Table ronde

Obligations : comment générer de la performance ?

Publié le 22 novembre 2019 à 15h55    Mis à jour le 22 novembre 2019 à 18h25

Propos recueillis par Catherine Rekik

Face au risque de ralentissement de l’économie mondiale, voire de récession de l’économie américaine, et sur fond de tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, les banques centrales ont été de nouveau contraintes d’intervenir sur les marchés. Des interventions qui apaisent les inquiétudes des investisseurs, mais qui pèsent sur les rendements obligataires. • Est-il opportun de continuer à investir dans les obligations ? Quels segments privilégier ? • En l’absence de signaux plus marqués de récession, faut-il continuer à investir dans le high yield ? Le couple rendement/risque est-il encore attractif ? • Et la dette émergente ? • Comment générer de la performance dans les portefeuilles obligataires (diversification, duration, flexibilité, etc.) ?

Quel bilan faites-vous des marchés obligataires depuis le début de l’année ? Et du comportement des investisseurs face à ces évolutions ?

Geoffroy Lenoir, gérant multi-actifs et responsable de la gestion taux souverains, Aviva Investors France : L’année a été surprenante, puisqu’elle a débuté sur des attentes de remontée des taux, en particulier dans la zone euro, mais, au bout de quelques mois, les banques centrales ont changé d’orientation dans le but de prémunir les marchés contre un ralentissement de la croissance. Dès le deuxième trimestre, les banquiers centraux sont devenus plus accommodants et ont plutôt orienté les anticipations vers une baisse des taux et une relance monétaire. Les marchés ont dû ainsi s’ajuster sur des baisses de taux à venir et des perspectives de nouveaux programmes de rachats d’actifs.

En cette fin d’année, les banques centrales ont déjà procédé à un certain nombre de mesures. Dans la zone euro, la BCE a encore abaissé les taux de 10 points de base et relancé le QE. Les taux longs ont baissé en zone euro jusqu’en septembre, le taux dix ans allemand ayant touché un plus bas de - 0,70 %. Depuis les dernières annonces, les taux commencent à remonter légèrement. Les prévisions économiques ne sont pas meilleures, mais nous sommes peut-être arrivés au bout des mauvaises nouvelles.

Yanick Loirat, gérant obligataire et responsable taux euro, Neuberger Berman : Il y avait, en début d’année, deux sources importantes d’incertitudes, le Brexit et la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine : deux facteurs de troubles sur les marchés avec, en parallèle, des indices de confiance à la baisse qui ont provoqué un pessimisme, sans doute excessif, chez les économistes et les opérateurs de marché. Dans le cas américain, les investisseurs avaient en effet anticipé les scénarios les plus alarmistes, renforçant la baisse des taux de marché en vue d’une action préventive de la banque centrale.

Aujourd’hui, les nouvelles macroéconomiques ne confirment pas les prévisions alarmistes, l’absence d’accord sur le Brexit s’éloigne et les tensions sino-américaines semblent s’apaiser : le Bund est ainsi revenu à - 0,30 %. Pour que les taux remontent encore, il faudrait une amélioration des indices de confiance, notamment en Allemagne.

Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire, Salamandre AM : Une partie de la baisse est due à une perte de confiance. Au niveau macroéconomique, les indicateurs se sont certes dégradés petit à petit. Fin 2017, la zone euro était au-dessus de sa croissance potentielle. Que la croissance soit revenue autour de 1 % est assez logique et ne signifie pas que l’économie entre en récession. Quant aux performances obligataires, elles sont clairement au-dessus des attentes, car tous les sous-segments sont entre 7 et 16 % de hausse. L’année a été découpée en deux phases. Le premier semestre a été favorable au high yield avec un rendement supérieur à 5 % et des taux de défauts inférieurs à 1,5 %. Quand les banques centrales ont commencé à intervenir, les obligations hybrides et subordonnées ont pris le relais, car elles sont plus à même de profiter de la relance monétaire.

Geoffroy Lenoir : Les discussions entre Trump et la Chine sur les tarifs douaniers ont été les moteurs des marchés cette année. Mais il ne faut pas oublier qu’en début d’année, nous étions dans un contexte de risque politique important en zone euro avec le Brexit et un sujet majeur autour de l’Italie qui est passé au second plan. Cela a eu un impact sur le comportement des marchés obligataires dans la zone euro, notamment sur la dette souveraine. Les spreads étaient très volatils mais cette volatilité a, aujourd’hui, beaucoup baissé grâce à l’action de la BCE et à une coalition italienne plus accommodante avec les demandes de l’Union européenne.

