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Marchés actions : comment s’adapter à la perspective d’une fin de cycle ?

Publié le 30 mai 2018 à 15h01    Mis à jour le 4 juillet 2018 à 11h24

Propos recueillis par Catherine Rekik

L’année a commencé sur les chapeaux de roue pour les marchés, mais la correction de début février a amené les investisseurs à plus de prudence. L’intérêt d’investir dans la classe d’actifs n’a cependant pas été remis en cause. Funds s’interroge néanmoins sur la montée de certains risques et sur leurs impacts sur les marchés.• Où sont les opportunités ?• Quels sont les facteurs de soutien de la classe d’actifs ?• Comment se comporte-t-elle en période de remontée des taux ? • Faut-il arbitrer les marchés américains en faveur des actions européennes ?• Sur les marchés européens, quels arbitrages entre large caps et valeurs moyennes ?• Peut-on continuer à investir dans les marchés émergents ? Funds s’interroge par ailleurs sur l’opportunité de privilégier les approches régionales ou d’investir plutôt dans les fonds actions internationales.

Comment se comportent les marchés actions depuis le début de l’année ?

La correction de début février a-t-elle modifié votre perception des marchés ?

Cyrille Collet, SFAF, CFA, directeur de la gestion quantitative actions, CPR AM : Selon les anticipations de début d’année, 2018 est censée être positive pour les marchés actions. Nous anticipions une hausse de 5 % environ pour les actions internationales, ce qui nous plaçait un peu dans le camp des pessimistes car les attentes étaient plus élevées après un démarrage presque euphorique. Aujourd’hui, nous maintenons notre prévision de 5 % car les croissances de bénéfices ont été revues à la hausse et les taux montent mais de façon graduelle. Par rapport aux années précédentes, nous observons un changement de régime en 2018, lié au retour de la volatilité et à des éléments au quotidien qui font bien plus bouger les marchés. 2018 devrait donc être une année globalement plus positive pour les actions, mais dans un monde plus volatil. Par ailleurs, nous avons observé que la correction des marchés début février a amplifié la demande des investisseurs, qui s’intéressent de plus en plus à des stratégies de performance absolue sur les actions. Ils sont conscients de la baisse inéluctable des rendements sur les actions et de la forte exposition au marché américain dès lors qu’ils sont investis dans des stratégies globales.

Christian Parisot, stratégiste, Aurel BGC : Beaucoup de bonnes nouvelles, notamment sur la croissance mondiale ou la réforme fiscale aux Etats-Unis, étaient déjà intégrées dans les cours fin 2017. Cela donnait donc l’impression en début d’année que le potentiel de hausse des marchés actions était plutôt limité, malgré un environnement économique favorable, et qu’il y aurait plus de volatilité. Le scénario économique reste positif, même si la croissance en zone euro a un peu déçu. La conjoncture aux Etats-Unis reste plutôt bonne, et les signaux sont toujours positifs dans les pays émergents. La toile de fond est donc positive, mais déjà bien intégrée alors que les marchés se focalisent sur les éléments perturbateurs.

Le grand changement entre 2017 et 2018 concerne la perception de Trump : positive l’an dernier car les décisions prises faisaient plaisir aux marchés ; mais aujourd’hui les tensions sur fond de guerre commerciale, la décision concernant l’Iran, etc., sont sources de volatilité, parfois même plus importantes que la situation en Italie qui, potentiellement, pourrait être plus risquée. Un tweet de Trump peut avoir un impact sur les cours de Bourse. C’est une vraie source de volatilité difficile à appréhender et à intégrer dans nos scénarios ! C’est ce qui rend cette année 2018 complexe alors que, paradoxalement, le scénario économique est positif. Par ailleurs, il y a un autre élément important à prendre en compte : le changement des politiques monétaires dans le monde, plus rapide aux Etats-Unis qu’en Europe. La Fed a désormais atteint son objectif d’inflation et se pose la question de savoir si c’est la fin du cycle ou si elle doit maintenir ses taux inchangés pour ne pas freiner l’activité.

Le retour de la volatilité ne vous a donc pas surpris. Et pourtant, nous sommes de nouveau dans un environnement de faible volatilité. Comment l’expliquer ?

