Table ronde

Où investir en 2019 ?

Publié le 4 janvier 2019 à 15h03    Mis à jour le 4 janvier 2019 à 17h52

Propos recueillis par Catherine Rekik

2018 a été une année compliquée pour les gérants d’actifs et les investisseurs. Alors que toutes les planètes semblaient alignées, l’année a été marquée par une succession de crises et le retour de la volatilité. Après avoir dressé un bilan de cette année et des conséquences sur les marchés financiers, Funds s’interroge sur la façon d’aborder 2019. • Que faut-il attendre en matière de perspectives macroéconomiques ? • Comment vont évoluer les politiques monétaires ? • Quels seront les principaux risques à surveiller en 2019 ?Par ailleurs, Funds fait un tour d’horizon des différents thèmes d’investissement. • Dans quelles classes d’actifs investir ? • Comment s’exposer aux actifs risqués ? • Faut-il revenir sur les marchés émergents ? • Comment diversifier les risques en portefeuilles (matières premières, stratégies alternatives, etc.) ?

Quel bilan faites-vous de cette année 2018 qui avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices, avec peut-être un peu trop d’optimisme sur les marchés ?

Quels sont les éléments qui vous ont le plus marqués et/ou qui ont eu le plus d’impact sur vos gestions ?

Benjamin Melman : Dès le début d’année, dans nos perspectives pour 2018, nous nous attendions à une rupture en matière de volatilité. Nous étions loin cependant d’imaginer de telles performances sur l’année pour l’ensemble des classes d’actifs : elles sont toutes dans le rouge à part le cash américain et le Bund allemand, qui n’était pas l’actif de prédilection des investisseurs en début d’année. Il faut revenir en 1994 pour voir autant de performances négatives au sein de toutes les classes d’actifs. Il n’y avait aucun refuge, ni du côté obligataire ni du côté des actions. Acheter de l’or en début d’année revenait à perdre de l’argent, et le pari sur le Bitcoin s’est avéré très risqué, puisqu’il a perdu 60 %.

En 1994, il y a eu un grand resserrement monétaire aux Etats-Unis, ce qui n’a pas été le cas en 2018, mais, cette année, nous avons eu la conjonction de la contraction du bilan de la Fed et du ralentissement des bilans de la BCE et de la Banque du Japon. Les banques centrales ont été très généreuses en inondant les marchés de liquidités au risque de provoquer certaines bulles mais, aujourd’hui, la vague se retourne.

Ce retrait de la liquidité, dont il était difficile de mesurer l’impact, a sans doute été l’un des éléments les plus perturbateurs de l’année et explique pourquoi toutes les classes d’actifs enregistrent des performances négatives.

Armel Coville : En ce qui concerne l’Europe, et plus particulièrement les actions, 2018 s’est révélée décevante en matière de résultats. Ceux réalisés durant l’année écoulée et ceux attendus pour 2019 sont plus faibles que ceux qui avaient été anticipés il y a un an, alors que la croissance économique est restée globalement satisfaisante. Nous n’avions pas anticipé cette déception sur l’évolution des bénéfices des sociétés européennes. Au troisième trimestre, les sociétés qui ont déçu, soit en matière de publication, soit en matière de perspectives, ont été particulièrement sanctionnées, avec des baisses allant jusqu’à - 20 %. Ce qui témoigne d’une certaine nervosité des investisseurs quant à la suite des événements.

