Table ronde

Pourquoi il faut investir dans les small et mid caps

Publié le 2 juin 2017 à 18h02    Mis à jour le 7 juin 2017 à 11h29

Propos recueillis par Catherine Rekik

Dans un contexte plus favorable aux actifs risqués et alors que la reprise économique se confirme dans la zone euro, Funds s’interroge sur l’opportunité d’investir dans les petites et moyennes valeurs. • Comment se comporte la classe d’actifs depuis le début de l’année ?• Quelles sont les perspectives de croissance ?• Les valorisations des small et mid caps sont-elles toujours attractives ? • Comment gérer la liquidité ?• Quels sont les secteurs ou les thèmes à privilégier ?

Comment les small et mid caps se comportent-elles ?

Depuis le début de l’année, les marchés financiers sont bien orientés et favorables aux actifs risqués. Dans ce contexte, comment se comportent les small et mid caps ?

Stéphanie Bobtcheff, gérante small et mid caps, La Financière de l’Echiquier : La surperformance de la classe d’actifs par rapport aux large caps est très nette. Les small et mid caps sont très domestiques, très ancrées en Europe et peu exposées aux marchés émergents. Or, le contexte macroéconomique est en amélioration constante, avec des chiffres très bien orientés qui se traduisent dans les entreprises par d’excellents résultats.

Thierry Cuypers, responsable gestion Small et Mid caps Europe, Natixis Asset Management : Au 10 mai, et depuis le début de l’année, il y avait 400 points de base d’écart entre la performance des small et mid caps et celle des grandes valeurs, aussi bien dans la zone euro qu’en Europe. La classe d’actifs se comporte donc mieux.

Jean-Pierre Mariaud, responsable de la gestion Mid & Small caps Europe, CM-CIC Asset Management : Le bon comportement de la classe d’actifs se vérifie également sur le marché français, avec une performance supérieure à l’indice CAC 40.

Eric Biassette, responsable de la gestion actions  thématiques, Generali Investments : L’environnement macroéconomique paraît aujourd’hui favorable. Le cycle économique semble se prolonger aux Etats-Unis, on ne parle plus de crise en Chine, et, en Europe, tous les indicateurs confirment une reprise. Tout cela est positif pour les valeurs moyennes qui sont, par nature, plus cycliques que les grandes valeurs. Par ailleurs, les résultats des entreprises publiés au titre du premier trimestre 2017 sont bons, voire très bons.

Jean-Pierre Mariaud : Il y a une vraie accélération pour certaines sociétés, les valeurs cotées étant souvent les plus belles de cet univers. Néanmoins, les valeurs industrielles ont eu deux jours ouvrés de plus au premier trimestre, Pâques ayant été décalé au deuxième trimestre. Certaines sociétés auront donc une activité plus faible sur cette période.

Thierry Cuypers : La surperformance des valeurs moyennes est justifiée par une plus forte croissance par rapport aux grandes valeurs. Selon Factset, la croissance des bénéfices attendus pour les douze prochains mois est de 14,88 %, contre 13,24 % pour les grandes valeurs. Le PER des small caps européennes est de 17,57 contre 15,16 pour les large caps, soit un écart de 16 % qui correspond à la moyenne historique depuis dix ans. Le différentiel de croissance des bénéfices entre les valeurs moyennes et les grandes valeurs est d’habitude plus important, mais les prévisions de profits de ces dernières ont été revues à la hausse ces dernières semaines.

Jean-Pierre Mariaud : En effet, les valeurs financières qui pèsent pour 20 % des indices des grandes capitalisations boursières ont vu leurs estimations de profits significativement révisées à la hausse. En dehors de ces dernières, le rythme de croissance est plus fort pour les valeurs moyennes.

Thierry Cuypers : Structurellement, il y a plus de croissance pour les valeurs moyennes que pour les grandes, sauf en période de récession. Or, nous sommes dans une phase d’accélération du cycle.

On trouve dans cette classe d’actifs des sociétés de tailles très différentes. Comment définissez-vous une mid cap ? Une small cap ?

Thierry Cuypers : Tout ce qui se trouve dans le MSCI Small Caps est une small cap, ce qui représente environ 1 000 titres. Le MSCI a tendance à faire grossir la valeur médiane des titres composant l’indice, car il y a peu d’introductions en Bourse. On y trouve ainsi des sociétés capitalisant entre 5 et 6 milliards d’euros. En France, la définition du CAC Mid ou du CAC Small est très différente. Dans le CAC Mid & Small, on trouve notamment des valeurs ayant une capitalisation boursière de 10 milliards d’euros.

