Actions européennes

La hausse peut-elle encore se poursuivre ?

Publié le 28 février 2020 à 12h01    Mis à jour le 3 mars 2020 à 18h12

Propos recueillis par Catherine rekik

Après la progression des indices boursiers mondiaux en 2019, Funds s’interroge sur l’opportunité d’investir dans les actions européennes.

Après une année 2019 exceptionnelle en termes de performances, que peut-on dire des marchés actions en ce début d’année ?

Jean-François Bay

La hausse des marchés en 2019 s’est faite sans les investisseurs. En Europe, la décollecte a été importante, à l’exception de la toute fin d’année. Les souscriptions sont revenues très progressivement sur les ETF puis quelques fonds cycliques ou investis dans les small caps. L’inversion des flux sera d’ailleurs peut-être un facteur de soutien cette année. Les arbitrages des fonds en euro vers les unités de compte pourraient se traduire par des flux plus importants pour les actions européennes même si on constate encore des retraits en ce début 2020.

Jérôme Antonini

La situation se caractérise par un environnement macroéconomique en amélioration, notamment en Europe et aux Etats-Unis, mais les grands risques sont toujours là. Ils sont principalement d’ordre politique, avec des élections aux Etats-Unis. Souvent, ces années-là sont propices aux marchés actions, mais cette élection rajoute de l’incertitude quand on voit les forces en présence et les différentes propositions. Les négociations post-Brexit génèrent aussi de l’incertitude. A cela s’ajoutent les risques géopolitiques au Moyen-Orient, difficiles à appréhender, mais aussi sanitaires avec le coronavirus en Chine.

Cet environnement plaide en faveur de la recherche de valeurs de qualité et de croissance. Ces thèmes ont bien fonctionné l’an dernier mais pour nous, les incertitudes actuelles plaident pour maintenir ces stratégies qui délivrent de la performance sur le long terme.

Stéphane Furet

Nous observons un comportement atypique des investisseurs depuis dix-huit mois, depuis mars 2018 quand la tension liée à la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine est montée d’un cran. De ce fait, aidés par des taux d’intérêt long terme qui n’ont cessé de baisser, les investisseurs ont privilégié la croissance visible. Ce qui est logique quand on anticipe un ralentissement économique.

Jusqu’à présent, dans les phases de marché similaires, les investisseurs avaient tendance à donner une prime aux valeurs délivrant une forte croissance, ce qui a bien fonctionné avec le Nasdaq en 2019. Cette fois-ci, ils sont même allés au-delà puisque toute la catégorie des valeurs capables de faire progresser les bénéfices par action de 5 à 7 % par an a été privilégiée : le luxe, les spiritueux, certaines valeurs de santé, etc. Prenons l’exemple de L’Oréal : entre le début et la fin 2019, le consensus a révisé en hausse de 2 % la prévision de bénéfices et alors que le titre a gagné 34 % ! Nous pensons que le comportement des investisseurs va se normaliser dans le courant de l’année.

Par ailleurs, sur le plan macroéconomique, la situation devrait s’améliorer progressivement avec un effet de base favorable au second semestre. Partout dans le monde y compris en Chine avec un décalage, l’activité devrait s’améliorer. Quant aux taux d’intérêt, ils vont rester bas cette année. Dans ce contexte, les valeurs qui se paient très cher ont, dans les prochains mois, plus de risque de sous-performer le reste du marché. Le potentiel des indices sur l’année est donc plus limité, sachant que les gros poids ont déjà beaucoup monté en 2019.

Eric Lauri

Certains risques comme le Brexit sont derrière nous ou se sont atténués, les politiques monétaires restent accommodantes et des anticipations macroéconomiques plus favorables sont déjà dans les cours. Ces trois éléments ont favorisé les marchés actions. La hausse va-t-elle se poursuivre ? Il est impossible de répondre à cette question : certains éléments plaident en faveur d’une réponse positive et d’autres pas. En faveur de la hausse, on peut en effet citer les flux : s’il y avait une pression acheteuse, les marchés monteraient quelles que soient les valorisations. On peut également évoquer la valorisation relativement faible par rapport aux autres classes d’actifs. Revenons sur l’exemple L’Oréal : le taux de rentabilité de 5 à 6 % justifie le cours de Bourse actuel face à des taux longs nuls voire négatifs. Dans la sphère financière, le prix des actifs dépend du montant du capital qui leur alloué.