Christophe Besson : Nous étions, en effet, optimistes en début d’année : les taux étaient bas et il y avait de la croissance économique un peu partout… Nous aurions pu nous interroger sur la façon d’améliorer un climat aussi bon. Dans les faits, nous n’avons pas eu les bonnes surprises attendues. Par ailleurs, cette année 2018 a été marquée par le centrisme des Etats-Unis, qui sont au cœur de tout. La politique de M. Trump nous a fait passer du multilatéralisme à des relations bilatérales avec ses différents partenaires. En Europe, nous assistons à la montée des nationalismes, comme nous l’avons vu en Italie. Cela conduit à une situation paradoxale : un risque global lié à un changement d’époque, mais avec des potentiels spécifiques. En parallèle, le désengagement des banques centrales, annoncé dix-huit mois auparavant, s’est concrétisé. Aux Etats-Unis, il y a eu de vraies hausses de taux mais, dans la zone euro, nous vivons comme si les taux avaient monté alors que nous n’avons pas eu cet avantage. Les grands investisseurs américains peuvent faire des arbitrages, puisque vendre des actions pour investir dans les taux deux ans confère un rendement réel net. Ils peuvent arbitrer d’autres actifs également, comme ceux de la zone euro. Alors que, en zone euro, si les investisseurs vendent les gains réalisés ces dernières années et les placent sur les taux à deux ans, ils ne sont pas rémunérés. 2018 a été une année durant laquelle nous avons subi les Etats-Unis dans nos allocations !

Nuno Teixeira : La croissance économique n’était pas vraiment là où on l’attendait en 2018. On anticipait des Etats-Unis en fin de cycle, après neuf années sans récession, et ils vont finir l’année proches des 3 %, avec des conditions financières finalement peu dégradées et des résultats d’entreprises dopés par les baisses d’impôt et les rachats d’actions. Du côté de l’Europe, la déception est claire, liée à la fois à des facteurs internes (Brexit, Italie) et externes (guerre commerciale, pétrole, etc.), ce qui laisse une année en dessous de 2 % pour la zone euro et des indicateurs avancés qui ne cessent de se dégrader depuis janvier. Quant aux pays émergents, ils ont été handicapés par le ralentissement du commerce mondial et les attaques protectionnistes de l’administration Trump.

La hiérarchie attendue a donc été inversée, et la vigueur de l’économie américaine a contraint la Fed à durcir son discours pour éviter les tensions inflationnistes. C’est le resserrement de la liquidité en dollars qui s’est ensuivi et l’appréciation du billet vert qui ont particulièrement pesé sur les marchés émergents. Les seules véritables protections consistaient à avoir des dollars ou du Bund à trente ans, donc des actifs qu’on joue plutôt à l’approche d’une récession… sans récession en vue.

Guillaume Lasserre : Certes, il y avait beaucoup d’optimisme début 2018 mais, sur la dynamique macroéconomique, il n’y a pas eu de déception ! Ce qui est troublant, c’est que, même si nous avons eu raison sur ces perspectives et si les banques centrales ont agi comme elles l’avaient promis, nous avons tous souffert. Beaucoup d’événements peuvent s’analyser a posteriori par des risques idiosyncratiques de type «tweet», mais nous n’avons pas l’habitude de gérer dans ce type d’environnement. Tout le monde avait un scénario d’une part sur les Etats-Unis, où les actifs étaient chers mais avec une bonne visibilité sur la croissance, et d’autre part sur l’Europe, de façon à pouvoir gérer ces deux grandes zones. Rationaliser a posteriori ce qui s’est passé sur les marchés est quasiment impossible. Certes, les résultats des entreprises européennes ont été décevants, mais cela ne justifie pas une correction de 10 % sur les marchés actions. En février, le choc peut s’expliquer par l’euphorie qui régnait et par la cherté des actifs, mais ce n’est plus le cas.

Février marque le retour de la volatilité sur les marchés…

Guillaume Lasserre : Il y a eu de gros flux sur les actifs de volatilité qui ont pesé sur les marchés, mais les prix des actifs étaient trop élevés.

Benjamin Melman : Début 2018, il y a eu un record de positions vendeuses sur l’indice VIX. Cela ressemblait plus à une correction technique.