Quelle limite vous imposez-vous alors ?

Thierry Cuypers : Lorsqu’un titre sort de l’indice MSCI Small Caps, nous le vendons.

Jean-Pierre Mariaud : Pour ma part, une société capitalisant jusqu’à 1 milliard d’euros est une small cap et, jusqu’à 6 milliards, une mid cap. La performance des marchés financiers au cours de ces dernières années a entraîné une hausse des capitaux financiers. Certaines mid caps capitalisent ainsi 7 à 8 milliards.

Thierry Cuypers : En dessous de 150 millions d’euros, ce sont des microcaps. Il s’agit d’un autre univers d’investissement, moins liquide et moins suivi par les brokers.

Stéphanie Bobtcheff : Dans nos portefeuilles, les small caps ont des capitalisations boursières comprises entre 50 millions et 1 milliard d’euros, avec une capitalisation médiane de 500 millions d’euros. Pour les mid, elles sont comprises entre 1 et 5 milliards d’euros, pour une capitalisation médiane autour de 2 milliards

Eric Biassette : Nos fonds small et mid caps privilégient généralement les valeurs moyennes offrant une liquidité satisfaisante. Ainsi, la capitalisation médiane au sein de nos portefeuilles est de l’ordre de 4 milliards d’euros, et nous détenons peu de titres ayant une capitalisation inférieure à 1 milliard d’euros. Nous cherchons à accompagner les valeurs dans leur croissance, en conséquence nous ne nous fixons pas de limite supérieure de capitalisation.

Thierry Cuypers : Je ne suis pas sûr que cet univers soit plus risqué. Chez Natixis Asset Management, nous avons un fonds microcaps dont la volatilité est inférieure à celle des mid caps. Ces dernières sont moins liquides et ne sont pas achetées par les hedge funds ou les producteurs d’ETF.

Jean-Pierre Mariaud : En effet, les ETF ne vont généralement pas chercher des sous-jacents sur les small caps. S’il est vrai que les fonds de microcaps sont moins volatils que les fonds de small caps, il est vrai aussi que ces derniers sont également moins volatils que les fonds investis dans les grandes valeurs.

Et pourtant, à tort, la classe d’actifs est toujours considérée comme plus volatile…

Eric Biassette : Il y a plus de diversité au sein de cette classe d’actifs : des valeurs industrielles, mais aussi des sociétés de services (conseil en R&D, sociétés de certification, gestion de centres d’appels…), ou encore des maisons de retraite, des équipementiers automobiles, aéronautiques… Cette grande diversité est un élément d’explication de la moindre volatilité.

Jean-Pierre Mariaud : Les sous-jacents des ETF sectoriels essentiellement sont des grandes valeurs. Lorsqu’il y a des mouvements sur les ETF, la volatilité est importante en raison des flux.

Eric Biassette : L’univers des valeurs moyennes étant très large et diversifié, avec plus de 1 000 valeurs «liquides» dans la zone euro, il offre toujours des opportunités d’investissement.

Thierry Cuypers : Non seulement l’indice comporte plus de valeurs, mais ces dernières ne sont pas jouées tous les jours comme le sont les large caps. Quand il y a un événement sur les marchés, les large caps vont amplifier la hausse ou la baisse par rapport aux petites et moyennes valeurs. En revanche, en cas de gros choc, les small caps vont baisser plus en raison de leur manque de liquidité.

Eric Biassette : Les small caps sont réputées plus volatiles car, dans les périodes de fortes baisses des marchés comme en 2008, elles ont été davantage pénalisées que les grandes valeurs, avant tout pour des raisons de liquidité. Sur longue période, elles s’avèrent moins volatiles que les grandes valeurs.

Stéphanie Bobtcheff : C’est une réputation très pénalisante et erronée ! On confond liquidité et volatilité. Les petites et moyennes valeurs sont moins liquides mais moins volatiles, tout particulièrement depuis quelques années. Pourquoi ? D’abord, comme cela a été dit, la classe d’actifs ne subit pas les effets des grands mouvements provoqués par les ETF. Elle est de plus peu exposée aux émergents qui sont créateurs de volatilité. Enfin, le principal moteur de la performance boursière est la croissance des bénéfices et non la macroéconomie ni la politique, deux facteurs qui ont altéré les marchés par leur imprévisibilité ces derniers temps.