Quand on voit ce que paient les acteurs du private equity pour faire des acquisitions ainsi que les valorisations sur les infrastructures ou l’immobilier, on peut envisager que certaines classes d’actifs se paient encore plus cher ou que l’action L’Oréal soit valorisée 50 fois les profits.

Jean-François Bay

Face à l’importance des liquidités injectées, les actions européennes peuvent apparaître comme la dernière classe d’actifs qui ne fait pas l’objet d’une bulle ! Crédit, taux, immobilier, actions américaines… : les autres classes d’actifs apparaissent très chères. D’autant que les derniers «flash krach» ont été bien digérés par les marchés. Enfin, l’engouement pour les valeurs de croissance est intact alors que les gérants fondamentaux voient bien que la croissance des bénéfices n’a pas été au rendez-vous. On peut donc se demander si cet engouement n’est pas structurel, s’il ne faut chercher des éléments du côté des ETF ou de l’ISR. 

Finalement, la notion de valorisation n’est importante que pour les gérants alors que les investisseurs sont plus enclins à privilégier les titres qui montent…

 

Jean-François Bay

Les investisseurs vont vers ce qui monte, qui est visible et qui rassure !

Stéphane Furet

Les investisseurs regardent la performance délivrée par les gérants mais les indices constituent leur point de comparaison sur une période donnée. En effet, les ETF ont eu un impact puisqu’ils représentent déjà la moitié du marché américain et gagnent en importance en Europe. Ils contribuent à la hausse de certains titres puisqu’ils investissent sur les plus liquides au sein des indices. De plus, ces produits sont moins chers que la gestion de conviction.

Jean-François Bay

Fin 2019, la collecte est revenue fortement sur les ETF qui sont aussi en tête des performances sur les marchés européens, France, Euro et Europe, dans les classements Quantalys. Il y a donc un effet auto-réalisateur.

Qu’est-ce qui pourrait ramener les investisseurs vers la gestion de conviction ?

 

Stéphane Furet

Cela pourrait se produire s’il y a un rattrapage de certaines valeurs ou des valeurs moyennes par exemple qui sont très en retard par rapport aux grandes valeurs. Pour que cette décote se réduise, il faut que l’environnement économique soit plus rassurant. L’épidémie de coronavirus est venue un peu perturber cet environnement mais nous sommes convaincus que le rattrapage des valeurs moyennes aura bien lieu en 2020.

Jérôme Antonini

Pour revenir sur l’aspect valorisation, notre vision est qu’elle n’est pas si importante que ça à l’heure actuelle. La performance des actions sur longue durée est complètement corrélée à la performance économique. La performance boursière des sociétés de qualité, même si elles ont été chères à un moment donné, est le fruit d’une croissance bénéficiaire et d’un retour aux actionnaires. Or, ces deux points sont liés à la performance économique de la société. Nous essayons donc de prendre du recul par rapport aux valorisations immédiates sur des multiples pour focaliser notre attention sur la croissance bénéficiaire à moyen et long terme. A long terme, on se rend compte que certaines sociétés offrent des perspectives bénéficiaires très attractives. Dans un monde en train de changer, certaines sociétés profitent de tendances de long terme de façon judicieuse. Nous trouvons donc des opportunités d’investissement intéressantes malgré la forte hausse de 2019.

Que faut-il retenir comme critère de valorisation si celui de PE n’est plus aussi significatif ? Faut-il regarder les moyennes historiques ? Ou bien se contenter de la valorisation relative par rapport aux autres classes d’actifs ?

 

Jean-François Bay

Dans un environnement de taux négatifs, il est certain que la donne a changé. Beaucoup d’investisseurs perçoivent les actions comme un proxy obligataire. Ils comparent le rendement du dividende à celui des obligations.

Stéphane Furet

La catégorie des valeurs de croissance offre d’ailleurs beaucoup de visibilité sur la pérennité du dividende. Dans un environnement de taux négatif, avoir 3 ou 3,5 % de rendement sur longue période devient très attractif. Les investisseurs sont donc naturellement attirés par ces rendements très visibles.

A-t-on déjà connu par le passé des écarts aussi importants de valorisation comme celui qui existe actuellement entre les valeurs de croissance et les cycliques ?

Stéphane Furet

Nous n’avons jamais connu d’environnement de taux aussi bas, donc nous n’avons pas de référence.

Jérôme Antonini

En effet, nous n’avons pas de référence mais, au début des années 2000, il y a eu des périodes d’écarts importants de valorisation entre les valeurs, en faveur des valeurs «TMT» (télécoms, médias et technologiques). Ces écarts sont sans commune mesure avec ce que nous connaissons actuellement puisque des sociétés qui ne faisaient même pas de bénéfices avaient des valorisations excessives, sans aucun point de repère, alors qu’une grande partie de la cote avait des valorisations au plancher.