Thomas Giudici : L’Italie est passée au second plan. Cependant, il n’est pas exclu qu’une fois le Brexit terminé, peut-être en janvier, et les tensions commerciales apaisées, le marché aille chercher de nouvelles histoires et ramener l’Italie au premier plan.

Geoffroy Lenoir : Des élections ont eu lieu en Espagne et n’ont pas été un sujet de préoccupation contrairement à ce qui s’est passé l’an dernier.

Yanick Loirat : C’est bien le risque politique qui peut contrecarrer la compression des rendements des dettes de l’Europe du Sud vers celles de l’Europe du Nord avec la politique monétaire de la BCE. On a d’ailleurs observé une brusque remontée des spreads de l’Italie, qui a duré entre six et neuf mois avec le gouvernement de Salvini/5 étoiles. Malgré le risque catalan, l’Espagne n’est pas vraiment attaquée sur les marchés. De nouveaux investisseurs sont intéressés par ce type de dette qui ne présente pas une grande volatilité.

Geoffroy Lenoir : A partir du moment où les investisseurs ont acté que les banques centrales continueraient d’intervenir de façon marquée, il y a eu un changement de comportement et une recherche de rendement sur toutes les classes d’actifs disponibles. Dans la zone euro, ont été plus particulièrement recherchés le high yield et les dettes périphériques et, plus globalement, la dette émergente ainsi que les actions qui ont bien performé cette année.

Dans la zone euro, les flux se sont clairement dirigés vers les obligations au détriment des fonds actions qui ont décollecté pratiquement toute l’année. Qu’est-ce qui anime les investisseurs ? Un excès de prudence ?

Thomas Giudici : C’est de la prudence en effet. Les investisseurs ont été échaudés par les marchés en 2018 et n’avaient pas anticipé de telles performances cette année. La hausse de 2019 a surpris tout le monde. La plupart des investisseurs ont alors dû faire face à un dilemme classique : acheter pour profiter encore de la hausse ou conclure qu’il était trop tard alors que les chiffres macroéconomiques se dégradaient et que l’incertitude politique était toujours là. Le choix intermédiaire choisi par certains a alors été de participer à la hausse des marchés, mais en privilégiant les actifs les plus défensifs comme les obligations ou les actions de style croissance.

Peut-on toujours considérer les obligations comme des actifs défensifs ?

Geoffroy Lenoir : L’an dernier, de nombreux investisseurs avaient une allocation assez offensive avec des positions longues sur les actions et une sous-pondération sur les obligations. Quand le risque s’est matérialisé sur les marchés fin 2018, les deux classes d’actifs ont sous-performé avant de rebondir en début d’année. Pour se protéger, les investisseurs ont recherché des actifs plus défensifs comme des obligations d’Etat américaines ou de la zone euro. Par ailleurs, les investisseurs de long terme, dont les assureurs, ont eu une exposition importante au cash et ont dû s’ajuster en achetant des obligations de bonne qualité comme les obligations françaises ou espagnoles.

Yanick Loirat : Après un dernier trimestre 2018 compliqué pour les actifs risqués et avec des positions d’attente assez marquées, nous avons constaté un écartement des spreads important. Les investisseurs se sont mis en cash et attendaient des grosses émissions obligataires en début d’année. Sur ce dernier point, ils n’ont pas été déçus, mais les investisseurs sont revenus progressivement et, de nouveau, il y a eu une compression des spreads.

Avec la peur, les investisseurs se sont rués sur les obligations américaines ou allemandes considérées comme les actifs les moins risqués. Raison pour laquelle des niveaux stupéfiants ont été atteints. Ce sont les craintes dues aux incertitudes politiques et commerciales qui ont permis d’avoir une courbe allemande aussi plate en territoire négatif, difficilement imaginable cette année sans cela.

Thomas Giudici : Et surtout un taux dix ans allemand en dessous du taux de dépôt de la BCE ! Pour les banques, il est même préférable de placer les liquidités au jour le jour à la BCE que de les investir sur le marché. Surtout si on prend en compte les taux réels, à - 1,80 %.