La classe d’actifs s’est également professionnalisée. Des équipes dédiées avec une réelle expertise se sont constituées et substituées aux incursions des gérants large caps. Enfin et surtout, elle est devenue un outil de diversification structurel des portefeuilles.

Comment se répartit géographiquement cet univers de valeurs ? Sont-elles mieux représentées dans certains pays ? Certains secteurs sont-ils prépondérants en France ou en Allemagne, par exemple ?

Thierry Cuypers : Dans les petits pays du nord de l’Europe ou en Autriche, l’univers se compose, à quelques exceptions près, de sociétés qui capitalisent moins de 2 milliards d’euros.

Jean-Pierre Mariaud : La taille de ces valeurs est assez liée à celle de leur pays d’origine. L’Allemagne et la France sont les deux principales places de cotation des small et mid caps dans la zone euro, mais avec un poids relatif plus faible en France.

Eric Biassette : En Allemagne, on trouve beaucoup de valeurs moyennes de taille assez importante, généralement industrielles, liées aux secteurs de l’automobile ou de la chimie. Le marché français est également un marché intéressant, avec une très grande diversité de secteurs représentés. La richesse du marché français des valeurs moyennes explique d’ailleurs le succès de nombreuses «boutiques» de gestion d’actifs.

Stéphanie Bobtcheff : Il faut également noter le poids important du Royaume-Uni dans les indices small caps avec une pondération qui excède 30 %. Nous apprécions également beaucoup les pays nordiques, vivier important de belles valeurs de croissance. Enfin, l’Italie est un marché qui attire tous les regards en ce moment avec le lancement du PIR, un dispositif fiscal attractif et comparable au PEA-PME visant à favoriser l’investissement dans les petites et moyennes valeurs.

Jean-Pierre Mariaud : L’intérêt en France pour cette classe d’actifs bien représentée en Bourse est important. D’ailleurs, certains fonds, victimes de leur succès, ont dû être fermés à la souscription. Depuis le lancement des PEA-PME fin 2014, les souscriptions ont été importantes.

Cela signifie qu’un fonds investi dans des small et mid caps ne doit donc pas dépasser un certain seuil d’encours pour préserver la gestion…

Stéphanie Bobtcheff : Tout dépend du segment. Pour les small caps (des capitalisations inférieures à 1 milliard d’euros, donc), il y a effectivement un sujet de liquidité. Si l’on veut garder un portefeuille de conviction et rester concentré sur 40 lignes, cette contrainte incitera nécessairement le gérant à fermer le fonds ; nous l’avons récemment fait pour l’un de nos fonds petites valeurs, Echiquier Entrepreneurs, lorsqu’il a atteint 400 millions d’euros d’encours.

Pour les mid, la question se posera peut-être un jour aussi, mais ce n’est pas un sujet à court terme. La liquidité sur cette classe d’actifs est bien meilleure ; nous avons encore de la marge : notre fonds Echiquier Agenor pèse 450 millions d’euros, et il peut facilement atteindre 1,5 milliard d’euros.

Thierry Cuypers : Nos fonds mid caps Europe et mid caps euro gèrent chacun 600 millions d’euros, les fonds investis dans des valeurs moyennes français ayant quant à eux un encours de 400 millions d’euros. La capitalisation médiane des valeurs qui composent nos portefeuilles est d’environ 2,8 milliards d’euros, nos fonds sont donc assez liquides. En 2016, les microcaps ont surperformé les small caps qui, elles, ont surperformé les mid caps. En 2017, c’est l’inverse, car, à l’approche des élections, certains investisseurs ont vendu les microcaps par précaution. Le mouvement s’est inversé depuis le début du mois de mai.

Comment sont valorisées les small et mid caps ?

Historiquement, sont-elles toujours plus chères que les grandes valeurs ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

Thierry Cuypers : Historiquement, les valeurs moyennes sont mieux valorisées que les grandes. En cas d’accélération du cycle, elles pourraient se payer plus cher.

Stéphanie Bobtcheff : Les plus petites valeurs de la cote bénéficient en revanche toujours d’une décote de liquidité. Rappelons qu’elles sont très peu couvertes par les analystes : les inefficiences de marché y sont plus fréquentes.