Stéphane Furet

Il est important de préciser qu’il n’y a pas de bulle sur les marchés, pas d’excès y compris aux Etats-Unis où le marché a pourtant bien performé ces trois dernières années. En 2000, certains pensaient qu’Internet allait permettre à des sociétés d’avoir des croissances à l’infini de 30 % par an avant de réaliser ensuite que ce n’était pas possible. Aujourd’hui les valorisations sont hautes du fait du niveau des taux.

Jean-François Bay

La comparaison avec les marchés américains est difficile à supporter pour les marchés européens. Les grands investisseurs internationaux revenir sur les taux américains qui rapportent 2 % environ. En Europe, ce n’est plus possible : en dehors des actions, que faire quand le Bund est à - 0,5 % ? la recherche de protection passe par des grandes valeurs visibles de type L’Oréal, une sorte de nouveau «taux sans risque» ! Par ailleurs, pour jouer une reprise mondiale de la croissance, les investisseurs privilégient les marchés émergents. Au contraire, en période difficile, le marché refuge par excellence reste le marché américain. Conséquence : les marchés européens deviennent de plus en plus satellites dans les allocations.

Stéphane Furet

La zone euro est toujours agitée par des événements divers, ce qui ne la rend pas très attrayante pour un investisseur américain.

Jean-François Bay

La constitution des indices et le gisement des valeurs cotées sont également un problème en Europe. Le secteur bancaire européen n’est pas en grande forme à l’instar de Deutsche Bank alors que les banques américaines se portent plutôt bien. La somme des bénéfices des cinq grandes banques retail américaines sur 2019 n’est pas loin de représenter la somme des capitalisations des cinq grandes banques retail européennes. Autre problème : l’Europe est aux abonnées absentes lorsque l’on aborde le sujet des valeurs technologiques.

Jérôme Antonini

Il y a quelques valeurs technologiques en Europe, mais notre marché n’offre pas la diversité et la profondeur du marché américain. Cela dit, certaines sociétés sont intéressantes dans le secteur technologique mais elles sont plus petites.

Eric Lauri

Nous regardons toujours la valorisation d’une société et son évolution historique même si on voit bien la limite de l’exercice. Il est important de bien comprendre ce qui justifie une valorisation élevée. Souvent, l’explication tient à une réévaluation du titre pour différentes raisons : le poids croissant de la gestion passive, l’ESG, car souvent les sociétés plutôt bien notées sur le plan extra-financier ou la recherche de rendement poussent les investisseurs vers ce type de valeurs.

Une valeur cyclique, contrairement à une valeur de croissance, ne peut pas être valorisée par actualisation des cash-flows. Cela a moins de sens que pour des sociétés offrant une bonne visibilité et ayant de la croissance. Donc, nous regardons les valorisations historiques des sociétés et nous essayons de comprendre les facteurs exogènes qui soutiennent le cours de Bourse. Nous essayons de faire de la valorisation relative. On ne se demande pas si une action va monter ou baisser dans un portefeuille mais de faire mieux que l’indice. Ce qui implique de comprendre comment il est composé d’un point de vue sectoriel et factoriel et de voir quels sont les titres qui ont du potentiel.

Jean-François Bay

Dans l’environnement actuel, les gérants ont tendance aujourd’hui à privilégier les megatrends qui permettent de s’affranchir de la conjoncture au quotidien. C’est d’ailleurs, pour revenir à une des questions précédentes, de redonner du sens à la gestion active. C’est une façon de faire revenir les investisseurs sur les actions à travers les thèmes structurels du vieillissement de la population ou de la transformation digitale. Les thématiques font partie du tiercé gagnant qui explique la collecte en ce moment avec les ETF et l’ISR.

Stéphane Furet

Ces thématiques offrent de la visibilité à long terme donc, dans l’environnement actuel, elles rassurent.

Jérôme Antonini

Au-delà des thématiques, certaines sociétés, grâce à leurs business models, offrent des perspectives intéressantes car elles ont créé des barrières à l’entrée très fortes, qu’elles ont un pricing power élevé et des compétences technologiques ou opérationnelles, ce qui leur permet de protéger leur activité, quel que soit l’environnement économique, dans la durée. Actuellement, il est très difficile de jouer les revalorisations des sociétés car on se rend compte qu’elles sont liées à des éléments sur lesquels nous n’avons pas de vues précises. Nous préférons nous extraire de ces problématiques de revalorisation pour nous focaliser sur les fondamentaux.