Geoffroy Lenoir : Dès que les mesures accommodantes de la BCE sont intégrées par le marché, les flux se dirigent vers les taux allemands beaucoup traités à travers des contrats Futures notamment. Cela pousse les taux à la baisse malgré leurs niveaux peu attractifs. Même en territoire négatif, l’intérêt pour les obligations est toujours présent, surtout si l’on pense que les taux vont aller encore plus bas. Dans ce cas, la performance obligataire reste positive comme nous l’avons vu cette année, avec des performances de l’ordre de 7 à 8 % sur les dettes d’Etats de la zone Euro. Cela démontre qu’il y a toujours un intérêt à investir dans la dette souveraine.

Thomas Giudici : Certaines actions sont devenues des actifs de rendement et certaines obligations sont devenues des actifs de gain en capital. On ne cherche plus le portage, mais on attend que les taux descendent encore plus bas.

La poursuite de la baisse des taux n’est pas votre scénario central ?

Yanick Loirat : Nous observons depuis peu une légère remontée, mais tout est lié au climat d’incertitude. Si cette incertitude diminue et que les perspectives macroéconomiques s’améliorent, on peut espérer une légère remontée des taux. Mais, compte tenu de la politique monétaire de la BCE, seule la partie longue de la courbe a la flexibilité pour se «pentifier» en enlevant des primes de risques et en imaginant des anticipations d’inflation plus élevées à terme.

Pour que les taux remontent, il faudrait une action coordonnée de l’Europe du Nord, qui peut se permettre de faire une relance budgétaire. Mario Draghi a été très clair en partant : la politique monétaire très accommodante de la BCE doit aider à faire remonter les anticipations d’inflation vers 2 % et maintenir une bonne situation économique dans la zone euro. Cet objectif d’inflation sera atteint plus vite si les mesures mises en œuvre par la BCE sont accompagnées d’une relance budgétaire dans des pays comme la Hollande ou l’Allemagne, qui ont une marge de manœuvre pour le faire.

Thomas Giudici : Si relance budgétaire il y a, elle restera très mesurée, surtout du fait que les pays d’Europe du Nord ne semblent pas emballés par cette idée. Je ne pense pas qu’il y ait une remontée des taux durable en Europe. La croissance va rester molle et l’inflation modérée. Jusqu’à présent, les politiques monétaires n’ont pas réussi à faire monter l’inflation. Le scénario tend plus vers une situation à la japonaise qu’à l’américaine.

Geoffroy Lenoir : Il faudrait une relance budgétaire de grande ampleur pour que les taux remontent significativement. Et ce n’est pas ce que nous anticipons. Aux Etats-Unis, nous sommes toujours dans un scénario de fin de cycle qui ne permet pas non plus aux taux de remonter beaucoup. Dans ce contexte, une légère remontée des taux longs aurait donc une incidence limitée sur les rendements des obligations.

L’objectif de 2 % d’inflation peut-il être remis en cause ?

Geoffroy Lenoir : Atteindre l’objectif de 2 % d’inflation est le mandat des principales banques centrales. En zone euro, il ne peut pas être changé facilement, il faudrait trouver un nouvel objectif commun qui convienne à l’ensemble des pays de la zone Euro. La dernière revue stratégique de la BCE a eu lieu en 2003 et s’est terminée par une clarification de l’objectif d’inflation, qui a été défini depuis comme étant «inférieur mais proche de 2 % à moyen terme». La prochaine revue n’a pas encore démarré et l’issue reste donc incertaine.

Thomas Giudici : Faut-il baisser cet objectif ou bien, au contraire, le remonter pour avoir plus d’inflation ? Comme aux Etats-Unis, cet objectif sera-t-il limité à une certaine période ? Il y a beaucoup de discussions autour de ce sujet, mais avec peu de chance d’aboutir. Aujourd’hui, certains Etats et de nombreux particuliers sont surendettés. Les banquiers centraux sont pris dans un cercle vicieux et ne peuvent pas arrêter les politiques monétaires accommodantes car les conséquences pourraient être dramatiques.

Il faut donc s’attendre à ce que l’intervention des banques centrales dure encore longtemps…

Geoffroy Lenoir : La situation devrait perdurer encore quelques années. Les banques centrales ne vont pas réduire leurs bilans prochainement, c’est même l’inverse qui s’est produit pour la Fed. Le bilan de la BCE devrait aussi légèrement augmenter par les achats d’actifs, mais cela va dépendre de la reprise des TLTRO III.

