Stratégie

Où investir en 2020 ?

Publié le 3 janvier 2020 à 11h44

Propos recueillis par Catherine Rekik

Après le changement de cap des banques centrales et des politiques monétaires redevenues accommodantes, l’année 2019 s’achève cette fois-ci avec des performances à deux chiffres pour la plupart des classes d’actifs. Les investisseurs ont même retrouvé, en fin d’année, un peu d’appétit pour le risque, notamment pour les actions qui, malgré la hausse des indices, n’avaient pas déclenché de flux acheteurs jusqu’à la fin de l’automne.

Quel bilan peut-on faire de l’année 2019 ? Quels sont les éléments macroéconomiques ou politiques qui ont influencé les gestions ?

Michaël Nizard

Le changement de cap des banques centrales a été l’un des événements les plus marquants de 2019, avec la persistance du risque politique et géopolitique liée aux tensions commerciales. Ce sont les deux points majeurs, qui ont à la fois engendré les performances spectaculaires que nous avons connues et les épisodes de regain de volatilité sur l’année. 

En ce qui concerne les banques centrales, la volte-face a été importante dès le début de l’année, puisque la Réserve fédérale a envoyé des messages plus accommodants après avoir commis l’erreur, selon nous, de remonter les taux d’intérêt une dernière fois fin 2018. Une première phase d’assouplissement monétaire a été engagée assez tôt en 2019. Elle a permis d’éviter un ralentissement plus marqué de la croissance dans les pays développés, de soutenir les conditions financières et, par ricochet, les grandes classes d’actifs risquées que sont les actions et le marché du crédit. La Banque centrale européenne a, quant à elle, poursuivi sa politique monétaire accommodante avec un programme d’achats d’actifs et, dans la deuxième partie de l’année, un ensemble de mesures complémentaires. Ce qui a contribué au soutien des marchés européens. Quant au risque politique, il a été assez intense et a causé des dégâts importants sur l’économie que l’activisme des banques centrales a pu partiellement compenser. L’assouplissement des conditions financières a engendré des performances à deux chiffres sur les marchés actions et les marchés de taux, à commencer par la dette souveraine puis le crédit, alors que les fondamentaux se sont détériorés. Nous avons finalement assisté à une déconnexion de plus en plus importante entre les fondamentaux et la performance des grandes classes d’actifs. 

Hubert Lemoine

Nous avons vécu une année en deux temps. Elle a commencé sur une erreur de politique monétaire de la Fed fin 2018, avec un resserrement monétaire trop important et des taux réels qui ont dépassé 1 % : le taux dix ans américain a atteint 3,25 %, avec une inflation entre 2 et 2,5 %. Les conséquences sur les conditions financières ont été immédiates, ainsi que sur la macroéconomie. Il y a eu un cercle vicieux entre le sentiment de richesse des consommateurs américains plus faible et les conséquences sur l’économie réelle, obligeant la Fed à être plus accommodante dans le discours et, progressivement, dans les faits. A partir de l’été, elle a en effet baissé trois fois les taux. Environ 400 milliards de dollars de liquidités ont été réinjectés. En septembre, la BCE est devenue à son tour plus accommodante, avec une reprise du quantitative easing et des achats d’actifs de l’ordre de 20 milliards par mois et une baisse de 10 cents de la rémunération des dépôts. 

Fin 2018, les acteurs de marchés ont valorisé le pire, c’est-à-dire une récession. Cette crainte nous a occupés les huit premiers mois de l’année, mais l’accommodation très forte des banquiers centraux a permis une revalorisation des actifs. La stabilisation de la macroéconomie n’est intervenue qu’en fin d’année, avec des indicateurs avancés stables, voire en légère hausse. Le rebond économique suit une courbe en L plutôt qu’une courbe en V, avec le sentiment d’avoir touché le fond. Les perspectives paraissent plus favorables pour 2020. 

David Taïeb

Sur le plan boursier, l’année a été remarquable, ainsi que sur l’ensemble des classes d’actifs risquées. Cette performance est à mettre au crédit des banques centrales, dans la mesure où elles ont pu anticiper un peu le ralentissement potentiel de l’économie. L’année 2019 s’annonçait très difficile, avec trois événements majeurs sur les premiers mois : l’arrêt du quantitative easing de la BCE, le vote sur le Brexit et la probabilité d’une sortie sans accord, puis les élections européennes sur fond de montée des populismes. Or, 2019 est une excellente année en termes de performance après un effondrement des places boursières en 2018. Sur deux ans, en cumulé, les marchés actions ont progressé de 15 % environ : en rythme annuel, cela correspond à une performance de long terme. 