Christian Parisot : Il faut distinguer deux choses : la volatilité des marchés et l’incertitude que nous avons dans nos scénarios. Une incertitude qui ne se traduit pas forcément par de la volatilité sur les marchés. Comment déterminer dans les propos de Trump ce qui est purement électoraliste dans l’expectative des élections de novembre et ce qui peut avoir une réelle répercussion sur l’économie mondiale ? Des gens se sont précipités pour acheter de l’acier et de l’aluminium dans la perspective d’une hausse des droits de douane qui finalement pourrait ne pas avoir lieu. C’est très compliqué d’intégrer tout cela dans des allocations d’actifs ou de faire des arbitrages, car ce ne sont ni des indicateurs économiques ni des tendances mais des réactions à des propos politiques. C’est ce qui crée des phases ponctuelles de volatilité.

Etienne Guicherd, analyste-gérant actions US, Amiral Gestion : Chez Amiral Gestion, nous avons une approche bottom-up, donc pas de vision macroéconomique globale. Mais nous analysons l’environnement dans lequel évoluent les sociétés dans lesquelles nous investissons ainsi que les valorisations, aujourd’hui très élevées en relatif.

Nous sommes donc très prudents et nous avons plutôt essayé de profiter du retour de la volatilité et des mouvements erratiques sur certaines valeurs pour nous renforcer. Nous avons aussi beaucoup vendu durant cette période, notamment des small caps qui étaient devenues bien valorisées. Aux Etats-Unis, nous avons été très surpris du violent rebond dans le retail en fin d’année dernière, amplifié ensuite par la réforme fiscale. Des valeurs oubliées ont fortement rebondi. C’est cette violence qui me surprend ! Certaines valeurs qui, historiquement, ont des bêta assez faibles peuvent progresser de 15 % en une séance lors des publications si les résultats sont légèrement meilleurs qu’attendu. Les cours de Bourse évoluent dans un sens ou dans l’autre de façon violente.

Les baisses violentes sur certains titres sont-elles dues aux valorisations trop élevées ?

Christian Parisot : Ce sont les réactions les plus violentes observées depuis 2009. Sur les marchés actions américains, plusieurs raisons expliquent ces décalages de cours. Les publications des valeurs technologiques ont été rassurantes, alors qu’il y avait des problématiques sectorielles qui avaient suscité des inquiétudes. Certaines publications étaient très bonnes, mais accompagnées de nouvelles peu rassurantes sur les marges, comme cela a été le cas pour Caterpillar qui a averti de l’impact de la hausse du prix de l’acier difficilement répercutable sur les prix de vente. Il y a une vraie inquiétude sur la capacité de certaines entreprises américaines à maintenir leurs marges car il y a des tensions inflationnistes. Tout le monde est optimiste sur l’activité, mais les coûts peuvent déraper dans un contexte de hausse des salaires et des matières premières. Dans les secteurs qui n’ont pas de pricing power, les valeurs ont été sanctionnées.

Les tensions inflationnistes vont-elles avoir des répercussions sur les prix ou sur les marges ? Si c’est sur les prix de vente, il faut vendre les obligations, si c’est sur les marges, il faut vendre les actions. C’est une vraie interrogation qui n’appelle pas de réponse uniforme car cela dépend des sociétés et de leur capacité à relever leurs prix de vente.

Julien Faure, analyste-gérant actions Japon, Amiral Gestion : Je partage l’idée précédemment évoquée d’une fin d’année 2017 sans doute trop optimiste qui rendait le marché un peu trop nerveux, car les entreprises, de bonne ou moins bonne qualité, intégraient très bien les bonnes nouvelles et pas forcément les mauvaises. Cette année, les investisseurs sont plus attentifs, et réactifs, aux mauvaises nouvelles. La phase de volatilité en début d’année était donc rationnelle. Elle a créé des opportunités que nous avons saisies.

Sébastien Korchia, directeur de la gestion actions, UBS La Maison de Gestion : 2017 a été une année anormale à tous les niveaux : taux d’intérêt négatifs, volatilité trop basse, des matières premières au plus bas et des distorsions liées aux politiques monétaires. Avec le changement de politique monétaire aux Etats-Unis, nous vivons désormais une période de normalisation. La hausse de la volatilité traduit une sortie des excès. En parallèle, nous sommes dans une phase de maturité du cycle américain. C’est la deuxième plus longue durée de cycle économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Avec la remontée des taux et la hausse des matières premières, nous sommes dans un environnement difficile à appréhender, qui manque de logique, et qui provoque des surréactions par rapport aux informations de marchés.