Nuno Teixeira : La volatilité moyenne du VIX était de 11 % en 2017, un niveau anormalement faible, et on pouvait aisément tabler sur un retour à des niveaux de volatilité plus proches des niveaux habituels, autour de 16 %. C’est exactement le niveau moyen qu’on a connu sur 2018, mais avec des poussées extrêmement violentes. Le niveau de volatilité est très proche en zone euro (V2X), en dépit des facteurs de stress spécifiques à l’Europe et de la volatilité des spreads de certaines dettes (italienne, notamment). Les marchés d’actions n’auront donc pas été victimes d’un niveau de volatilité globalement anormal, mais la poussée de volatilité de février était très atypique et alimentée par des stratégies malsaines.

Christophe Besson : En Europe, en l’absence de rendements obligataires sur des horizons à deux ou cinq ans, il faut vendre de la volatilité pour récupérer du cash et acheter des options. La volatilité telle que nous la calculons ne reflète pas vraiment le risque tel que nous le vivons. C’est toujours surprenant lorsqu’il y a un écart entre le risque que nous connaissons et le niveau de volatilité : 24 %, ce n’est pas très élevé par rapport au choc actuel sur les marchés. Par ailleurs, aujourd’hui, la volatilité américaine est supérieure à la volatilité européenne, ce qui n’est pas habituel, historiquement. Il est cependant difficile de comparer la volatilité du S&P 500 avec celle de l’Euro Stoxx 50.

Benjamin Melman : Le marché américain est structurellement plus défensif que le marché européen. Nous avons essayé de comprendre ce qui s’était passé. Le fait que, sur le marché européen, les investisseurs américains sont peut-être des acheteurs ou vendeurs marginaux, constitue un premier élément de réponse. Aujourd’hui, peu d’investisseurs américains sont exposés aux actifs européens alors que, pour les investisseurs européens, les actions européennes sont attractives. Or, ces dernières sont moins représentées dans les portefeuilles internationaux. Dans les mouvements de doute ou de crainte, l’investisseur américain ne sera pas nécessairement vendeur car il a déjà beaucoup vendu, ce qui justifie un moindre bêta.

Armand Coville : 2018 a constitué un vrai changement par rapport à 2017, année durant laquelle nous avions constaté le retour des non-résidents après les élections françaises. Les flux avaient été positifs sur le second semestre 2017, mais les sorties ont été tout aussi rapides et importantes : 15 milliards de flux sortants sur les actions européennes à fin 2018. Tant que ces sorties ne s’interrompront pas, il sera difficile d’être positif sur la classe d’actifs à court terme.

Au-delà de la politique menée par Trump et ses conséquences, d’autres facteurs ont-ils perturbé les marchés en 2018 ?

Quid du rôle des banques centrales ?

Guillaume Lasserre : En 2018, il y a eu une nouveauté qui a eu des conséquences sur les perceptions macroéconomiques : la perspective du désengagement massif des banques centrales, pour lequel nous n’avons aucune expérience dans le passé. Les marchés donnent désormais l’impression d’être plus sensibles à des éléments exogènes. Nous apprenons à vivre dans un nouveau paradigme. Le pari qui consistait à dire que, si l’économie se portait bien, les marchés se porteraient bien aussi n’est plus valable. L’enjeu est plus de savoir ce que vont faire les banques centrales que de déterminer quelles seront les conséquences d’un vote du parlement.

Christophe Besson : La sortie du quantitative easing, quelle que soit la manière dont elle est gérée selon les pays, crée un grand trouble pour les gérants, notamment sur l’appréhension des courbes de taux. Si on regarde les historiques, une inversion de la courbe annonce une récession. Cela fonctionne statistiquement mais, là, nous sommes confrontés à un événement particulier.

Guillaume Lasserre : En effet, cela s’est vérifié au moins trois fois ces quinze dernières années ; mais peut-on pour autant tenir pour acquis qu’une inversion de la courbe des taux annonce nécessairement une récession grâce à un nombre aussi limité d’observations ?

Benjamin Melman : On parle d’inversion de la courbe aux Etats-Unis, mais ce n’est pas le cas si l’on considère les taux à deux et dix ans. Plutôt que de parler de «récession», nous devrions évoquer un «cycle très avancé».