Il faut toutefois retenir que ces belles performances révèlent des disparités sectorielles importantes, entre les sociétés manufacturières comme l’automobile ou les valeurs du luxe, par exemple. Les indices ont donc bien progressé, mais avec des dislocations entre les valeurs de croissance et les secteurs value. On peut donc se demander si cet écart de valorisation peut perdurer en 2020 ou si les marchés vont continuer à s’apprécier sans une partie de la cote. 

Le spectre d’une récession mondiale est-il derrière nous ? Une fin de cycle aux Etats-Unis est-elle plus probable en 2020 ou bien inenvisageable alors que Trump joue sa réélection ?

Hubert Lemoine

C’est l’une des grandes interrogations pour 2020 ! Depuis septembre, quelques indicateurs avancés indiquent un rebond du cycle. Nous le constatons avec les PMI chinois de novembre, par exemple, et un impact potentiel sur les marchés émergents mais aussi sur l’Europe, et l’Allemagne en particulier, dont l’économie est dépendante de ses exportations. L’impact sera peut-être moins évident sur les Etats-Unis, dont l’économie a moins ralenti que dans le reste du monde depuis début 2018. Aux Etats-Unis, les valorisations sont plus tendues qu’en Europe et limitent donc l’impact d’un rebond de l’économie mondiale, a contrario du reste du monde. Ce qui implique, en matière d’allocation d’actifs, des arbitrages en faveur de secteurs plus cycliques et sous-valorisés. 

En effet, les valorisations des valeurs défensives ou dites de croissance sont excessives. Elles ont accompagné la baisse continue des taux, incroyablement bas. La continuation de l’amélioration du cycle devrait permettre d’alimenter cette rotation sectorielle. Il y aura peut-être un dégonflement, ordonné je l’espère, de la bulle obligataire. 

La Chine pourrait donc être à nouveau un catalyseur de l’économie mondiale…

Hubert Lemoine

C’est difficile de l’envisager ainsi. Le rebond chinois, s’il a lieu, sera très contrôlé et beaucoup moins important que ce que nous avons connu en 2009. Par ailleurs, les négociations commerciales entre la Chine et les Etats-Unis pourraient aboutir à un accord a minima. Le sentiment d’une brouille entre les deux pays devrait perdurer. Il y aura probablement une relance en Chine, qui ne sera pas forcément monétaire en raison de la bulle d’endettement. Le rebond ne sera pas aussi fort qu’il y a dix ans. L’accélération du cycle économique mondial viendra peut-être de Chine, mais pas seulement… En Europe, cela viendra d’une amélioration de la consommation interne et de plans de relance fiscaux, notamment des pays vertueux comme l’Allemagne. 

David Taïeb

Il nous semble que l’environnement est porteur pour 2020, en tout cas pour le premier semestre. Les Etats-Unis et l’Europe continuent de créer de l’emploi, la consommation des ménages reste solide, les ventes au détail sont faibles mais ne se dégradent pas. Du côté manufacturier, les indices PMI semblent se stabiliser, voire s’améliorer. Si on ajoute à cet environnement macroéconomique des politiques monétaires accommodantes et un environnement de taux attractifs pour les entreprises, les ménages et les Etats, les perspectives sont plutôt positives. Du côté des Etats, nous pouvons imaginer que les taux bas vont favoriser des grands projets d’investissement autour de la transition écologique, par exemple. Je suis convaincu que l’écologie et le climat constituent les défis majeurs des prochaines années et requièrent des investissements colossaux.

Michaël Nizard

Pour notre part, nous ne voyons pas de risque de récession en 2020. Néanmoins, nous envisageons une poursuite du ralentissement de la croissance américaine, qui s’est amorcé au second semestre 2018 et s’est poursuivi en 2019. La croissance américaine s’est située autour de 2,3 % au cours des neuf premiers mois de l’année. Notre scénario de croissance pour 2020 est un peu plus faible que le consensus : 1,6 %, contre 1,8 %. La consommation va continuer à être un moteur de l’économie, à laquelle vont s’ajouter des dépenses publiques. Néanmoins, la contribution de la consommation à la croissance fléchit, tandis que l’investissement ne devrait pas représenter un facteur de soutien en 2020. En effet, l’investissement n’a cessé de baisser, sans doute en raison du manque de visibilité lié aux tensions commerciales. La dynamique devrait se poursuivre dans une phase d’élection présidentielle. C’est peut-être le signe que la fin de cycle se rapproche, d’autant que les marges ont commencé à se contracter dès 2018, et que la productivité stagne. D’où notre prudence sur la croissance américaine. Du côté de la Chine, nous anticipons une croissance qui devrait rester entre 6 et 6,5 %. L’économie chinoise ne devrait pas contribuer à la croissance mondiale autant que par le passé. Ce qui implique que la croissance mondiale devrait rester stable et non pas marquer une accélération. 

