Allocation

Investir dans les actions avec une approche innovante

Publié le 2 mars 2018 à 14h53    Mis à jour le 21 mars 2018 à 11h01

Propos recueillis par Catherine Rekik

L’embellie économique et la perspective d’une remontée des taux ont fait des actions la classe d’actifs à privilégier en début d’année. Mais la correction des marchés début février a jeté un froid. Les investisseurs reviendront certainement sur la classe d’actifs, mais avec plus de prudence en raison de la volatilité. Certains investisseurs sont cependant soit réticents à l’idée de trop s’exposer aux marchés actions, soit contraints par la réglementation. Pour répondre à cette problématique, certaines sociétés de gestion développent des approches innovantes. Funds fait un point sur ces différentes approches : approche flexible sur les actions (0-100 %), smart beta, actions couvertes, etc.• A quels besoins répondent ces stratégies ?• Comment fonctionnent-elles ? • Quelle place leur accorder dans un portefeuille ?

Que s’est-il donc passé sur les marchés début février alors que l’année avait débuté sur les chapeaux de roue ?

La correction sur les marchés actions est-elle due à un excès d’optimisme ? Faut-il désormais envisager 2018 autrement ?

Tatjana Xenia Puhan : Nous estimons que l’année 2018 sera toujours positive pour les actions, mais que l’environnement sera plus volatil. Il semble désormais acquis que les taux vont remonter, dans un contexte macroéconomique favorable, peut-être plus rapidement que prévu. Janvier a été un mois surprenant, puisque les marchés y ont réalisé l’essentiel de la performance attendue pour 2018. Ce qui était sans doute un peu trop positif. Cependant, la baisse des marchés début février ne nous a pas alarmés outre mesure. La réaction à certaines nouvelles a sans doute été excessive, peut-être déclenchée aussi par des éléments techniques. L’accalmie est tout de même revenue rapidement grâce à un environnement macroéconomique favorable pour les résultats des entreprises.

Michaël Nizard : Chez Edmond de Rothschild AM, nous étions convaincus qu’il y aurait un changement de paradigme cette année après plus de quinze mois de hausse continue du MSCI World avec très peu de volatilité. Il y avait un niveau de complaisance important sur les marchés. Plusieurs sous-jacents justifiaient cette hausse : la persistance d’une faible inflation et une normalisation graduelle des politiques des banques centrales. Les éléments qui ont pesé sur les marchés sont plutôt d’ordre techniques et/ou financiers que macroéconomiques. La tendance était plutôt de prendre beaucoup de risque, notamment dans les portefeuilles CTA qui se basaient sur des niveaux de corrélation entre les obligations et les actions plutôt faibles. Dès que la volatilité est repartie à la hausse, certaines positions ont dû être coupées. Pour la première fois, c’est l’indice VIX qui a fait bouger le S&P 500 et non l’inverse après le débouclage de positions vendeuses. Dans un portefeuille d’allocation, il est désormais difficile de trouver de la diversification car les corrélations et la volatilité montent.

Geoffroy Gridel : En février, nous constatons un changement de régime à plusieurs niveaux : l’obligataire souffre de la remontée des taux et la volatilité revient sur les marchés actions après une année 2017 très favorable. Le marché nous rappelle en février 2018 que, dans une poche actions, il y a un véritable risque actions ! Enfin, en plus des raisons déjà évoquées pour expliquer la hausse de la volatilité, il y a eu aussi l’émergence de produits comme les ETN vendeurs de VIX, qui ont rassemblé des actifs sous gestion considérables. Le 5 février, un de ces produits a perdu 95 % de sa valeur et le débouclage de ses positions ce jour-là s’est traduit par une augmentation majeure des niveaux de volatilité. La quasi-faillite de ces instruments amène de nombreux questionnements. Enfin, la pression vendeuse sur les instruments de volatilité est moins présente qu’auparavant. Nous entrons dans une ère de volatilité «normale», ou du moins en ligne avec ce que nous pouvons attendre sur les marchés actions.

Pourquoi l’annonce le 2 février d’une hausse des salaires américains, pourtant attendue depuis des mois, a-t-elle déclenché le mouvement de baisse ?

La reprise de l’inflation était pourtant attendue depuis des mois… Quelles sont les conséquences sur les marchés actions ?