Guillaume Lasserre : Nous ne constatons pas dans les indicateurs avancés l’arrivée prochaine d’une récession.

Benjamin Melman : Il n’y a pas de mécanique de récession aux Etats-Unis. Nous ne voyons ni la dégradation des marges ni les banques durcir les conditions de crédit. L’inflation reste également contenue.

Christophe Besson : Il existe un deuxième phénomène lié à la courbe des taux : quand les taux longs montent, traditionnellement, les investisseurs vont privilégier un style value, car c’est annonciateur d’une économie qui va mieux. En réalité, cette hausse des taux est la conséquence de l’arrêt du maintien de taux très bas. Les recettes habituelles ne sont pas adaptées, et cela perturbe les réflexes classiques.

Guillaume Lasserre : C’est en effet perturbant, et cela pose problème pour se positionner pour 2019. L’expérience est importante et rassurante. En Europe, on regarde ce qui s’est passé aux Etats-Unis à la fin du QE et l’impact que cela a eu sur les marchés. Mais, en Europe, la fin du QE équivaut à la fin des rachats sur une dizaine d’émetteurs différents. Arrêter d’acheter des obligations allemandes et italiennes n’a rien à voir avec l’arrêt des achats de bons du Trésor américains. Le resserrement monétaire n’aura pas le même effet dans chacun des pays de la zone euro.

Par ailleurs, il y a eu une mesure complémentaire en Europe, le TLTRO, qui est clairement destiné aux banques. Aux Etats-Unis, c’est bien plus simple : un seul émetteur dont on arrête d’acheter les titres et une diffusion au taux interbancaire américain avec quelques grands acteurs bancaires. En zone euro, il y a le QE, le LTRO et des situations très contrastées par pays. La visibilité sur ce qui va se passer en Europe n’est pas claire et rend compliqué un positionnement sur la courbe des taux.

Nuno Teixeira : Chaque fois, le principal déclencheur des poussées de volatilité a été la crainte de rapides hausses des taux longs, notamment aux Etats-Unis. On en revient au resserrement de la liquidité par les banques centrales : même quand il est graduel, il peut provoquer des réactions épidermiques ! Après, il ne faut pas s’inquiéter à outrance d’une éventuelle inversion de la courbe des taux américaine : son pouvoir prédictif d’une future récession a progressivement baissé depuis le début des années 1980. D’autres indicateurs, comme le pic des taux de marge et l’écartement des spreads high yield, nous semblent plus pertinents. A noter que, au cours des cinquante dernières années, les Etats-Unis ne sont entrés en récession qu’à partir du moment où le cycle du crédit a connu un véritable arrêt, ce qui ne se produit que dans des situations où la Fed relève ses taux directeurs de 2 % par an, à comparer à un rythme de relèvement de 1 % par an, rythme qui devrait encore ralentir l’an prochain.

Les marchés émergents ont beaucoup souffert en 2018 alors que les investisseurs étaient revenus de façon importante sur les actions et la dette émergentes. Que peut-on attendre de ces marchés ?

Christophe Besson : Quand le dollar est fort et que les taux américains montent, les investisseurs n’ont pas tendance à privilégier les marchés émergents. De plus, pendant douze à dix-huit mois, les pays développés ont tiré la croissance mondiale, ce qui a pénalisé les pays émergents, qui ont subi des corrections à la fois sur les devises, les actions et la dette libellée en devises extérieures. Mais nous assistons à un basculement. En 2019, la croissance des pays émergents devrait être supérieure à celle des pays développés. Elle est attendue à 6 % en Chine malgré un ralentissement et à 8 % en Inde, par exemple. La contribution de l’Inde à la croissance mondiale en 2019 sera supérieure à celle de l’Union européenne.