Avec une probable fin de cycle aux Etats-Unis s’accumulent toute une série de difficultés à venir. La croissance mondiale reste bien orientée, mais elle est en train de se désynchroniser, les politiques monétaires divergent désormais et les pays émergents commencent à souffrir de la hausse du dollar. Les décisions de Trump et de la Fed ont des effets sur l’ensemble des marchés et sur le commerce mondial. La période de transition qui s’ouvre n’est pas forcément négative, mais elle se traduit par le retour de la volatilité.

Finalement, quelle que soit la dynamique propre à chaque région économique, l’orientation des marchés reste déterminée par ce qui se passe aux Etats-Unis…

Donc arbitrer les actions américaines en faveur des actions européennes ne permet pas d’être à l’abri d’une correction boursière ?

Sébastien Korchia : Oui, c’est bien des Etats-Unis que vient l’effet papillon. C’est bien le dollar qui a des effets négatifs sur les marchés émergents, etc. Ces dernières années, l’arbitrage entre les actions américaines et les actions européennes s’est révélé être une erreur.

Christian Parisot : Il y a réellement un décalage de cycle entre les Etats-Unis et l’Europe et des politiques monétaires divergentes. Mais si, demain, les Etats-Unis entrent en récession, peut-on vraiment croire que l’Europe sera immunisée ? Ou les pays émergents ? Ou bien que le pétrole restera à ses niveaux actuels ? Avec leur poids dans l’économie mondiale et les marchés financiers, les Etats-Unis restent un élément moteur. Mais s’ils ne connaissent pas de grands à-coups, privilégier la zone euro dans une allocation d’actifs peut être un choix pertinent.

Sébastien Korchia : Il n’est pas possible d’ignorer ce qui se passe sur le marché obligataire américain, car cela impacte toute la planète. Je ne parle pas du taux nominal mais de l’évolution de la courbe des taux.

Cyrille Collet : Tout vient toujours des Etats-Unis, les bonnes comme les mauvaises nouvelles. Les principales crises de ces vingt dernières années viennent de là, mais c’est aussi la performance des marchés américains qui a fait monter les autres marchés. C’est la Fed qui a mis en œuvre les quantitative easing, suivie plus tard par les autres banques centrales. Les deux banques centrales les plus actives dans le monde aujourd’hui sont la BoJ au Japon et la PBOC en Chine.

Le moindre mouvement de taux ou de dollar génère du stress dans les pays émergents, mais ces derniers ne sont pas dans la même situation qu’il y a dix ans. L’Indonésie, la Turquie ou la Russie sont dans une phase de stress mais, avec un pétrole à 80 dollars le baril, il y a tout un monde émergent qui va mieux. Reste le phénomène des flux : les flux les plus actifs viennent du monde anglo-saxon et, dans une période comme celle que nous connaissons, il va y avoir huit à dix semaines de sorties des marchés émergents à mesure que les taux US et que le dollar s’apprécient. Ce sera quand même moins cataclysmique que par le passé. Il est donc encore un peu tôt pour arbitrer des actions américaines pour des actions européennes, mais cela devrait être enfin le cas en 2019…

Etienne Guicherd : Aux Etats-Unis, nous observons que toutes les entreprises, à part quelques histoires particulières ou des secteurs massacrés, ont des marges historiquement élevées, du cash accumulé au bilan, des retours sur capitaux importants, etc. La probabilité d’avoir une mauvaise nouvelle est donc plus élevée que celle d’avoir une bonne nouvelle qui entraînerait une hausse des cours.

Sébastien Korchia : La difficulté est d’arriver à déterminer où se trouve le pic d’activité. Une partie du marché pense qu’il a déjà été passé, et l’autre partie s’interroge. Avoir passé ce pic implique des attentes différentes en matière de profits et des choix sectoriels différents, notamment concernant les valeurs cycliques. Aujourd’hui, la courbe des taux nous donne un signal sur le pic d’activité présent ou à venir dans un futur proche. Historiquement, un marché arrête de monter quand les matières premières sont au plus haut et que les marges se détruisent. Nous sommes dans cette configuration, avec des valorisations très élevées.

Christian Parisot : Nous retrouvons ces interrogations dans les données d’enquête que nous menons auprès des investisseurs. A court terme, ils sont optimistes mais les attentes à six mois se sont effondrées. Ils anticipent tous un marché plus bas. C’est le syndrome du point haut, le sentiment d’avoir atteint un seuil avec des inquiétudes à moyen terme tout en hésitant à sortir des marchés.