Yanick Loirat : La BCE a certes relancé le programme d’achats d’actifs de 20 milliards d’euros par mois, mais peut intervenir de façon plus flexible. Christine Lagarde va peut-être avoir un rôle plus politique à jouer que son prédécesseur pour éviter que la politique monétaire ne se substitue aux politiques des Etats. Si elle y parvient, on peut en effet envisager, à moyen terme, que la BCE soit moins accommodante.

Le risque de récession est-il toujours un risque majeur pour les marchés ?

Geoffroy Lenoir : Actuellement, l’environnement semble s’améliorer un peu. Les données macroéconomiques ne sont pas forcément meilleures, mais il y a une tendance plus positive grâce à la perspective d’accords sur les tarifs douaniers entre la Chine et les Etats-Unis. L’élection américaine en 2020 va se jouer en partie là-dessus. Pour garder son électorat, Trump devra peut-être enlever un peu de pression sur la Chine.

Thomas Giudici : Plus que le risque de récession, ce sont les incertitudes politiques qui vont continuer à peser sur les marchés.

Geoffroy Lenoir : Plus il y a de la pression sur les accords commerciaux, plus les objectifs de croissance sont revus à la baisse. Nous anticipons une croissance américaine autour de 1,5 % l’an prochain et de 1 % en zone euro. Mais la croissance mondiale pourrait bénéficier d’un climat plus positif et remonter de 0,3 à 0,4 % si un accord commercial est trouvé.

Yanick Loirat : En 2017, les indices de confiance sont montés très haut sans grand rapport avec la croissance réelle. Cette année, l’excès d’optimisme a laissé la place à du pessimisme. Les indicateurs manufacturiers allemands sont, par exemple, au plus bas, ce qui ne signifie pas que la croissance allemande sera négative au troisième trimestre. Les indicateurs de confiance donnent une tendance, mais pas l’amplitude de l’impact sur la croissance. Il faut donc être prudent.

Thomas Giudici : Les taxes et droits de douane instaurés par les Etats-Unis ne sont pas vraiment significatifs. L’impact sur le PIB mondial est très limité. Le vrai problème est un problème de confiance. Quelques éclaircies et une reprise de confiance des agents économiques pourraient soutenir l’économie mondiale.

L’intérêt des investisseurs s’est principalement porté sur le high yield et la dette émergente ? Ces deux classes d’actifs offrent-elles encore un couple rendement/risque intéressant ?

Geoffroy Lenoir : Sur nos fonds multi-actifs, nous avons recherché du rendement tout en étant sélectifs. En milieu d’année, compte tenu des risques, nous avons opté pour des classes d’actifs corrélées aux marchés actions, mais plus défensives comme le high yield ou la dette émergente. Au sein de la catégorie high yield, il y a des arbitrages à faire entre le «global high yield», surtout exposé au marché américain, et la dette européenne. Sur la première partie de l’année, nous avons privilégié le «global high yield» avant de nous reporter plutôt sur la zone Euro pour des considérations de valorisation et d’exposition à la duration. Le high yield nous semble offrir encore du rendement, même si la classe d’actifs paraît chère, il faut alors comparer avec les rendements sur la dette souveraine qui sont beaucoup plus faibles.

Thomas Giudici : Sur le high yield euro, le portage est à 3,5 % pour des taux qui restent à - 0,30 %. La classe d’actifs reste donc attractive alors que les taux de défaut devraient rester bas, autour de 1 %, malgré une augmentation récente du risque idiosyncratique. Le rendement couvre largement ce niveau de risque.

Yanick Loirat : Nous sommes positifs sur le crédit qui profite des politiques monétaires accommodantes et de la relance du programme CSPP qui soutient le segment investment grade. En ce qui concerne le high yield, il faut être sélectif pour éviter les mauvais émetteurs qui peuvent coûter très cher. Nous préférons ne pas être en portage mais être plutôt actif sur ce type de dette pour générer de la performance.