Tatjana Xenia Puhan : Les investisseurs doivent s’habituer à ces changements macroéconomiques et au retour de l’inflation après plusieurs années durant lesquelles il n’y a pas vraiment eu de cycle économique complet. L’inflation est de retour et cette nouvelle n’a finalement pas été totalement anticipée par les marchés ni intégrée dans les prix.

De nombreux investisseurs se sont plus exposés aux marchés actions que par le passé et ont sans doute pris trop de risque. Ils s’interrogent désormais sur l’inflation, sur les répercussions de la hausse des taux sur les résultats des entreprises, sur l’économie… Quel sera l’impact de la fin des quantitative easing sur les marchés ? De la hausse des taux d’intérêt sur la croissance économique ? La visibilité n’est pas très bonne.

Michaël Nizard : Nous sommes dans une période de haut de cycle/fin de cycle, même s’il est à des stades différents selon les zones, dans laquelle la thématique de la reflation prend tout son sens. Cela pose la question de la pression sur les marges pour les entreprises, notamment aux Etats-Unis, car, pour l’heure, on n’envisage pas de tassement des marges en Europe. Les marchés sont sensibles à cette surprise sur l’inflation car la liquidité va commencer à se réduire avec la normalisation des taux et la croissance rester stable. Cependant, nous pensons que l’inflation peut remonter mais ne risque pas d’accélérer, car les salaires réels américains ne devraient pas progresser fortement. Nous sommes plutôt dans une phase de retour à la normale, en ligne avec la croissance mondiale qui est aujourd’hui synchrone.

Geoffroy Gridel : La remontée des taux aux Etats-Unis est un sujet dont on parle depuis plusieurs mois déjà. Mais avec la reprise de l’inflation, la hausse des taux se confirme, avec des conséquences à deux niveaux : sur la classe obligataire, qui va souffrir, et sur les flux. En effet, l’investisseur recevant une rémunération plus importante liée au taux sans risque peut légitimement se demander s’il est correctement rémunéré pour un risque additionnel encouru.

En parlant de flux, la correction début février a-t-elle un impact ou bien les investisseurs sont-ils restés investis dans les fonds actions ?

Michaël Nizard : Depuis le début de l’année, la décollecte sur les actions concerne surtout la gestion passive, et principalement les ETF.

Geoffroy Gridel : Les ETN de volatilité ont eu un impact sur les flux en raison des performances négatives. La partie vendeuse s’est beaucoup réduite même si on constate de nouveau des souscriptions.

Les investisseurs tardent souvent à revenir sur la classe d’actifs après les phases de correction. Est-ce toujours le cas ?

Tatjana Xenia Puhan : Les clients institutionnels ont bien compris qu’il s’agissait d’une correction passagère qui offrait même des opportunités d’achat à des niveaux de valorisation attractifs. Nous avons bien sûr communiqué sur cette baisse, mais les investisseurs ne nous ont pas semblé particulièrement inquiets. Ils ont subi plusieurs pics de volatilité ces dernières années et réagissent désormais de façon plus prudente, sans paniquer. D’autant que le contexte de croissance économique reste favorable.

La croissance reste donc le principal argument en faveur de la classe d’actifs…

Michaël Nizard : C’est surtout la progression des bénéfices nets par action qui soutient les entreprises, en particulier européennes. Après de nombreuses années de hausse entretenue par l’expansion des multiples, 2017 a été portée par la progression des résultats. Et cela va continuer à être le cas cette année avec des hausses de profits attendues entre 8 et 10 % pour les entreprises de la zone euro. Cette bonne nouvelle incite à renforcer quand les valorisations sont plus faibles comme c’était le cas au cours de la semaine du 8 février. Alors que nous étions neutres sur les actions en décembre, nous avons décidé de remonter notre exposition.

Tatjana Xenia Puhan: Les valorisations actuelles s’expliquent par les perspectives bénéficiaires des entreprises, contrairement à la situation que nous avons connue en 2007. Elles sont également justifiées par la faiblesse actuelle des taux.

Michaël Nizard : En matière de valorisation, le PE des marchés de la zone euro est passé de 15,5 à 14 alors que les perspectives bénéficiaires ne sont pas remises en cause. L’appréciation de l’euro par rapport au dollar pourrait peser un peu sur les comptes des entreprises, mais 2018 devrait être un bon cru pour les bénéfices nets par action des entreprises domestiques.