Sébastien Korchia : Les marchés avaient déjà intégré cette idée d’avoir pratiquement atteint un plus haut, mais Trump a perturbé l’histoire avec des mesures qui ont relancé la croissance et permis aux sociétés d’accroître les bénéfices par action. Le risque de signaux récessionnistes à horizon de quelques trimestres va revenir.

Cette idée d’avoir atteint un plus haut sur les marchés et la perspective d’une récession vont-elles décourager les investisseurs d’investir dans les actions ?

Cyrille Collet : Tout dépend de ce que Trump prépare, car il pourrait proposer un nouveau plan de relance avant les élections de mi-mandat en novembre. Tout dépend aussi du niveau des taux. L’intérêt d’investir dans les actions n’est pas remis en cause, car les profits sont attendus en hausse aux Etats-Unis et dans la zone euro. Aux Etats-Unis, les taux à dix ans sont autour de 3 %, mais c’est loin d’être le cas dans la zone euro où, sur un horizon de dix ans, la question de l’arbitrage entre les actions et les obligations ne se pose même pas. Dans la zone euro, tant que les taux restent bas, les actions bénéficient toujours d’un effet d’aubaine. L’évolution du taux US à dix ans sera donc le principal artisan d’une réallocation d’actifs.

Christian Parisot : On revient ainsi à la question de savoir si la fin de cycle américain se traduira par une pression sur les marges des entreprises ou par l’inflation. Si la fin de cycle est inflationniste, mieux vaut éviter les taux. Nous sortons d’une longue période de croissance économique. Il n’y a pas d’inflation mais des tensions inflationnistes. Qui va payer la facture ?

Sébastien Korchia : Si les marges commencent à diminuer, cela montrera bien que le pic aura été dépassé. Quand les valeurs cycliques commencent à être valorisées comme des valeurs de croissance, il faut s’interroger sur la pertinence d’un arbitrage thématique.

En quoi le marché japonais se distingue-t-il de tout ce qui a été dit précédemment ? Quelles sont ses spécificités ?

Julien Faure : Les spécificités sont surtout fondamentales. Par exemple, les marges des entreprises sont aujourd’hui plus faibles que celles de leurs concurrents internationaux, mais nombre d’entre elles travaillent à les améliorer. Par ailleurs, dans le monde entier, les entreprises se sont endettées, souvent pour faire du retour aux actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’actions. Au Japon, c’est l’inverse : les entreprises se sont désendettées depuis vingt ans. Elles ont des trésoreries importantes qui leur permettent de réaliser beaucoup de projets. Notre exposition au Japon a augmenté, mais pas pour des raisons d’allocation géographiques. C’est la résultante de notre stock picking. Nous y trouvons des sociétés solides avec des potentiels de hausse que nous ne trouvons pas sur d’autres marchés.

La question des valorisations élevées se pose-t-elle également au Japon ? Peut-on d’ailleurs dire que les marchés sont chers ?

Julien Faure : Globalement, les indices sont chers, cependant certaines sociétés très compétitives se paient moins cher que leurs concurrentes dans d’autres pays développés.

Cyrille Collet : La cherté des marchés actions doit être considérée par rapport aux marchés des taux. Avec des taux bas, il est normal que les actions soient chères. Quand les taux sont inférieurs à 4 %, ce qui est le cas un peu partout dans le monde, il y a plus de raisons intrinsèques de s’intéresser à la classe d’actifs.

Christian Parisot : Il y a tout de même un problème de taille : une bulle sur les taux. Elle a été créée par l’intervention des banques centrales. Les banquiers centraux achètent des obligations en fonction des différents programmes et injectent des liquidités. Quand ils vont se retirer des marchés, il y aura forcément des ajustements, car le niveau des taux ne correspond pas à ce à quoi les investisseurs peuvent prétendre en matière de couple rendement/risque. C’est flagrant sur le marché du crédit, où certaines entreprises empruntent à des taux très faibles au regard de leur niveau de risque. La fin de cette bulle sur le marché obligataire aura des conséquences sur l’allocation d’actifs. Aux Etats-Unis, la Fed est bel et bien en train de mettre un terme à sa politique monétaire très accommodante. On peut donc parler de valorisation intrinsèque des marchés actions et dire qu’ils sont chers, mais en relatif il faut les comparer à un marché sur lequel il y a une bulle.