Thomas Giudici : Le risque idiosyncratique sur le crédit high yield s’est élevé. Le nombre de titres «distressed» a pratiquement doublé en un an. Il y a donc beaucoup plus d’émetteurs qui peuvent subir de lourdes pertes, ce qui nous amène à être encore plus sélectifs. Par ailleurs, nous avons surpondéré dernièrement la dette subordonnée d’émetteurs Investment Grade du secteur financier et notamment assurantiel, car ce secteur est plus à même de profiter de la politique de la BCE et les taux de défaut sur ces émetteurs sont plus faibles que pour le high yield. Les rendements de cette classe d’actifs sont équivalents voire supérieurs au high yield. Cet allégement d’un segment du marché obligataire (ici le high yield) au profit d’un autre (ici les émissions subordonnées d’émetteurs Investment Grade) au sein de nos portefeuilles fait partie des actes de gestion flexible que nous impose ce contexte de marchés.

Geoffroy Lenoir : Cette année, nous avons également augmenté notre exposition à la dette émergente corporate, moins volatile que la dette souveraine émergente. Le gisement est relativement profond et liquide et la classe d’actifs offre un rendement moyen de l’ordre de 4 à 5 %. Certains risques existent mais nous avons vu, par le passé, qu’elle se comporte assez bien dans des marchés baissiers. Il faut toutefois faire attention à l’évolution du dollar et du cours du pétrole. En termes d’exposition géographique, la classe d’actif offre également une diversification sur l’Asie alors qu’il semble peu probable que la Chine laisse ralentir trop fortement sa croissance.

Yanick Loirat : Pour être confiant sur la dette émergente, il faut être confiant sur la croissance mondiale en 2020 et sur la politique accommodante de la Fed et sur quelques baisses de taux à venir. C’est une classe d’actifs de diversification.

Faut-il désormais avoir une gestion plus flexible de la classe d’actifs obligataire ?

Yanick Loirat : Aujourd’hui, il faut générer de la performance en gérant activement le risque de taux et en pouvant vendre les actifs que nous trouvons chers. Il faut être flexible et bien diversifié, les stratégies de portage n’étant plus suffisantes. Dans une gestion flexible, il est possible d’avoir différentes stratégies : la compression des spreads, la couverture des actifs risqués avec des actifs dits «sans risque», la diversification en regardant les corrélations entre les dettes d’Etat ou encore la sélection de titres peu appréciés comme les obligations indexées sur l’inflation. Ces dernières ont été délaissées car il n’y a pas eu d’inflation, le programme de rachats de la BCE s’est arrêté en début d’année et il y a eu beaucoup d’émissions.

Thomas Giudici : La flexibilité est le maître mot. Il faut être flexible sur la duration avec des fourchettes de sensibilité assez larges, sur les zones géographiques et sur les sous-segments obligataires. Même si le marché est cher, il y a toujours des opportunités et des points d’entrée à aller chercher. 

Quand on a une offre de fonds alternatifs assez large, quelles sont les stratégies mises en avant aujourd’hui ?

Emmanuel Terraz : Notre gamme est en effet assez large – long/short actions et crédit, risk arbitrage (arbitrage sur les opérations de fusions-acquisitions) ou encore CTA et autres gestions qui suivent les tendances sur un grand nombre d’actifs. Toutes ces stratégies ont pour ambition d’offrir une performance régulière quel que soit l’environnement de marché. C’est donc le besoin client qui influence la collecte : quelle est son appétence au risque ? Quel type de décorrélation et de gestion recherche-t-il, etc. ? Ces derniers mois, nous avons eu beaucoup de demandes pour la stratégie d’arbitrage de crédit. Nous avons également eu plus de 250 millions d’euros de collecte sur le fonds de risk arbitrage.

Carl Dunning-Gribble : Chez Syquant, notre gamme est à 100 % orientée sur les événements d’entreprise, aussi bien les fusions-acquisitions que les introductions en Bourse, les augmentations de capital, etc. Actuellement, dans le volet «equity», nous privilégions l’arbitrage sur les fusions-acquisitions et, pour d’autres stratégies event driven, nous recherchons le meilleur rendement/risque entre le sous-jacent equity et/ou crédit.

Quels sont les risques et opportunités d’une stratégie long/short actions actuellement ?

Eric Bendahan : Notre fonds Eleva Absolute Return Europe a un profil d’exposition au marché qui évolue entre - 10 et 50 %. Actuellement, nous voyons des opportunités aussi bien à l’achat qu’à la vente. Nous regardons particulièrement les sociétés familiales à l’achat, le thème de la disruption qui s’accélère dans certaines industries et offre des opportunités de «short» sur des sociétés à la traîne. Nous sommes également attentifs aux messages envoyés par le marché du crédit. Ce dernier peut, en effet, dévoiler des opportunités de «short», puisqu’il est par définition asymétrique, et refléter une détérioration du bilan avant qu’elle soit assimilée par les investisseurs en actions.