Geoffroy Gridel : Nous ne sommes plus en 2017 avec des marchés qui ne cessent de monter. Sans remettre en cause une allocation actions, il faut désormais être conscient du risque inhérent à la classe d’actifs et incorporer dans l’équation l’aspect risque/perte potentiel.

Qu’est-ce qui vous a amenés à réfléchir à une nouvelle offre de gestion sur les actions?

A quels besoins répondent ces innovations ?

Michaël Nizard : Il existe plusieurs paramètres que nous essayons de prendre en compte. Aujourd’hui, il y a une multiplication d’événements inattendus : dévaluation du yuan chinois en août 2015, chute du prix du pétrole en janvier 2016, risques politiques après le Brexit et l’élection de Trump, etc. Autant d’événements qui sont difficiles à modéliser en matière d’ampleur et d’intensité de choc. Tout récemment, nous avons eu un drawdown important (perte maximale enregistrée par un portefeuille sur une période donnée – ndlr) sur le S&P 500. Tout cela conduit les investisseurs à s’interroger sur la façon de calibrer leur exposition à la classe d’actifs alors que les banques centrales cherchent à réorienter les flux vers les actifs risqués. Pour les gérants, il devient hardi de tout anticiper, notamment l’ampleur d’une baisse. C’est là un premier point qu’il faut prendre en compte dans la construction de portefeuilles et dans l’innovation que nous voulons mettre en place.

Par ailleurs, les effets bénéfiques de la diversification sont en train de s’amenuiser. Nous avons une carence d’actifs refuges. Donc, pour répondre à la demande d’investisseurs inquiets des possibles drawdowns, il faut réfléchir à une protection endogène et ne pas être tributaire de la corrélation taux/actions et de la dispersion des performances. Il faut inclure un mécanisme de réduction de drawdowns en utilisant les options comme clés de voûte.

L’environnement pousse à répondre à trois contraintes : financière (la volatilité du compte de résultat des clients), comptable, car certains investisseurs institutionnels doivent mettre en place des provisions pour dépréciations durables quand les marchés baissent trop, et prudentielle avec les exigences en capital. Cette dernière dimension est importante et nous cherchons à l’adresser dans les offres que nous avons développées.

Tatjana Xenia Puhan : En tant que gérant pour le compte d’un assureur vie, nous avons été assez précurseurs en matière de gestion des risques. Dès 2008, nous avons développé des stratégies de minimum variance et une offre d’actions couvertes avec des options qui couvrent en permanence le portefeuille. En Suisse, la réglementation a des exigences assez similaires à celles de Solvency II. Il est important d’être couvert en permanence contre un risque de pertes extrêmes, car on ne sait jamais à quel moment le risque va se déclencher.

Par ailleurs, certains investisseurs institutionnels, non contraints, acceptent de s’exposer aux actions mais avec un risque mieux contrôlé. C’est pour eux que nous avons développé une approche flexible qui permet aux clients de profiter des bonnes performances des marchés actions tout en s’adaptant de façon dynamique à l’environnement de marché. Cela signifie la mise en place d’une gestion actions active qui peut, dans la construction de portefeuille, s’adapter de façon dynamique à une augmentation du risque dans les marchés. Dans nos portefeuilles, nous avons toujours un biais défensif qui peut être augmenté si les marchés sont trop agités.

Geoffroy Gridel : Après la récente correction, l’investisseur va plutôt mettre l’accent sur le risque qu’il est prêt à prendre et la façon dont il le prend. Dans un premier portefeuille, il y a une prise de risque actions à travers la sélection de titres vifs. Sur ce premier portefeuille de titres, nous introduisons un overlay (c’est-à-dire une deuxième couche de gestion, indépendante de la première), dans lequel nous ramenons le risque actions au point souhaité et sur lequel nous proposons une gestion active qui a pour but d’améliorer le profil de risque/rendement global du portefeuille. Nous pouvons l’améliorer soit en fonction de la performance attendue, soit du risque que l’investisseur est prêt à prendre. Cet overlay va définir le profil de risque recherché dans le but de l’améliorer.