Sébastien Korchia : Les actions sont dans une fourchette haute de valorisation, mais cela est justifié au regard des perspectives de croissance mondiale, des hausses de profits attendues et de la faiblesse des taux. Si nous restons dans un environnement comparable, les actions ne sont pas si chères. Au sein de chaque zone, certains actifs sont chers. C’est le cas des small caps, aussi bien aux Etats-Unis, où elles ont bénéficié de la réforme fiscale, que de l’Europe. Des arbitrages devraient aussi s’imposer entre les valeurs cycliques et les valeurs de croissance qui, en dehors du secteur de luxe, ont été malmenées.

Etienne Guicherd : Nous sommes, plus que jamais, dans un environnement où il faut être sélectif. Certaines sociétés peuvent avoir des croissances indépendantes des cycles économiques et être ainsi mieux armées face à des corrections de marché. D’autres ont un profil plus défensif et ont en cash l’équivalent de leur capitalisation boursière, comme c’est le cas parfois au Japon. Aussi, compte tenu des niveaux de valorisation, nous sommes d’autant plus attentifs à la qualité des entreprises.

Quels sont aujourd’hui les facteurs de soutien de la classe d’actifs ?

Cyrille Collet : Parmi les facteurs de soutien, je citerai les rachats d’actions et donc les taux, puisque les entreprises peuvent s’endetter à des niveaux intéressants pour racheter leurs actions. C’est un thème fort aux Etats-Unis et au Japon.

Julien Faure : En effet, au Japon aussi les rachats d’actions sont en hausse. Si on ajoute la banque centrale et les fonds indiciels, beaucoup d’acteurs sur le marché ne regardent pas les prix, ce qui soutient artificiellement les cours de Bourse.

Cyrille Collet : Shinzo Abe a fait découvrir aux entreprises japonaises l’intérêt du retour aux actionnaires, notamment pour attirer les investisseurs internationaux. Il a demandé la création d’un indice de gouvernance qui a changé la conduite au quotidien de l’entreprise.

Christian Parisot : Les rachats d’actions sont aussi un signal de fin de cycle. Quand une entreprise redonne du cash aux actionnaires plutôt que d’investir dans l’économie, cela signifie que la rentabilité économique de ses investissements est inférieure à la rentabilité financière. On n’investit plus en Bourse pour jouer la croissance des entreprises mais pour le rendement des actions.

Sébastien Korchia  : Les banques centrales restent aussi un soutien important, même si la Fed a levé le pied.

Etienne Guicherd : Au niveau microéconomique, ce sont les valeurs technologiques qui tirent les résultats. Les GAFAM publient des résultats impressionnants. A peine digérée l’audition de son P-DG devant le Congrès américain, Facebook a publié un résultat net en hausse de 70 % ! En Chine, c’est la même chose pour Tencent, Alibaba ou Baidu, qui offrent une excellente visibilité. Les grandes valeurs qui tirent les indices boursiers se portent très bien.

Cyrille Collet : Aux Etats-Unis et dans les marchés émergents, la hausse des indices a été portée par une vingtaine de sociétés, principalement des technologiques. Or, quand Amazon fait de la croissance, c’est tout le secteur du retail américain qui risque de mourir. La disruption est un vrai sujet qui remet en cause les modèles classiques de cycles économiques.

Christian Parisot : La grande idée derrière la réforme fiscale aux Etats-Unis était de baisser l’impôt sur les sociétés pour les inciter à investir plus, et donc augmenter la croissance potentielle de l’économie américaine. Or, les entreprises n’ont pas investi dans l’outil de production, mais dans les processus de numérisation. La digitalisation de l’économie s’accélère fortement, y compris en Europe, car les entreprises ont la capacité d’investir, mais cela se fait au détriment de l’investissement physique. Cela explique également les chiffres d’investissements décevants. La réforme fiscale n’aura peut-être pas l’effet escompté en matière d’investissements productifs.

Etienne Guicherd : Il est difficile d’avoir une bonne lecture des marchés, car le paradigme actuel est totalement inédit. Ces entreprises sont jeunes et ont balayé en dix ans des sociétés comme General Electric ou IBM, qui ont dominé l’économie durant des dizaines d’années. Dans la fin de cycle précédent, les GAFA n’avaient pas le même impact sur l’économie et les marchés financiers.