La zone euro a été la grande absente des allocations d’actifs, surtout au premier semestre 2019. Quels sont les éléments qui plaideraient en faveur d’un retour des investisseurs dans cette zone ?

Hubert Lemoine

Nous avons l’impression que le potentiel de la croissance américaine est plus limité. Seul un changement d’orientation budgétaire pourrait l’infléchir. Or, le déficit budgétaire est déjà important et, du côté monétaire, la Fed sort de trois baisses consécutives des taux. Ce qui explique la prudence sur l’économie américaine, d’autant que la valorisation du S&P 500 est bien plus élevée – autour de 20 fois les profits attendus pour 2020 – que celle de l’Euro Stoxx 50 – proche des 16 fois. Les marchés américains sont donc relativement chers par rapport à l’Europe. Un peu plus d’optimisme sur le cycle économique mondial et sur la perspective d’une relance intrinsèque à la zone euro devrait permettre aux actifs risqués européens de surperformer. Il est envisageable que les investisseurs internationaux se repositionnent sur l’Europe après l’avoir délaissée depuis trois ans et les atermoiements sur le Brexit. 

Michaël Nizard

Les flux ont été globalement négatifs cette année sur les actions en faveur des obligations. Dans la zone euro, après certaines échéances politiques, les flux pourraient revenir. Après les élections britanniques, il pourrait y avoir un regain d’intérêt pour le Footsie et plus largement pour les actions européennes. 

David Taïeb

Les Américains restent les principaux investisseurs. En 2019, compte tenu de la parité dollar/euro, ils n’avaient pas grand-chose à gagner en étant investis dans la zone euro. De plus, au premier semestre, cette zone a concentré de nombreux risques politiques, du Brexit à l’Italie, ce qui a amené une sous-pondération dans les allocations en faveur des Etats-Unis. 

David Taïeb

Les Américains restent les principaux investisseurs. En 2019, compte tenu de la parité dollar/euro, ils n’avaient pas grand-chose à gagner en étant investis dans la zone euro. De plus, au premier semestre, cette zone a concentré de nombreux risques politiques, du Brexit à l’Italie, ce qui a amené une sous-pondération dans les allocations en faveur des Etats-Unis. 

L’Italie n’est plus un sujet d’inquiétude ? 

David Taïeb

Il existe toujours un risque, mais les taux italiens ont suivi le mouvement de baisse des taux de la BCE, facilitant le refinancement de la dette italienne. Cependant, la croissance attendue est proche de zéro. Nous préférons rester neutres sur la dette italienne. 

Hubert Lemoine

Les taux bas jouent clairement en faveur de l’économie italienne. Il y aura une moindre dérive du ratio dettes sur PIB. Il y a un an, le coût annuel de la dette était à 3,3 %, contre 2,7 % aujourd’hui. Le déficit budgétaire deviendra rapidement moins problématique dans un univers de taux nuls. C’est ce qu’a permis la politique de Mario Draghi. 

Les performances de certaines classes d’actifs ont dépassé les 20 % en 2019. Est-ce que cela vous a surpris ? En ce qui concerne les obligations, doit-on désormais craindre l’éclatement d’une bulle ?

David Taïeb

Surpris, non, mais la principale difficulté consistait surtout à profiter de ces hausses puisque, pour l’essentiel, elles ont été faites sur moins de trois mois. Etre peu ou pas investi dans les marchés actions sur les trois premiers mois de l’année revenait à rater une grande partie de la hausse.

Hubert Lemoine

Une bulle obligataire s’est créée sur les neuf premiers mois de l’année. Il faut désormais essayer de profiter de la bascule des taux vers les actions sans prendre trop de risques. Il faut également envisager une rotation sectorielle vers des actifs décotés et cycliques. Toute la difficulté va consister à adopter ce positionnement en minimisant le risque. La prime de risque nous conforte dans l’idée qu’il faut effectuer cette bascule. Il y a encore du potentiel sur les actions européennes, comparé au marché des taux et du crédit qui reste très cher. Sur le crédit, nous préférons les stratégies de portage, donc le high yield plutôt que l’indice Crossover. 