Eric Biassette : Actuellement, les valeurs moyennes présentent une prime de l’ordre de 15 % par rapport aux grandes valeurs sur la base du PER estimé, ce qui est légèrement en dessous de la moyenne historique. Cette prime est justifiée par une croissance plus élevée des résultats.

Thierry Cuypers : En Europe, la prime habituelle est effectivement de 15 % tandis que, en zone euro, elle est de 27 % sur les huit dernières années.

Eric Biassette : Le marché est un peu plus cher que la moyenne historique et qu’en 2007, mais les taux longs étaient alors proches de 4 % contre moins de 1 % aujourd’hui. En conséquence, la prime de risque actions reste à un niveau plutôt attractif. De plus, les perspectives de croissance bénéficiaire semblent tout à fait raisonnables.

Thierry Cuypers : Sur la zone euro, le PER («price earning ratio») est de 18 contre 15 fois pour les large caps, la prévision de croissance des profits étant de 18 % contre 10 % pour les grandes valeurs. L’écart est plus marqué dans la zone euro qu’en Europe à cause du Royaume-Uni : les valeurs domestiques anglaises risquent d’avoir des problèmes de croissance suite au Brexit.

Jean-Pierre Mariaud : En prenant le ratio du PEG, et donc du PE rapporté à la croissance, il est de 1,2 pour les valeurs moyennes contre 1,4 pour les grandes valeurs. En instantané, les valeurs moyennes se paient avec une prime par rapport aux grandes valeurs, mais en intégrant la croissance, il n’y a pas de prime.

Par ailleurs, nous n’avons toujours pas retrouvé le pic de marges que nous avions connu en 2007. L’accélération de la croissance des chiffres d’affaires se traduit par des effets de levier importants. C’est le cas par exemple en France pour des sociétés comme Trigano ou Jacquet Metal.

Eric Biassette : Depuis 2008, les entreprises s’appliquent à contrôler leurs coûts, en conséquence l’amélioration de l’environnement économique aura un effet de levier opérationnel important.

Jean-Pierre Mariaud : Il y a donc encore une marge de progression significative au niveau de la profitabilité. Le sous-jacent économique et financier des entreprises est bon.

Thierry Cuypers : Le partage de la richesse se fait plutôt en faveur de l’entreprise que des salariés. Les sociétés améliorent nettement leurs profits mais, pour autant, il n’y a pas d’accélération des salaires. Ce qu’elles devraient faire en Allemagne, par exemple, mais une certaine prudence reste de mise.

Pour revenir sur les taux longs, ils restent à des niveaux très bas, alors qu’ils devraient être légèrement supérieurs à l’inflation, autour de 2 %. Si on compare la valorisation des actions aux taux longs, la classe d’actifs a encore du potentiel. Mais les taux longs finiront par bien remonter…

Eric Biassette : A ce moment-là, il faudra être très sélectif !

Les valeurs moyennes sont-elles particulièrement sensibles à la remontée des taux ?

Dans cet univers, y a-t-il beaucoup de sociétés endettées ?

Eric Biassette : Non, au contraire, beaucoup de sociétés de cet univers sont désendettées ou le seront totalement dans les deux prochaines années. Cet environnement de taux bas, accélérateur de croissance pour les acquéreurs, couplé à une reprise de l’activité économique, devrait favoriser de nombreuses opérations d’acquisitions.

Thierry Cuypers : Les petites valeurs, notamment en Allemagne, ont de mauvais souvenirs de 2007 quand les banques ont coupé l’accès au crédit. Elles préfèrent désormais ne pas être endettées et même avoir du cash au bilan.

Jean-Pierre Mariaud : Le souvenir de mauvaises négociations avec les banques reste en effet très vivace en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays. Les entreprises ne veulent plus dépendre d’une banque pour le développement de leur activité. La croissance organique est autofinancée, en tout cas dans les entreprises que nous avons en portefeuille. Elles ne font appel aux banques que pour financer une opération de croissance externe. Mais pour une entreprise comme le groupe Seb ou le groupe Fnac, la génération de cash-flow est tellement importante qu’en trois ans elle est désendettée.