Christian Parisot : Je suis persuadé que les GAFAM seront très sensibles à la fin de cycle aux Etats-Unis, car elles vivent de l’investissement des entreprises, notamment publicitaire. Les taux de croissance resteront certes élevés, mais moins qu’aujourd’hui, ce qui créera des déceptions. Concernant les GAFAM, j’ai été très surpris qu’elles profitent plus de la réforme fiscale que les valeurs industrielles ou de consommation.

Le M&A est-il un facteur de soutien important pour les marchés actions ?

Cyrille Collet : Historiquement, les opérations de fusions-acquisitions se réalisent quand les valorisations ne sont pas chères. Une acquisition a alors du sens, car elle permet de bénéficier d’économies d’échelle. Aujourd’hui, c’est plus l’argent facile que les valorisations qui rend le M&A attractif. Dans les cycles longs de rachat, on trouve les laboratoires pharmaceutiques qui font l’acquisition de sociétés développant de nouvelles molécules. Du côté des GAFA, les nouveaux développements se font également par acquisitions.

En matière d’allocation, faut-il privilégier certains marchés ? Quels sont les arbitrages à réaliser ?

Les secteurs à privilégier ? Comment investir dans les actions quand les marchés sont au plus haut ?

Cyrille Collet : Structurellement, il faut avoir une exposition aux marchés émergents même si les prochains mois risquent d’être difficiles. Les marchés américains sont certainement à des plus hauts mais, à un horizon de cinq ou sept ans, les marchés émergents ont du potentiel.

Investir dans les marchés européens fait sens, mais c’est une décision compliquée pour certains investisseurs étrangers, notamment asiatiques, car il y a trop de différences économiques, fiscales, etc., entre les pays.

Sébastien Korchia : Un investisseur européen n’aura pas la même vision en matière d’allocation d’actifs, car il aura à gérer aussi un risque de change couplé à une volatilité élevée des changes. L’évolution des devises, surtout cette année, nous limite dans nos choix et nous incite plutôt à investir dans la zone euro. Il faut être prudent sur les marchés émergents, un peu moins peut-être vis-à-vis des pays producteurs de matières premières et de pétrole. Il faut être sélectif, mais le niveau de risque s’est brutalement renforcé, ce qui conduit à une diminution de l’exposition à ces marchés. Au sein des actions américaines et européennes, il faut s’interroger sur la place des valeurs cycliques en portefeuille. Il est peut-être temps de revenir sur les valeurs de croissance et défensives.

Etienne Guicherd Dans notre fonds actions internationales, l’exposition est aujourd’hui très diversifiée sur le plan géographique, la France et le Japon représentant chacun 20 %. Le fonds sous-pondère les Etats-Unis, car il y a moins d’opportunités. Même si nous investissons depuis longtemps en Asie, l’ouverture de notre bureau de recherche à Singapour nous a permis d’accroître le focus sur la région. La dynamique est toujours positive dans la zone, et nous apprécions les sociétés qui ont une croissance autonome, comme HIM International Music. Il s’agit d’une valeur taïwanaise qui possède des droits d’auteurs en Asie, notamment en Chine. C’est un équivalent local d’Universal Music (groupe Vivendi), que nous avons également en portefeuille. Ces deux sociétés bénéficient de la même tendance à la digitalisation de la musique.

Julien Faure : Les histoires singulières dans des pays en difficulté nous intéressent également. Je pense en particulier au Brésil et à GP Investments, le premier fonds d’investissement privé d’Amérique latine. Malgré un excellent management, une très bonne allocation du capital et des rachats d’actions massifs, le titre traite aujourd’hui à des niveaux de décote record par rapport à son actif net publié qui est pourtant principalement constitué de sociétés cotées.

Christian Parisot : Investir dans les actions est presque un choix par défaut en raison de la bulle sur les marchés obligataires. Cependant, il est difficile de prendre beaucoup de risques sur les actions. Deux thématiques me semblent intéressantes : les valeurs qui ont la plus faible volatilité et celles qui ont un pricing power important. La performance des valeurs du luxe n’est ainsi pas surprenante. Il me semble plus raisonnable de privilégier les valeurs défensives. Pour un investisseur européen, il me semble judicieux de minimiser le risque de change et de rester investi dans les actions européennes.

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