Quelles sont les perspectives pour 2020 ? Que peut-on faire en matière d’allocation d’actifs ?

Michaël Nizard

Nous avons connu une hausse concomitante des marchés actions et taux. Cette corrélation vertueuse n’est que la conséquence de l’action des banques centrales. Toute la question est donc de savoir si, en 2020, ces dernières vont avoir autant d’influence sur la dynamique des grandes classes d’actifs. Aujourd’hui, il nous semble préférable d’être neutre sur les marchés actions, même s’il y a des primes de risque à capter. La déconnexion entre les fondamentaux économiques et les marchés actions risque de ne pas durer. Il est préférable de favoriser le portage sur les marchés obligataires en achetant de la dette émergente, qui offre des rendements encore élevés et des valorisations attractives. Sur le marché du high yield européen, il est possible de jouer la convergence entre les notations B et BB. Nous investissons également dans la dette américaine, surtout sur la partie courte et intermédiaire. Le taux deux ans redevient attractif dans un portefeuille d’allocation d’actifs. 

Sur la partie actions, nous privilégions plutôt les stratégies «income», avec une gestion tactique des expositions via des options. Il faut faire attention à la rotation sectorielle en faveur des cycliques, car nous ne sommes pas convaincus de la soutenabilité de cet arbitrage : les métaux industriels ont du mal à repartir à la hausse, et l’économie chinoise contribue moins à la croissance mondiale. 

David Taïeb

Nous tablons sur un scénario de croissance mondiale autour de 3 %. Cela devrait permettre une progression de 3 à 8 % des résultats des entreprises et contribuer ainsi à porter les marchés actions. 

Côté allocation d’actifs, nous continuons à favoriser les actions, mais avec plus de sélectivité dans les valeurs : les valeurs de croissance se paient cher – peut-être trop cher ? –, alors qu’il y a beaucoup de titres décotés, comme les banques. En matière d’obligations, la recherche de rendement va se poursuivre en 2020. Les stratégies de portage, le haut rendement et la dette émergente devraient continuer à performer. D’autres stratégies sont possibles, comme la détention d’obligations ayant une bonne notation, mais en descendant en subordination comme les subordonnées financières. Nous apprécions également la dette américaine pour son rendement et son côté valeur refuge. C’est un actif de décorrélation dans l’assemblage d’un portefeuille diversifié. Enfin, la volatilité restant basse, il existe de nombreux produits capables de protéger ponctuellement les portefeuilles, et ce à faible coût. 

Hubert Lemoine

Les anticipations de croissance des bénéfices nets par actions se situent entre 10 et 12 %, aujourd’hui. La hausse des marchés actions passera aussi par une amélioration du cycle. Par ailleurs, la prime de risque est plus importante en Europe qu’aux Etats-Unis. La réduction de la prime de risque peut s’envisager dans un contexte de stabilisation de la politique européenne et de rebond du cycle. Nous restons donc acheteurs sur les actions, mais en jouant la rotation des valeurs défensives en faveur de la value. 

C’est un peu la même idée quand on privilégie des stratégies de convergence entre les notations B et BB. Ce que nous faisons également chez Schelcher Prince Gestion, mais avec parcimonie. Le segment BB a été favorisé par la reprise du QE depuis quelques semaines. De façon générale, nous évitons les notations BBB, notamment américaines, car, en cas d’erreur d’appréciation du cycle économique, ce segment est en danger. Je suis en ligne avec l’idée de privilégier des stratégies de portage, avec un biais sur la dette émergente. 

La dette émergente fait l’unanimité, mais qu’en est-il des actions émergentes ? 

Hubert Lemoine

Les actions émergentes affichent une décote par rapport aux actions américaines et européennes. Mais la dette émergente est un premier pas plus défensif vers ces marchés émergents. Les actions émergentes pourraient, certes, profiter d’un rebond du cycle économique mondial, mais elles sont aussi très dépendantes de la croissance chinoise. 

David Taïeb

La dette émergente offre un couple rendement/risque plus attractif que les actions émergentes. 

Michaël Nizard

Nous sommes neutres sur les actions émergentes. Toute la question est de savoir comment les intégrer dans une allocation d’actifs, Chine incluse ou hors Chine. Les entreprises émergentes sont en train de restaurer leur capacité bénéficiaire, mais nous manquons de visibilité sur les tensions commerciales et sur une éventuelle nouvelle escalade. Nous préférons donc commencer par investir dans de la dette émergente, puis observer le comportement du dollar avant de nous intéresser aux actions émergentes.  

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