Thierry Cuypers : L’autre solution est d’augmenter le capital. Mais nous n’aimons pas trop les sociétés qui y recourent, car ces opérations sont souvent très dilutives. Nous préférons également les sociétés qui autofinancent leur croissance organique et externe. Nous préférons celles qui font plusieurs petites acquisitions plutôt qu’une grosse opération, car elles sont plus faciles à intégrer. Racheter un petit concurrent sur un multiple de valorisation inférieur crée beaucoup de valeur.

Eric Biassette : Ces derniers mois, un certain nombre d’opérations de consolidation ont été annoncées, dont certaines assez significatives et généralement saluées par les marchés : Amundi/Pioneer, Seb/WMF ou encore SPIE/SAG.

Avec les taux bas et l’accélération de la croissance, il devrait donc y avoir plus d’opérations de fusions-acquisitions…

Stéphanie Bobtcheff : Très clairement. Cela a déjà été le cas sur le segment small caps, qui a connu de nombreuses opérations ces dernières années. Ce mouvement devrait gagner les mid caps de façon plus affirmée prochainement. C’est une opportunité pour investir dans des marchés de niche en forte croissance.

Mais attention, le seul intérêt spéculatif d’un dossier ne justifie pas notre décision d’investissement. Nous pouvons également investir dans des sociétés qui mènent la consolidation sur leur marché.

Jean-Pierre Mariaud : J’apporterais un bémol cependant : les acquisitions ne se paient pas sur des niveaux de valorisation aussi attractifs qu’il y a trois ans ! La relution n’est plus aussi automatique en raison de l’inflation du prix de certains actifs.

Thierry Cuypers : Tout dépend également de la taille de la cible. Une entreprise avec une taille de 500 millions ou de 1 milliard d’euros est également convoitée par des fonds de private equity. Ces derniers ont levé beaucoup de fonds et cherchent à investir dans des sociétés qui génèrent du cash-flow et qu’ils pourront restructurer. La concurrence des fonds de private equity fait monter les prix. Une small cap peut acheter des microcaps pas chères, tandis qu’une mid cap va être en concurrence dans certains secteurs avec d’autres acteurs du marché. Dans certains secteurs, la croissance organique est tellement faible que les entreprises n’ont pas d’autre choix que de faire des acquisitions pour dégager une croissance de 10 à 15 %. D’autres secteurs, au contraire, comme les semi-conducteurs, dégagent des niveaux de croissance élevés et n’ont pas besoin de croissance externe.

La consolidation est-elle particulièrement importante dans certains secteurs ?

Eric Biassette : Certains secteurs restent très fragmentés, et la consolidation est en cours au sein des SSII ou des sociétés de conseil en R&D. Des entreprises comme Téléperformance ou Bureau Veritas consolident également leurs marchés respectifs au niveau mondial.

Thierry Cuypers : Il existe en effet des secteurs où il n’y a pas encore eu de consolidation. C’est le cas de l’immobilier, par exemple, un secteur composé d’une multitude de petits acteurs avec des opérations tous les mois. L’immobilier représente 10 % de l’indice small caps.

Jean-Pierre Mariaud : La consolidation doit produire des effets de levier bénéfique. Dans certains secteurs, une acquisition permet de devenir plus gros, mais ne génère pas de synergies au niveau des approvisionnements ou sur les charges centrales. Je suis donc moins favorable à ces opérations de croissance externe.

L’univers d’investissement est très large et vous gérez des portefeuilles concentrés sur 50 ou 60 valeurs. Comment analysez-vous cet univers ? Quels filtres utilisez-vous ?

Thierry Cuypers : Pour nos portefeuilles, nous cherchons avant tout des sociétés de croissance à des prix raisonnables. Un premier filtre permet d’identifier les valeurs qui ont plus de 10 % de croissance par an, d’autres filtres sont ensuite appliqués en fonction du PER ou du PEG («price/earning to growth»), de la génération de free cash-flow, etc. Les sociétés capitalisant plus de 500 millions d’euros sont suffisamment suivies par les analystes financiers pour que nous puissions disposer de toutes ces informations. Le consensus est significatif, et les bases de données relativement exactes. Ces premiers filtres permettent de réduire l’univers de 1 000 à 150 valeurs environ. Par la suite, le gérant fait son propre travail d’analyse et vérifie notamment que la croissance de la société est pérenne et si ses marges sont suffisantes pour l’autofinancer. En tant que gérant de croissance, nous achetons une valeur pour l’accompagner sur le long terme, du moins tant qu’elle reste une small cap. Et si, en plus, nous pouvons l’acheter sur des multiples de valorisation attractifs, c’est coup double puisque nous profitons à la fois de la croissance et de la revalorisation.

