoir, nous en avons vu les prémices en Asie avant d’être également touchés. Des investissements publics et privés importants vont devoir être réalisés. Tous les plans de relance prévoient des efforts conséquents en faveur du monde de la santé, avec l’objectif affirmé d’améliorer la prise en charge des catégories de la population les plus âgées. En France, les résultats du Ségur de la santé et de la future loi sur la dépendance sont attendus. La remise en cause des restrictions budgétaires que nous avons connues ces dernières années est justifiée. Nous l’avons vu avec les hausses des salaires des soignants, mais il y a aussi des besoins énormes d’équipements.

Comme dans chaque crise, il y a des changements importants de tendances. Nous devrions voir une montée en puissance des investissements technologiques (télémédecine, e-prescription…) du côté de l’hôpital, mais aussi dans toute la chaîne privée de la santé (médecins, pharmaciens, maisons de retraite).

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

La pandémie va modifier l’approche de la santé mais, bien avant la crise du Covid-19, nos équipes de gestion ont réfléchi au lancement d’un fonds sur les thérapies géniques avec l’idée qu’une révolution était en train de s’opérer dans la recherche. Révolution mise en lumière par cette crise et par la mise au point d’un nouveau type de vaccins. Les gérants s’intéressent non seulement aux sociétés de recherche biotechnologie, mais aussi à celles qui opèrent en « second rôle » dans l’approche diagnostic. On trouve dans l’univers d’investissement des acteurs présents dans le thème, mais qui ne sont pas forcément dans le secteur de la santé. C’est d’ailleurs tout l’avantage d’une approche thématique comparée à une approche sectorielle.

Olivier Cassé

Cette crise renforce les fondamentaux de long terme de la santé. Elle a agi comme un électrochoc et illustré les déficits d’investissements sur les masques, les ventilateurs, etc., ainsi que sur la recherche en France et en Europe. Des réformes devraient se mettre en place. Par ailleurs, du point de vue de l’investisseur, il faut souligner que, après la bonne tenue des marchés en 2020 dans un contexte difficile, seuls deux secteurs n’ont pas connu de revalorisation : les télécoms et la santé ! Cela conforte notre position renforcée sur la santé.

Nathalie Pelras

La crise sanitaire a mis en lumière le côté défensif de la santé, mais il faut faire attention. Dans un premier temps, ce sont les valeurs liées au diagnostic qui ont profité de l’engouement des investisseurs puis, à partir de novembre, elles ont été arbitrées en faveur des fabricants de vaccins. Les effets sont vertueux, mais aussi négatifs dès lors qu’il y a trop d’engouement.

Dans le pilier santé de notre fonds, nous avons mis l’accent sur des fonds qui vont investir dans des sociétés pour lesquelles l’histoire centrale est l’amélioration des conditions de vie. Il s’agit de fonds dédiés à la recherche contre le cancer ou aux thérapies géniques.Par ailleurs, le Covid-19 a joué un rôle dans la prise de conscience des enjeux liés à l’investissement responsable. Il y a un changement de point de vue sur la façon d’envisager son épargne. Pour la première fois, en 2020, les clients privés ont cessé de comparer leurs investissements aux performances du CAC 40. Ils ont pris conscience que certaines thématiques avaient réalisé d’excellentes performances, parfois même supérieures à 30 %. Cela devrait les pousser à investir davantage dans les thématiques et l’ISR sur le long terme.

Christine Lebreton

La crise a mis en évidence des points faibles et des lacunes, ainsi que la nécessité de relocaliser certaines activités en France. Il y a une réelle difficulté pour de nombreux petits acteurs du secteur de lever des capitaux, y compris après introduction en Bourse, pour financer leur recherche. Le secteur est encore davantage au centre de l’attention aujourd’hui, et on peut ainsi citer l’initiative de la Fédération française de l’assurance et de la Caisse des dépôts, qui nous ont confié un mandat au titre du programme d’investissement Assureurs-Caisse des Dépôts Relance Durable France, dédié au secteur de la santé, pour soutenir des petites valeurs françaises capitalisant moins de 2 milliards d’euros.

Comment s’assurer de la pureté de la thématique dans laquelle on investit ?

Nathalie Pelras

Il faut avoir un dialogue avec le gérant. En tant que sélectionneur de fonds, notre première question concerne la définition de l’univers d’investissement. Plus cet univers est large, plus la thématique doit reposer sur d’autres critères. Il faut également qu’il y ait une logique entre le thème choisi et le travail de sélection réalisé par le gérant. Prenons l’exemple de la nutrition : beaucoup de fonds sont investis dans les valeurs de l’agroalimentaire. Ce qui ne correspond pas à notre conception de la thématique nutrition, qui doit agir sur toute la chaîne, de l’engrais jusqu’aux ingrédients intégrés, et même au-delà, avec le recyclage.