La stabilisation de l’environnement macroéconomique permet-elle une meilleure visibilité sur l’évolution des profits ? Ou bien commence-t-on l’année avec un consensus toujours optimiste qui va réviser à la baisse en cours d’année ?

Stéphane Furet

Comme tous les ans, nous débutons avec un consensus qui table sur une hausse autour de 10 % des profits ! Ces dernières années, cette prévision ne s’est vérifiée qu’en 2017. Il est difficile, à ce stade, de trouver des éléments qui plaident en faveur d’une progression de cet ordre.

Jean-François Bay

Il n’y a pas eu de progression des profits en 2019, ce qui n’a pas empêché les marchés de gagner plus de 20 %. Il me semble que ce n’est plus déterminant.

Eric Lauri

Si cette prévision se réalise, ce sera bien un soutien pour les marchés. Il est préférable d’avoir 10 % de croissance des profits que rien. Mais les bénéfices peuvent progresser sans que les marchés ne montent pour autant s’il y a des éléments exogènes, notamment les taux, qui sont bien plus puissants que les profits.

Jérôme Antonini

Quand on voit l’impact de certains secteurs dont les résultats sont très volatils sur les résultats globaux des marchés, il est compliqué d’anticiper la hausse des bénéfices. Cette dernière est tributaire de secteurs d’activité, eux-mêmes tributaires d’éléments exogènes qui vont avoir un impact sur l’ensemble du marché.

Stéphane Furet

La politique monétaire des grands banquiers centraux et l’évolution du marché obligataire seront plus déterminantes que l’évolution des bénéfices.

Jérôme Antonini

D’où l’importance de se focaliser sur ce qui fait la granularité du marché, les sociétés elles-mêmes. On se rend bien compte, dans l’environnement actuel, qu’il est très difficile d’avoir une vue globale pertinente.

Stéphane Furet

Cela milite également en faveur de portefeuilles qui ne soient pas centrés sur quelques styles ou thèmes mais plutôt des fonds «diversifiés» multisecteurs et thématiques.

Eric Lauri

Pour résumer : la survie de la gestion active dépend de notre capacité à créer de la valeur. Les clients regardent toujours les performances par rapport aux indices. Nous sommes des gérants long only mais en réalité, nous faisons du long/short puisque nous avons des positions longues sur les titres que nous achetons tout en étant, virtuellement, short sur les indices. Il faut générer de l’alpha et donc se concentrer sur nos cercles de compétences et mettre le risque sur ce que nous connaissons le mieux. C’est pour cela que finalement, les valorisations ne sont pas notre sujet numéro un ! Notre approche consiste à faire des arbitrages entre les valeurs, à privilégier LVMH plutôt que L’Oréal par exemple. Nous essayons de nous extraire le plus possible de sujets sur lesquels nous n’avons pas de prise et de nous concentrer sur des dossiers pour lesquels nous pouvons avoir de meilleures estimations sur le long terme.

Stéphane Furet

De ce fait, nous en revenons à la croissance des résultats puisque la sélection va porter sur des valeurs pour lesquelles le gérant estime qu’il y a plus de chance que les analystes révisent à la hausse les prévisions de profits de LVMH plutôt que celles de L’Oréal. Le momentum apparaît plus favorable au premier.

Eric Lauri

Tout à fait ! Aujourd’hui, nous évoluons dans un monde qui se polarise entre les gros assets managers qui se rapprochent et les flux dans la gestion passive. Des acteurs de notre taille n’ont d’autre vocation que de créer de la valeur alors que le métier de gérant se complexifie.

Jean-François Bay

Nous assistons au match «free beta contre high alpha» : quelle valeur ajoutée peut-on avoir par rapport aux indices ? Ce mouvement structurel initié aux Etats-Unis reste d’actualité. Il peut se traduire autrement, par un match entre low cost et premium dans la gestion d’actifs comme dans n’importe quel autre secteur.

Dans la gestion de conviction, on ne voit malheureusement pas la valeur ajoutée dans le contrôle des risques qui passe au second plan dans un contexte d’exubérance irrationnelle et d’injection de liquidités. L’investisseur ne perçoit pas le risque. Il achète du high yield, des SCPI, des produits structurés, etc. Et il a tendance à favoriser des gérants qui prennent beaucoup de risques au détriment de ceux qui respectent des budgets de risque ou font preuve de prudence à l’égard de certaines classes d’actifs, en particulier pour des raisons de liquidité. L’investisseur prend du risque sans trop se soucier de la liquidité embarquée dans les produits comme c’est le cas pour le private equity.