Jean-Pierre Mariaud : L’univers est très large et permet de dénicher ce type de valeur. En plus des critères précédemment cités, j’ajouterais l’indépendance financière de la société. La stratégie de l’entreprise ne doit pas dépendre de négociations avec les banques ou du marché. Son résultat ne doit pas être sensible à une variation de taux.

Dans l’univers des small caps, la notion de croissance est essentielle, surtout quand il n’y en a pas beaucoup sur le plan macroéconomique. Lorsque de nouveaux segments d’activité économique émergent sur les marchés, c’est dans l’univers des small caps. C’est le cas du digital. Prenons l’exemple de la consommation de textile qui n’a quasiment pas de croissance en Europe, ce qui n’est pas le cas de Zalando (Allemagne), Asos (Royaume-Uni) ou de la société suédoise Boozt prochainement introduite en Bourse, qui ont des taux de croissance de 20 à 25 % par an. Même chose pour Wirecard, plateforme technologique liée au développement du paiement en ligne, dont la croissance est très élevée : les consommateurs ne paient pas plus mais ils paient différemment. Dans les énergies renouvelables, les premières sociétés dans les éoliennes ont fait leur apparition dans l’univers des small caps. Une small cap qui n’a pas de capacité d’innovation ne peut pas réellement exister.

Eric Biassette : La croissance est un prérequis. L’intérêt principal, selon nous, d’investir dans l’univers des valeurs moyennes est d’y trouver plus de croissance qu’au sein des grandes valeurs. Dans notre gestion, nous apprécions également les valeurs familiales. Le management et l’actionnariat familial donnent du temps à la mise en œuvre des décisions et permettent de créer de la valeur sur le long terme. La stabilité du management et son «track record» sont également clés. Pour cette raison, nous sommes généralement méfiants à l’égard des introductions en Bourse (absence de données historiques).

Dans notre processus de gestion, nous attachons également une grande importance à la génération de free cash-flow. Le suivi de ce critère est généralement déterminant pour éviter les accidents. Une fois les différents filtres appliqués, nous rencontrons les dirigeants et nous les challengeons notamment sur leur utilisation du cash généré. Enfin, nous valorisons la société, en actualisant les free cash-flows, en retenant des critères raisonnables et stables.

Stéphanie Bobtcheff : Le vivier est foisonnant et donc passionnant pour les stock-pickers que nous sommes. A La Financière de l’Echiquier, nous appliquons trois filtres quantitatifs pour réduire la taille de l’univers : la liquidité, la valorisation et la performance opérationnelle. Nous sommes notamment attentifs à la croissance du chiffre d’affaires, la marge opérationnelle, le retour sur capitaux employés et la génération de cash.

Nous réduisons ainsi la taille de l’univers de 1 000 à 300 valeurs sur lesquelles nous travaillons activement via l’analyse fondamentale, classique, des valeurs sélectionnées. Nous rencontrons systématiquement les managers. Ces rencontres, dans l’ADN de la maison depuis l’origine, sont pour nous des préalables à toute décision d’investissement. Puis commence le travail de valorisation prenant en compte l’upside, et l’analyse du momentum pour construire la position en portefeuille. Nous essayons de nous positionner majoritairement sur des entreprises autonomes du cycle et portons une grande attention à la gouvernance : nous apprécions notamment les managers actionnaires, les politiques d’incitation, les plans de stock options…

La taille du flottant est-elle un critère important ?

La liquidité est-elle envisagée au niveau des valeurs ou du fonds ? Comment sont gérées les demandes de rachat des clients ?

Jean-Pierre Mariaud : Nous avons mis une règle en place dans nos portefeuilles : nos positions agrégées sur les valeurs moyennes ne doivent jamais dépasser plus de 6 %, quelle que soit la conviction que nous puissions avoir sur la valeur.

Eric Biassette : Notre objectif est de pouvoir liquider toute ligne du portefeuille en moins d’une semaine. Notre positionnement sur des mid caps plutôt que sur des small caps permet d’assurer une très bonne liquidité à nos fonds.

Stéphanie Bobtcheff : En amont de notre travail d’analyse fondamentale, nous appliquons un filtre permettant de nous assurer que la liquidité est satisfaisante ; nous devons pouvoir construire une ligne représentant 2 % du fonds en moins de trente jours, et en se limitant à un tiers du volume quotidien moyen.