En 2018, nous avions plutôt réduit notre exposition aux marchés émergents, sur lesquels se concentraient beaucoup de risques. Mais, sur la fin de l’année, nous avons commencé à reconsidérer petit à petit nos positions. Il y a beaucoup de disparité dans les pays émergents, mais aussi du potentiel et des valorisations qui ont beaucoup baissé. Dans le contexte actuel, il faut être diversifié, et les marchés émergents sont au cœur de cette diversification.

Armel Coville : Les marchés actions émergents ont été la zone la plus performante en dollar sur le mois de novembre. Nous sommes repassés neutres sur les actions et la dette émergentes durant ce mois. Nous estimons que ces classes d’actifs méritent une attention accrue, tout en surveillant l’évolution du dollar et en étant attentifs aux tweets de M. Trump ! Il est difficile de savoir comment vont réellement évoluer les relations avec la Chine.

Guillaume Lasserre : Nous étions sortis des marchés émergents, poussés par le renforcement du dollar. Quand on regarde le spectre des possibles en matière d’investissement, les marchés émergents sont une des zones les plus intéressantes. Nous sommes revenus à des positions sous-pondérées. Il est difficile d’être plus offensif sur ces marchés, car les risques à court terme dépendent d’éléments que nous ne maîtrisons pas. Cependant, ne pas être investi dans ces marchés revient à se couper de la possibilité d’un rebond de leur part compte tenu des bons fondamentaux.

Benjamin Melman : Je partage les analyses qui viennent d’être faites, car nous avons suivi le même raisonnement. Il y a beaucoup de risques à la baisse sur tous les marchés, mais il existe de plus en plus de scénarios ouvrant la possibilité aux actions émergentes de rebondir sensiblement. Le retour de balancier peut être extraordinaire, surtout sur les actions émergentes. Beaucoup d’éléments laissent entrevoir une accalmie dans la politique menée par Trump, qui ne verra pas d’un bon œil un risque de récession se profiler au fur et à mesure qu’il se rapprochera des élections présidentielles. L’inverse peut être vrai aussi, mais si cela se calme et que la Fed décide également de marquer une pause dans le relèvement des taux – ce qui n’est pas notre scénario –, le rebond des actions émergentes pourrait être spectaculaire. Or, elles sont très sous-pondérées dans les portefeuilles, ce qui nous a conduits à relever récemment notre exposition à cette classe d’actifs.

Nuno Teixeira : Nous avons aussi repris des positions récemment, notamment sur l’Asie émergente et la Chine, dont le marché des actions a subi une très forte purge (plus de 20 % de baisse). Cela tient à notre vision beaucoup moins haussière sur le dollar en 2019, liée à l’inflexion plus accommodante de la politique monétaire américaine que nous attendons. Nous ne pensons pas que les conditions soient réunies pour afficher une position nettement surpondérée, mais surveillons certaines devises émergentes (comme le rouble, par exemple), dont certaines figurent parmi les plus décotées au monde.

Ce changement de perception des marchés émergents a été très rapide…

Guillaume Lasserre : La diversification est un vrai sujet, et la réalité est qu’il n’y a pas beaucoup d’opportunités sur les marchés. Il faut bien aller chercher le risque à la hausse, et ce n’est pas aux Etats-Unis ou en Europe que nous allons le trouver. Détenir une position sur les Etats-Unis, où il existe un risque de récession à horizon 2020, peut s’avérer dangereux. Mais, dans le cas des marchés émergents, il y a à la fois de la décote et des bons fondamentaux, et une potentielle surprise à la hausse.

Armel Coville : En 2016, lors de l’élection de Trump, les marchés émergents ont été le principal sujet d’inquiétude. Or, en 2017, il fallait être investi dans ces marchés. Les variations sont assez spectaculaires. S’y intéresser aujourd’hui, après la contre-performance de 2018, a donc du sens. Le consensus se construit petit à petit sur un retournement de la vision sur les pays émergents.