Il faut qu’il y ait une cohérence entre les valeurs qui composent le portefeuille et la promesse vendue. Dans le cas contraire, la démarche relève plutôt du marketing… Mais c’est plutôt rare.

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

Les clients peuvent être à la recherche de thèmes très spécialisés, comme la mobilité ou le « smart cure », mais il y a aussi une demande pour des thèmes plus larges englobant de nombreux sous-thèmes et exposant à différents secteurs. Ce qui est important, c’est que la gestion thématique soit compréhensible pour l’investisseur au niveau de l’exposition des tendances, avec un processus d’investissement explicite qui doit être cohérent avec le choix du thème.

Nathalie Pelras

En effet, les clients institutionnels ou retail veulent comprendre l’histoire et la logique tout en bénéficiant d’une diversification.

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

Quand un thème est trop spécialisé, le gérant peut passer à côté de certains secteurs connexes qui vont aussi bénéficier de ce thème. Dans le thème de la blockchain, par exemple, l’idée est d’investir également dans des sociétés qui vont disposer, grâce à l’adoption de cette technologie, de réductions de coûts de production, d’optimisation de résultats et bénéficier d’un avantage concurrentiel.

Dans le thème du vieillissement de la population, comment justifiez-vous la sélection de valeurs ?

Olivier Cassé

Une société dans laquelle nous allons investir doit répondre au défi du vieillissement de la population. Ce thème doit avoir été identifié comme le principal ou l’un des principaux facteurs de croissance de l’entreprise. Cette croissance ne doit pas être diluée par d’autres facteurs. Par exemple, l’âge moyen d’un acheteur d’un véhicule premium allemand est proche de 60 ans. Nous pourrions être tentés d’acheter des sociétés telles que Daimler ou BMW sur ce critère mais, au final, les enjeux du secteur portent davantage sur les véhicules électriques ou autonomes que sur le vieillissement de la population. Ce secteur n’est donc pas éligible aujourd’hui dans le compartiment, mais pourquoi pas dans le futur si nous identifions un constructeur de véhicules autonomes qui remplit tous les critères.

Thierry Rigaudière

Nous avons également eu cette réflexion sur l’automobile et le titre Daimler, dans lequel nous n’avons finalement pas investi, car on s’éloignait trop de notre conception de la thématique et de sa pureté. Nous n’avons pas de constructeurs automobiles en portefeuille mais, avec la révolution technologique, le secteur tend vers le véhicule autonome. Peut-être que, dans le futur, les consommateurs seniors retrouveront une certaine mobilité grâce à ce type de véhicules, et que le secteur redeviendra attractif pour notre fonds. La réflexion a été la même pour le secteur du luxe, après avoir constaté ces dernières années que la croissance de la consommation de produits de luxe n’était plus portée par les seniors mais par les millennials des pays émergents.

C’est à travers l’univers d’investissement présenté à nos clients que nous définissons la pureté du fonds. Cet univers a été réduit à 200 valeurs, aussi bien des large caps que des mid & small caps. Nous sommes plus attentifs à la dynamique de croissance des entreprises en lien avec la thématique qu’au pourcentage de chiffre d’affaires exposé aux seniors.

Christine Lebreton

Il est très compliqué pour une société de détailler son chiffre d’affaires par catégorie d’âge. Les seniors peuvent utiliser les produits qui leur sont destinés d’un point de vue marketing, mais aussi en acheter d’autres. Mais, même si les sociétés qui composent notre univers d’investissement ne donnent pas de réponses chiffrées, elles ont identifié le vieillissement de la population comme une tendance porteuse de croissance. Il faut pouvoir expliquer à un client pourquoi nous avons choisi de mettre un titre en portefeuille.

L’intégration des critères ESG dans le processus de gestion d’un fonds thématique ne réduit-elle pas trop l’univers d’investissement ?

Nathalie Pelras

Dans la gestion thématique, la plupart des gérants ont historiquement intégré les critères ESG. Pour un stock picker, c’est une évidence de prendre en compte le risque de gouvernance, par exemple. Aller au-delà, en prenant en compte les critères environnementaux et sociétaux, a donné naissance à l’investissement responsable, à l’investissement d’impact, et a contribué à l’essor de l’investissement thématique. Cependant, pour les fonds thématiques que nous sélectionnons, le niveau d’intégration de ces critères et la notion d’impact ne sont pas déterminants. Certains fonds thématiques qui répondent à notre objectif ne sont pas forcément des fonds ISR ou à impact.

Thierry Rigaudière

L’intégration des critères ESG s’inscrit bien dans une thématique comme la « silver économie ». En tant que stock pickers, nous sommes naturellement sensibles à la gouvernance, mais nous devons également porter une attention particulière aux critères environnementaux et sociaux. Cela nous permet de poser de nouvelles questions aux sociétés dans lesquelles nous investissons, les obligeant ainsi à se remettre en cause pour pouvoir répondre au-delà des aspects purement financiers. Les maisons de retraite ont par exemple une mauvaise image auprès du grand public. Elles vont peut-être pouvoir se différencier non pas sur les résultats financiers mais sur la dimension ESG. A terme, je suis convaincu que les acteurs ayant les meilleures pratiques ESG auront les meilleurs résultats financiers.