Michaël Nizard : Dans notre cas, nous assemblons trois expertises. Nous allons sélectionner des titres «tout-terrain» avec des performances proches de celles des marchés actions européens. Nous n’allons pas avoir recours à des actions à faible bêta. Nous allons construire notre stratégie à faible volatilité par l’overlay. Les couvertures constituent le deuxième pilier, et la recherche de financement des couvertures le troisième pilier. Pour le deuxième pilier, nous allons chercher à couvrir les risques de baisse modérée et de baisse violente. Ensuite, nous allons financer cette protection, car elle a un coût de portage, en vendant des calls de façon discrétionnaire.

Ces stratégies ont été conçues pour limiter les effets des baisses de marché. Est-ce que cela implique d’accepter une moins bonne performance quand les marchés montent ?

Tatjana Xenia Puhan : Avec une stratégie d’actions couvertes, l’investisseur est sûr de ne pas subir la totalité de la baisse, mais cela a un prix : une performance plus modérée que celle des indices si on raisonne en performance absolue. Mais, pour la plupart de nos clients, c’est la performance ajustée du risque qui compte.

Quand on a un budget de risque plus élevé, il n’est pas nécessaire d’avoir une couverture permanente dans le portefeuille. Les clients peuvent alors s’orienter vers d’autres stratégies capables de s’adapter à des marchés plus agités tout en ayant une exposition à 100 % au marché. La gestion dynamique que j’évoquais précédemment permet aux investisseurs de bénéficier de la hausse des marchés tout en réduisant le risque quand c’est opportun.

Geoffroy Gridel: Nous avons des «overlays» qui vont gérer le risque quand les marchés baissent de façon active. Ensuite, il faut segmenter en fonction du type de protection souhaité, selon qu’il s’agit de chocs standards ou de chocs extrêmes. Il existe un autre profil d’overlay qui permet d’avoir de la performance quand les marchés ne font rien. Cela consiste à ajouter de la performance sans prendre le risque actions puisqu’il est déjà dans le portefeuille.

Michaël Nizard: Nous constatons, aujourd’hui, que les investisseurs portent plus d’attention à l’asymétrie des performances qu’à la performance absolue. Notre fonds cherche à amortir 50 % des drawdowns, comme cela a été le cas début 2016 ou récemment, et de profiter de 70 à 80 % de la hausse. Les clients attendent un amortisseur de drawdown mais veulent aussi préserver le potentiel de performance sur le moyen/long terme.

Ces stratégies ont d’abord été conçues pour les investisseurs institutionnels. Peuvent-elles intéresser la clientèle privée qui veut s’exposer aux actions tout en étant toujours assez averse au risque ?

Tatjana Xenia Puhan : Nos produits sont également adaptés à la clientèle privée. Les banquiers privés et les multigérants les utilisent, et ils figurent dans la liste de recommandations de certains contrats d’assurance vie. Ces fonds, très flexibles et liquides peuvent recevoir des flux quotidiens. Il y a actuellement dans le retail une tendance à privilégier une gestion quantitative, plus transparente et plus lisible. Le comportement plus prévisible de ces fonds séduit la clientèle privée.

Michaël Nizard : La stratégie est née pour un certain type d’investisseurs institutionnels contraints par Solvency II, mais ils sont nombreux à être intéressés par l’asymétrie des performances. Aujourd’hui, nous avons aussi une clientèle plus retail et patrimoniale et des CGP qui utilisent le fonds car ils ont besoin de ce niveau de sécurité en permanence et de cette convexité. Les clients ont besoin de simplicité et de transparence. Le reporting permet à tout moment de savoir pour chaque ligne ce que les options listées permettent de réduire en matière de choc ou de drawdown.

Geoffroy Gridel : Les clients privés doivent pouvoir accéder à ces stratégies et comprendre le comportement du fonds dans l’environnement de marché. Tout est explicable, et le comportement du fonds doit être conforme à la promesse.

Michaël Nizard : Ces approches vont devenir des investissements de cœur de portefeuille. Si on valide le changement de paradigme, avec moins de rendement et plus de volatilité, la recherche de convexité est essentielle pour faire face à des aléas de marché difficilement prévisibles.

Geoffroy Gridel: Nous entrons dans une ère avec plus de volatilité, ce qui milite en faveur de la gestion active. Et c’est ce que proposent ces différentes approches.

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