Nuno Teixeira : Les marchés émergents figurent régulièrement en tête ou en queue du palmarès des classes d’actifs d’une année sur l’autre. Les facteurs positifs devraient progressivement se conjuguer pour faire de 2019 un bon cru pour les marchés émergents, à condition de faire preuve de sélectivité.

Il faudra aussi être attentif aux obligations chinoises, qui sont désormais plus accessibles aux investisseurs étrangers et vont faire leur grande entrée dans les indices globaux, de type Bloomberg Barclays Global Aggregate.

Quelles sont vos perspectives pour 2019 ? Que doit-on attendre de la macroéconomie ? Quels sont les risques à surveiller ?

Guillaume Lasserre : Nous ne croyons pas à un scénario de récession aux Etats-Unis en 2019. Certains indicateurs évoquent des scénarios passés, mais ont-ils désormais une réelle capacité prédictive ? De plus, il s’écoule plus d’un an entre l’inversion de la courbe des taux et le début de la récession effective. Quant à l’inversion de la courbe des taux, elle s’explique plus par l’incitation à détenir du court terme que du long terme que par un risque global de financement de l’économie. Nous anticipons donc une croissance positive avec un léger ralentissement et une inflation plus basse que celle observée. La situation devrait être à peu près similaire en Europe sur le plan économique, en faisant abstraction de tout l’aspect politique. Notre scénario est donc raisonnablement optimiste sur les trois grandes zones développées, avec des niveaux de croissance que nous attendons légèrement inférieurs à ceux du consensus.

Les banques centrales font preuve de réactivité face aux potentiels changements sur les actifs financiers. Jerome Powell a rappelé très rapidement la capacité d’adaptation de la Fed, et Mario Draghi suit également de près ces sujets. Il ne devrait pas y avoir de changement d’orientation des politiques monétaires, mais des ajustements si nécessaire. Comme nous sommes sur une hypothèse de croissance plus basse aux Etats-Unis, nous pensons qu’il y aura seulement deux hausses de taux en 2019.

Armel Coville : Les Etats-Unis sont dans un cycle économique très long. Notre hypothèse de croissance pour 2019 est autour de 2,5 %, certes en ralentissement par rapport à 2018 mais tout de même une année de croissance supplémentaire. Nous n’imaginons pas non plus de risque de récession en Europe.

Nuno Teixeira : Les reculs subis ces dernières semaines sur les actions ne sont pas sans rappeler l’épisode d’août 2015 à février 2016. A l’époque, les investisseurs craignaient que les Etats-Unis n’entrent en récession et que la Chine ne dévalue massivement le yuan. Toutefois, en dépit de nombreux signaux négatifs, l’économie américaine n’avait pas fini en récession, la Chine s’était stabilisée et, en 2016 et 2017, les marchés retrouvaient des plus hauts.

Le parallèle avec aujourd’hui est frappant : comme à l’époque, la Fed a fini par modérer son discours, les devises émergentes reprennent du terrain, et la relance chinoise devrait produire des effets positifs. Nous nous attendons à une stabilisation du PMI manufacturier mondial – peut-être avec l’aide d’un accord commercial sino-americain – qui mettrait fin à près d’un an de détérioration.

Il reste que la récession américaine devrait intervenir en 2020 ou 2021, ce qui laisse une marge de manœuvre étroite pour les actifs risqués.

Nous préférons les actions au crédit. En Europe, la prime de risque est de l’ordre de 20 % : elle ne pourra se résorber entièrement, avant que les situations britannique et italienne ne semblent proches d’une forme de résolution, mais le potentiel de rebond est sans doute de 10 % sur les niveaux actuels, tout en sachant que la croissance des résultats devrait être médiocre l’an prochain.

Nous sommes plus confiants sur le potentiel de la zone Pacifique, qui devrait profiter d’une accalmie des tensions commerciales. Quant aux Etats-Unis, le pic des marges est attendu vers le deuxième trimestre, mais les chiffres d’affaires progresseront encore, si la croissance du PIB est toujours au-dessus de son potentiel. De quoi maintenir une croissance des résultats proche de 8 à 10 %.