Anne-Laure Frischlander-Jacobson

L’intégration ESG devient primordiale pour la plupart des gestions. Certains thèmes vont avoir un composant ESG plus ou moins fort. Aussi faut-il distinguer l’approche thématique responsable au sens réglementaire telle qu’elle est définie par l’AMF, par exemple, d’autres approches de gestion thématique. Certains fonds thématiques n’ont pas vocation à être labellisés, sans que cela remette en cause l’intégration d’un processus de gestion à caractère ESG.

Christine Lebreton

Notre fonds est labellisé ISR, ce qui est important car cela répond à une demande des investisseurs institutionnels et particuliers. Nous sommes également convaincus qu’une analyse extra-financière est source de valeur ajoutée. Elle comporte aussi bien la notion de risque que d’opportunité, et nous évite d’investir dans des sociétés ayant des pratiques douteuses ou un risque de réputation élevé.

Olivier Cassé

Les clients sont de plus en plus demandeurs de produits ISR. Dès le lancement de GIS SRI Ageing Population, en 2015, nous avons intégré les critères ESG, car cela a du sens pour une thématique en lien avec la clientèle senior, parfois vulnérable compte tenu de son âge. Il faut s’assurer du bon comportement de l’entreprise vis-à-vis de son client. Le compartiment est labellisé ISR. De fait, l’obtention de ce label impose d’exclure 20 % des valeurs qui composent l’univers d’investissement, et nous engage à surperformer notre indice de référence sur des indicateurs extra-financiers.

Face à la concurrence de nouveaux ETF thématiques, la gestion active va-t-elle encore pouvoir se distinguer dans la gestion thématique ?

Christine Lebreton

Je ne connais pas dans le détail la composition des ETF thématiques, mais je constate aujourd’hui que beaucoup de brokers établissent des listes d’idées d’investissement en lien avec une thématique. Ces listes sont assez standards, elles n’incluent souvent que des grandes valeurs, et la pureté du thème n’est pas toujours bien respectée… De plus, notre travail de gérant ne se limite pas à sélectionner des valeurs qui collent à un thème, mais consiste à investir dans des titres qui ont un potentiel boursier afin de créer de l’alpha.

Thierry Rigaudière

Cette concurrence agit aussi comme un aiguillon, qui nous oblige à améliorer et à affiner notre sélection de valeurs. Pour l’instant, ces ETF réagissent encore beaucoup comme des fonds sectoriels. Dans la gestion active, nous mettons en avant le respect de la thématique, la sélection de titres large caps et mid caps, et la capacité à surperformer les indices dans la durée.

Anne-Laure Frischlander-JacobsonLes deux approches peuvent se compléter, mais la finesse et la profondeur de l’analyse sont très importantes dans une gestion thématique, surtout quand le gérant cherche à évaluer l’impact d’un secteur par rapport à un autre à l’intérieur d’un thème. La gestion active permet cette analyse.

Olivier Cassé

Pour nous distinguer, notre offre de gestion doit aller au-delà d’un pur produit d’investissement. C’est toute la logique de l’ISR et de l’engagement de Sycomore AM auprès des entreprises. Tout ce que la gestion d’un tracker ne peut pas apporter ! Prenons l’exemple des politiques de distribution : certaines entreprises vont verser des dividendes stables ou en croissance au titre de 2020 alors que, en parallèle, de nombreux plans de restructuration, destructeurs d’emplois, ont été mis en place. Nous voterons donc contre ce type d’actions lors des assemblées générales en 2021. Nous avons également des engagements en matière de diversité. Nous souhaitons discuter avec les entreprises du SBF 120 pour avoir au moins 30 % de femmes dans leurs instances dirigeantes d’ici à 2025.

Nathalie Pelras

La gestion active a encore plus de sens lorsqu’il est question de gestion thématique, et elle se combine parfaitement avec les ETF, car elle apporte toute la valeur ajoutée qui peut leur manquer. Une gestion active définit son propre univers d’investissement, sa propre analyse, son process et son style. Pour les thématiques à impact positif, par exemple, même avec beaucoup d’intelligence artificielle, il paraît impossible que les ETF concurrencent une démarche d’analyse aussi complète et une veille aussi pointue. A l’inverse, sur des univers plus restreints, ou pour jouer un secteur dans sa globalité, les gestions passives gardent tout leur intérêt. Le développement de l’une entraîne donc le développement de l’autre et, plus l’offre sera importante, plus la palette d’instruments comportera de nuances de thématiques. 

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