Aujourd’hui, certaines performances boursières sont très liées à celles des marchés obligataires. C’est une des principales difficultés, car cela se traduit par des multiples de valorisations élevés qui ne reflètent pas la performance opérationnelle. Nous essayons de contrebalancer cette difficulté grâce à un suivi d’indicateurs macroéconomiques qui peuvent donner des signaux d’inflexion, positifs ou négatifs, du cycle permettant d’appréhender les mouvements de rotations sectorielles.

Maxime Hayot : Pour le fonds Durandal que je gère, nous avons voulu nous appuyer sur le savoir-faire en analyse et modélisation fondamentale des entreprises de BDL Capital Management. Grâce au travail de nos douze analystes, qui ont plus de 1 500 rendez-vous avec des entreprises chaque année, l’équipe quantitative peut identifier et modéliser les caractéristiques structurelles de chaque entreprise et sélectionner les caractéristiques qui en font un bon investissement : les niveaux de valorisation, les parts de marché, les marges, mais aussi des caractéristiques très techniques telles que l’impact du flux de la gestion passive. Nous avons beaucoup parlé de l’impact des banques centrales avec des taux bas, mais il y a aussi un impact sur les flux générés par les ETF thématiques qui peuvent entraîner des divergences importantes pour certaines entreprises avec leurs fondamentaux. La gestion quantitative peut analyser cela et le réintégrer dans le système de sélection des entreprises. Nous allons également modéliser l’économie pour biaiser les différents critères de sélection et construire notre portefeuille. Au sein de chaque secteur, nous allons sélectionner des entreprises gagnantes et des entreprises perdantes, ce qui va nous protéger des aléas de marché. En revanche, nous serons exposés davantage à certains phénomènes de marché qui réduisent la dispersion des entreprises au sein d’un même secteur. Le fonds est investi de façon équilibrée en long et short dans plusieurs secteurs afin de diversifier les risques.

Comment convaincre les investisseurs de s’intéresser davantage aux stratégies alternatives ?

Carl Dunning-Gribble : Il faut écouter et bien comprendre la problématique du client que l’on a en face de nous. Au-delà du rêve, désormais inaccessible, de présenter la performance absolue et chacune des stratégies avec une espérance de performance «réaliste», il faut ensuite bien appréhender son appétit au risque et lui présenter des fonds en adéquation. Puis indiquer le rendement auquel il peut prétendre en fonction de son profil de risque et voir dans quelle mesure ce profil de risque est en adéquation avec le profil de risque recherché.

Maxime Hayot : Il y a encore un travail important d’éducation à faire, et pas uniquement sur la gestion alternative. Il faut expliquer aux clients que leur espérance de rendement sur les classes d’actifs traditionnelles est plus faible que ce qu’ils ont connu. C’est le reflet d’une réalité économique, d’une croissance plus faible qui se traduit par de moins bonnes performances boursières des entreprises. Si nous parvenons à les convaincre que l’espérance de rendement sur les classes d’actifs traditionnelles est plus basse, avec un niveau de risque équivalent à ce qu’ils ont connu historiquement, alors la classe d’actifs alternative, qui va réduire ce risque, deviendra attractive.

Emmanuel Terraz : Pour moi, il est essentiel d’avoir un discours cohérent avec les ambitions de votre gestion et ensuite de le mettre en pratique. Délivrer un rendement de 2 à 3 % au-dessus du taux sans risque avec une volatilité de 1 % est déjà une façon de convaincre les investisseurs, car ils sont peu nombreux à être capables d’y parvenir aujourd’hui. Après, il est important aussi d’avoir une vision à long terme de son investissement, au même titre que pour des fonds traditionnels. Nous essayons d’accompagner les clients et de leur apporter de la valeur dans la durée.

Eric Bendahan : Nous avons constaté un certain engouement pour notre stratégie long/short. La demande est là. En matière de distribution, il nous paraît important que les clients mettent en face du risque pris une espérance de rendement adéquate. La régulation nous a finalement presque aidés à aller dans ce sens-là. Dans une gestion alternative, il existe des profils de risque très différents, ce qui demande plus d’explications.

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