Christophe Besson : La croissance économique globale devrait rester sur le même rythme, avec peut-être une dynamique un peu meilleure dans les pays émergents. Le Japon, pénalisé par des catastrophes naturelles ayant ralenti l’activité, peut être une bonne surprise en 2019. Aux Etats-Unis, nous ne voyons pas de récession mais un ralentissement du rythme et un moindre impact des mesures fiscales. Les conditions de refinancement sont plutôt bonnes.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur le pétrole, qui a été un élément perturbateur de 2018. La manipulation sur les marchés pétroliers paraît très claire. L’évolution des prix du baril a longtemps été le fait de l’Arabie saoudite et de la Russie. Là encore, M. Trump s’est invité dans le jeu, et les effets sont difficilement mesurables. C’est peut-être un facteur de trouble pour 2019.

Benjamin Melman : Nous sommes à la croisée des chemins. Nous anticipons une légère accélération de la croissance dans les pays émergents et une légère décélération dans les pays développés. Cet écart de croissance joue un rôle intéressant dans l’évolution des actifs. Nous avons une prévision de ralentissement sur l’eurozone, qui nous semble la plus fragile. Les enquêtes montrent que les carnets de commandes sont pleins, mais les anticipations sont particulièrement déprimées. Ce n’est pas bon signe. De plus, certains pays comme l’Italie se trouvent dans des situations compliquées. De nombreuses banques centrales nationales se montrent également inquiètes concernant les prix de l’immobilier. Des mesures pourraient être prises pour refroidir le marché de l’immobilier, ce qui est sain pour le long terme mais, à court terme, les effets sont plutôt négatifs.

Quelles classes d’actifs faut-il privilégier en 2019 ? Comment diversifier les portefeuilles?

Benjamin Melman : Envisager 2019 de façon statique me semble compliqué. Nous commençons l’année de façon un peu contrariante, en remettant du risque dans les portefeuilles. Le raisonnement actuel serait plutôt «les marchés baissent, la récession arrive, donc il faut vendre». Or, il y a une rupture dans le comportement du marché qui n’est pas liée à un risque de récession élevé mais à une montée des incertitudes et au durcissement des conditions financières. La croissance devrait rester robuste, et nous misons sur un rebond des marchés grâce à deux éléments : la Fed devrait donner plus d’optionalité dans son comportement, et le risque d’une nouvelle dégradation des relations sino-américaines nous semble surestimé. Nous estimons que la Chine devrait tout faire pour renverser la situation et revenir dans le jeu après avoir beaucoup souffert en 2018.

Nous commençons donc l’année avec une légère surpondération sur les actions, avec une préférence pour les actions émergentes tout en étant aussi exposés aux Etats-Unis et à l’Europe. Nous sous-pondérons les obligations. Ce qui se passe sur le marché du crédit américain est inquiétant. Cependant, alors que les marchés obligataires étaient très chers début 2018, ils offrent désormais du rendement. Du côté du high yield européen, on retrouve une rémunération pour un risque intrinsèque. La question du retour sur l’obligataire se posera un peu plus tard dans le courant de l’année.

A un moment donné, il faudra bien se préparer à une récession, mais c’est encore trop tôt. Il ne faut pas oublier que c’est dans les fins de cycle que les performances sont les plus fortes, même si nous ne le vérifions pas vraiment en ce moment.

Christophe Besson : Nous n’aimons pas les obligations aujourd’hui, mais elles nous manquent ! Elles nous permettraient d’abaisser le risque global dans nos allocations. Or, nous n’avons pas le portage sans risque. De ce fait, mécaniquement, nous devons aller vers plus de diversification avec des expositions sur les actions au Japon ou les marchés émergents. Dans nos fonds à coussin, nous avons toujours une exposition de 20 % aux actions, ce qui signifie que nous avons encore la possibilité de nous projeter sur cette classe d’actifs, même si le risque global est élevé. Si les obligations jouaient leur rôle de parachute, nous pourrions avoir une plus forte exposition aux actions.