Jean-Pierre Mariaud : Tous nos fonds ouverts doivent répondre à un critère de liquidité. Cette liquidité se définit par la capacité de vendre 50 % minimum en moins d’une semaine tout en respectant 20 % des volumes quotidiens. Nous avons un suivi quotidien de cette liquidité. Par ailleurs, nous accompagnons les sociétés sur le long terme, avec parfois des durées de détention de six ou sept ans.

C’est sans doute la raison pour laquelle on reproche parfois aux gérants de valeurs moyennes de ne pas savoir vendre…

Stéphanie Bobtcheff : Il arrive aussi que cela soit l’inverse : nous avons parfois perdu de la performance en vendant trop tôt car notre objectif était atteint. Nous cherchons à présent davantage à intégrer le momentum éventuellement porteur sur un titre pour ajuster nos positions.

Thierry Cuypers : Nous pouvons accompagner les sociétés sur la durée, tout en veillant à ce qu’aucun élément structurel, comme l’arrivée d’un nouveau concurrent, ne vienne changer la donne. Il faut savoir vendre.

Jean-Pierre Mariaud : Nous ne sommes pas des partenaires stratégiques de l’entreprise mais des investisseurs boursiers. Si nous avons une conviction sur une valeur, nous restons investis.

Eric Biassette : Le risque de notre approche fondamentale est de nous «attacher» aux valeurs dans lesquelles nous investissons. Il faut toujours régulièrement «challenger» ses investissements. Par ailleurs, lorsqu’un accident de parcours survient, nous nous appliquons, après avoir analysé la situation, soit à renforcer notre position, soit à la céder, mais nous ne restons pas inactifs.

Jean-Pierre Mariaud : S’il y a un changement de management non prévu et non géré, nous vendons immédiatement un tiers de notre position sur la valeur. Si la transition est bien gérée, l’impact pour la société n’est pas le même. Prenons l’exemple de Gamesa et de Siemens : ce n’est finalement pas le management annoncé qui va gérer la fusion. Nous avons donc soldé notre position.

Thierry Cuypers : Pour ne pas tomber dans l’affect, il faut régulièrement analyser le portefeuille existant avec les mêmes filtres que ceux utilisés pour l’analyse de l’univers d’investissement : le rythme de croissance est-il le même ? La génération de cash-flow est-elle aussi importante ?

Jean-Pierre Mariaud : Ce travail de vérification doit également être fait au niveau des valorisations. Il peut y avoir des dérives de valorisations aussi bien à la hausse qu’à la baisse.

Quelles sont les raisons qui vous incitent à la prudence ?

Pour revenir aux introductions en Bourse, le contexte est-il favorable ? Compte-t-on beaucoup de nouveaux entrants dans cet univers ? Quelles sont les raisons qui vous incitent à la prudence ?

Eric Biassette : Comme évoqué précédemment, nous participons rarement aux introductions en Bourse, compte tenu du manque d’historique disponible sur la valeur. Une société qui s’introduit en Bourse ne communique généralement que les comptes des deux derniers exercices comptables. Nous ne pouvons pas apprécier ses performances bas de cycle, comme en 2009.

Nous avons cependant participé à l’introduction en Bourse de Prosegur Cash, car nous connaissions depuis longtemps la société mère Prosegur. Prosegur Cash est numéro deux mondial de son secteur, la gestion et le transport des espèces, derrière Brinks. Elle a fortement augmenté ses parts du marché mondial au cours des dix dernières années, de 7 % à 12 %. Elle génère des marges élevées, supérieures à ses compétiteurs, grâce à ses positions très fortes en Amérique latine (elle y détient 57 % du marché). Grâce à son free cash-flow, Prosegur Cash continuera de se développer en consolidant le secteur dans les années à venir. De plus, sa valorisation était très raisonnable.

Thierry Cuypers : Il y a beaucoup d’introductions en Bourse, mais de petite taille. Il y a par exemple deux opérations par semaine en Suède mais avec des flottants inférieurs à 200 millions d’euros. Très souvent, les titres sont réservés à un premier cercle d’investisseurs. Nous participons aux introductions en Bourse mais de façon sélective.