Stéphane Furet

Ne pas avoir de valorisation quotidienne confère un gros avantage au private equity par rapport à nos métiers. C’est aussi ce qui explique l’appétit croissant des particuliers pour cette classe d’actifs. L’immobilier reste sur le devant de la scène. Les assureurs imposent désormais une part d’unités de comptes de 30 ou 50 % dans certains contrats et les CGP, à la demande de leurs clients finaux, achètent des SCPI et du non-coté.

Jérôme Antonini

Certains de ces produits n’ont pas de volatilité, ce qui est un atout pour certains investisseurs institutionnels comme les assureurs, car ils consomment moins de capital que les actions. Ces produits sont-ils moins risqués ? Je ne pense pas, mais ils sont moins liquides.

Eric Lauri

La liquidité apporte de la volatilité qu’in fine tout le monde regarde. Ce qui, au départ, constituait un avantage est devenu un inconvénient.

Depuis fin 2019, on parle beaucoup de retour en grâce de la value. Est-ce qu’il est opportun de privilégier des fonds en fonction des styles de gestion ? faut-il au contraire préférer des fonds offrant une meilleure diversification ?

Jérôme Antonini

Pour ma part, je gère un fonds qui a un style de gestion très marqué et assumé. Notre processus de gestion nous amène à investir de façon structurelle dans des sociétés qui offrent les meilleures perspectives de croissance visible, quel que soit l’environnement. Donc, nous n’allons jamais essayer de jouer les changements de mouvements sur les marchés ou les rotations sectorielles.

Stéphane Furet

Question récurrente de chaque début d’année : la value va-t-elle enfin prendre sa revanche ? Chez Dorval AM, nous avons plutôt un biais croissance. Cependant, il y a des périodes de marché pendant lesquelles nous pourrions être tentés d’acheter des titres décotés. Mais pour que la value renoue avec la performance boursière, il faut un momentum positif. Si un titre est décoté, c’est parce qu’il y a eu dans la vie de l’entreprise une panne de croissance, des résultats en baisse ou un environnement global défavorable à une activité sur le moyen terme. Mais attention, les perspectives bénéficiaires de la société ne seront peut-être plus aussi bonnes que dans le passé.

Jérôme Antonini

Certaines de ces sociétés ont anticipé certaines problématiques de l’évolution de leurs métiers, grâce notamment à un bon management. Elles ont réalloué le capital de façon à se protéger de ces risques et ont réussi à se redéployer.

Jean-François Bay

La digitalisation touche tous les secteurs. Les alternatives aux valeurs traditionnelles européennes «disruptées» sont souvent américaines (Publicis/Google, Renault/Tesla, Carrefour/Amazon, Accor/AirBnB…). L’Europe n’a pas la culture de la prise de risque à long terme. Ce n’est pas dans la culture européenne d’investir dans des sociétés dont on sait qu’elles vont être déficitaires pendant des années contrairement aux Américains.

Eric Lauri

Le débat entre croissance et value est un peu faussé. Il y a une granularité importante dans le marché. Certaines caractéristiques permettent de classer les sociétés dans un style ou dans un autre mais la réalité est souvent plus complexe que cela. La gestion quantitative s’est emparée de ce sujet, notamment avec les stratégies risk premia, ce qui a amené beaucoup de flux sur les facteurs et donc de la volatilité.

A cela s’ajoute la macroéconomie. Value versus croissance est un «sujet taux». Si les taux remontent, les valeurs de croissance vont cesser de se réévaluer. La remontée des taux signifie aussi plus de croissance donc de meilleures perspectives pour les valeurs, non pas value, mais plutôt cycliques.

Dans les fonds que vous gérez, quels sont les secteurs les plus représentés ?

Eric Lauri

Dans notre fonds long only Europe, nous avons construit un modèle pour pouvoir atteindre un objectif : être régulier pour battre le benchmark. Pour ce faire, il faut éviter au maximum les risques relatifs à l’indice et sur lesquels nous avons moins de prise, notamment les risques sectoriels. Nous essayons autant que possible de ne pas avoir de biais sectoriel ou factoriel car pour certains secteurs ou thèmes, les valorisations peuvent devenir excessives sous l’effet de l’engouement.