Armand Coville : Dans nos portefeuilles diversifiés, nous avons aujourd’hui des actions américaines, européennes, et nous commençons à remettre des actions émergentes. Aux Etats-Unis, la visibilité reste correcte en 2019. Les retours sur capitaux engagés y sont supérieurs, ce qui justifie une prime par rapport à ce que nous voyons sur le marché européen. En Europe, le high yield offre aujourd’hui une rémunération intéressante, puisqu’il est possible de construire des portefeuilles bien diversifiés offrant des rendements bruts de 5 à 6 %. En ce qui concerne les actions européennes, les primes de risque sont autour de 8 %, ce qui nous semble correctement rémunérer le risque, notamment sur la partie cyclique du marché comme le secteur automobile. Il devrait y avoir plus d’opportunités pour les stock pickers.

Guillaume Lasserre : Nous avons choisi d’avoir moins de directionnalité et donc concrètement de baisser le risque global des portefeuilles. Nous allons réduire notre exposition aux actions américaines, qui avaient eu notre préférence ces dernières années, et nous exposer de nouveau aux actions émergentes. Par ailleurs, les taux ne jouent plus un rôle d’assurance de portefeuilles. C’est un phénomène assez récent, qui n’est pas lié à des changements de corrélation. La corrélation actions/obligations est toujours négative, mais c’est la capacité d’absorption d’un choc par un portefeuille obligataire qui a changé. Déployer du risque sur les actions alors qu’il n’y a pas de protection pose problème. En revanche, pour se protéger, les stratégies optionnelles n’ont pas un coût élevé relativement à la nervosité observée des marchés. Introduire ce degré de protection supplémentaire permettra de continuer à investir dans les actifs risqués, tant du côté des actions que du marché du crédit. Enfin, la gestion alternative est une source intéressante de rendements décorrélés de la direction des marchés. Nous pensons que certaines stratégies hedge funds sans biais directionnel devraient bien performer en 2019, parmi lesquelles les stratégies long/short crédit, les «merger arbitrage» ou les long/short equity avec un biais variable.

Benjamin Melman : Nous avons également fait ce constat : la diversification n’est pas possible actuellement. Il n’y a pas d’autre solution que de trouver de la convexité via les options. Nous achetons des protections que nous finançons parfois en vendant des calls de façon tactique. Nous préférons cadrer la performance que nous pouvons avoir sur les actions dans un contexte où la volatilité pourrait devenir insupportable pour le client final.

Nuno Teixeira : Le creusement du différentiel de croissance entre les Etats-Unis et le reste du monde semble désormais derrière nous : le ralentissement de la croissance américaine est, à cet égard, une bonne nouvelle à ce stade du cycle, car il limite le risque d’une crispation de la Fed sur les risques inflationnistes. Les actions semblent désormais en dessous de leur juste valeur, ayant vu leur multiple de capitalisation se réduire de 15 à 20 % (au niveau mondial, de 17 à 14 fois les résultats attendus). Le positionnement des investisseurs est également désormais très modéré.

Nous pensons aussi que les risques macroéconomiques sont désormais largement pris en compte par les marchés, offrant un potentiel de rebond d’au moins 10 % aux actions internationales. Nous maintenons une position tactiquement neutre, mais n’excluons pas un renforcement de nos positions au cours des jours à venir, si le repli des indices venait à s’intensifier. L’issue de la guerre commerciale demeure certes incertaine, mais un compromis entre les Etats-Unis et la Chine n’est pas du tout exclu. Nous privilégions à ce jour les actions asiatiques, suivies des actions américaines. L’Europe nous semble toujours en proie à une dynamique défavorable, et nous sous-pondérons encore cette zone : nous n’excluons pas, néanmoins, de repondérer nos portefeuilles en actions européennes, dès que les incertitudes telles que le Brexit trouveront une forme de résolution.

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