Eric Biassette : Au-delà du track record de la société, qui peut faire défaut lors des introductions en Bourse, l’asymétrie d’information entre le vendeur et les investisseurs est assez gênante. Il est difficile d’appréhender une société de l’extérieur.

Stéphanie Bobtcheff : Je suis d’accord. Le décalage d’informations entre les vendeurs et les investisseurs que nous sommes nous incite systématiquement à une certaine prudence. Nous participons donc rarement aux IPO, et analysons plutôt les entreprises six à douze mois après leur introduction en Bourse. Lorsque nous y participons, au cas par cas, de nombreuses conditions doivent être réunies : une conviction très forte et une valorisation attractive bien sûr, mais aussi une structure de l’offre intéressante qui intègre du primaire, et un management actionnaire qui reste investi, à nos côtés.

Jean-Pierre Mariaud : En tant que gérant de valeurs moyennes, nous ne pouvons pas nous priver de regarder les introductions en Bourse. Nous avons par exemple participé à celle de Prosegur Cash, car nous connaissions le management à la tête de la société depuis plusieurs années. L’arrivée d’un management à la tête de la société peu de temps avant l’introduction en Bourse pose question. Si nous participons à une introduction en Bourse, la ligne ne sera pas significative dans un premier temps. Il faut attendre qu’elle s’acclimate à la Bourse et délivre des résultats.

Thierry Cuypers : Il faut toujours regarder ce que fait le management au moment d’une introduction en Bourse. S’il vend des titres, il faut se méfier. A l’inverse, si les dirigeants achètent des titres au prix de l’IPO («initial public offering»), c’est plutôt bon signe.

Jean-Pierre Mariaud : La méfiance s’impose surtout lorsque ce sont des fonds de private equity qui vendent. Ce n’est pas du tout la même chose lorsqu’il s’agit d’actionnaires familiaux qui cotent la société pour franchir une nouvelle étape de développement.

Quels sont les thèmes ou les secteurs qui vous semblent attractifs dans l’univers des valeurs moyennes ?

Jean-Pierre Mariaud : En tant que stock-picker, je ne fais pas de choix de pays ou de secteur mais, dans nos portefeuilles, le thème de la digitalisation est bien représenté, soit par des pure players soit par des sociétés pour qui le digital est un accélérateur de croissance et de marges. Cela concerne des sociétés comme Wirecard, Zalando, Showroomprive mais aussi Melia ou la Fnac pour lesquelles le canal digital va accélérer la croissance. Autre thème en portefeuille, les entreprises liées au vieillissement de la population ou les valeurs technologiques.

Stéphanie Bobtcheff : Nous n’avons pas non plus de biais, ni géographique, ni sectoriel : le stock picking l’emporte sur tout. Pour nous, la question est plutôt : vers quoi notre stock picking nous oriente-t-il ? Notre positionnement sur les valeurs de croissance fait ressortir des expositions sectorielles plus marquées sur les biens de consommation, avec des valeurs telles que Maisons du Monde ou Moncler, sur la tech, avec le groupe danois Nets, leader des services de paiement et enfin sur la santé et les medtech avec DiaSorin en Italie ou Vitrolife en Suède. Notre regard particulier sur les «marchés de rupture» nous a aussi conduits à forger de fortes convictions. Je peux mentionner notamment deux entreprises britanniques, Asos, déjà citée, et Ocado, pionnier de la distribution alimentaire en ligne, un marché dont la croissance attendue sur la prochaine décennie est de 10 % par an.

Eric Biassette : Notre portefeuille privilégie la croissance bénéficiaire. Un certain nombre de sociétés nous paraissent en mesure de surprendre à la hausse dans ce domaine. Le portefeuille est équilibré entre des valeurs cycliques européennes comme Nexans ou Europcar et des valeurs plus défensives comme GrandVision ou Korian.

Thierry Cuypers : Dans nos portefeuilles, nous retrouvons les thèmes précédemment cités du vieillissement démographique ou de l’économie digitale. Nous apprécions également les sociétés qui détiennent une part de marché importante dans leur secteur. Elles ont un pouvoir important sur les prix, comme le fabricant allemand de vérins à gaz et électriques pour voitures, Stabilus. En Angleterre, Rightmove est incontournable pour les agences immobilières. Par ailleurs, même si les taux remontent, certaines valeurs de rendement sont toujours intéressantes. Enfin, nous avons en portefeuille des cibles potentielles d’OPA.

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