Jérôme Antonini

Dans la construction de notre portefeuille, nous n’avons pas d’allocation sectorielle. Nous partons des sociétés mais, par rapport à notre processus de gestion, certains secteurs d’activité vont être très bien représentés dans le portefeuille et d’autres totalement absents. En effet, notre processus cherche à s’éloigner des risques systémiques. De fait, les matières premières, l’énergie, la banque et l’assurance sont des secteurs dans lesquels nous ne sommes pas présents. A l’inverse, la consommation, la santé et la technologie seront bien représentées car nous allons trouver des sociétés qui sont en phase avec ce que nous souhaitons détenir en portefeuille. Cependant, il peut y avoir des situations contre-intuitives. Reprenons l’exemple des matières premières : ce secteur englobe le compartiment de la chimie dans lequel on trouve des sociétés intéressantes dans les gaz industriels, la chimie de spécialité ou les ingrédients. Ce secteur des matières premières qui, de prime abord ne nous semble pas investissable, peut offrir des opportunités qui correspondent à nos critères.

Stéphane Furet

Nos portefeuilles sont aujourd’hui assez hétéroclites, avec des thèmes séculaires comme la numérisation de l’économie et des thèmes plus cycliques et industriels du fait de notre scénario central 2020 de reprise progressive. En fonction du cycle, nous pouvons intégrer des secteurs plus dépendants de la conjoncture. Nous sommes revenus récemment sur des sociétés du secteur des matières premières, des financières mais aussi des compagnies aériennes low cost britanniques.

Vos gestions intègrent-elles les critères ESG ? Est-ce un élément différenciant pour la gestion active ?

Jérôme Antonini

Ce qui risque d’être différenciant mais dans le mauvais sens du terme, c’est de ne pas intégrer ces critères ESG. Une société ayant bien intégré les grands enjeux auxquels elle est confrontée dans sa stratégie est, a priori, en mesure d’offrir des perspectives intéressantes. C’est en cela que l’ESG est incontournable. Nous ne l’avons pas intégré uniquement par obligation mais aussi pour mieux appréhender les sociétés.

Nous nous appuyons sur des notations pour mettre en œuvre l’intégration ESG mais parfois, parce que la communication d’une société n’a pas été efficiente ou pour des raisons de positionnement relatif de la société qui n’a pas été bien expliqué, nous trouvons des notations ESG qui ne correspondent pas, selon nous, son engagement. Face à cela, nous avons un dialogue avec la société pour qu’elle parvienne à améliorer sa notation afin que nous puissions la garder en portefeuille. Nous ne pouvons pas conserver une valeur avec un faible score ESG d’une part par ce que le fonds est labellisé et, d’autre part, parce que tôt ou tard, cela va poser un problème en termes de gestion.

Stéphane Furet

Nos fonds sont en cours de labellisation car, en effet, c’est une tendance incontournable. Notre gamme «Manageurs» a historiquement mis l’accent sur les sujets de gouvernance. Dans notre processus nous avons toujours noté les dirigeants d’entreprise, nous pondérons désormais 20 % le sujet ESG. Parfois, les conclusions des agences de notation ne correspondent pas à la perception que nous avons d’une entreprise quand nous dialoguons avec le management. Nous avons de plus en plus d’échanges avec les entreprises (dont les petites et moyennes) à qui nous devons faire comprendre qu’il est important d’avancer sur ces sujets pour ne pas faire fuir les investisseurs.

Jean-François Bay

Les gérants sont obligés aujourd’hui d’intégrer les critères ESG dans l’appréciation d’une société et dans leur processus de gestion. L’ISR est une tendance de fond dont on commence à percevoir les effets sur la collecte sur 2019 et encore en ce début d’année. Il n’y a pas que l’ISR mais aussi le souhait d’investir dans des thématiques ESG et dans des sociétés qui apportent des solutions concrètes que l’on range dans la catégorie «impact investing». Le label ISR semble moins porteur que des thématiques liées au développement durable et au changement climatique.

Eric Lauri

Les critères ESG font partie de l’analyse financière. Quand nous analysons une société, nous accordons une grande importance à la gouvernance. A notre sens, c’est le point le plus important, y compris pour les critères environnementaux et sociaux : un management de qualité dirige la société dans le bon sens. Nous ne nous interdisons pas d’investir dans Total ou BP pour capter une amélioration de leurs pratiques. Nous travaillons avec un fournisseur de données extra-financières pour défricher le terrain puis nous essayons de construire un portefeuille qui ait une meilleure note globale que notre benchmark. 

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