Gestion diversifiée 

Quelle allocation d’actifs dans un environnement instable ?

Publié le 29 mai 2020 à 15h55

Propos recueillis par Catherine Rekik

Loin de tous les scénarios imaginés en début d’année, la crise du Covid-19 a durement affecté l’économie et les marchés financiers. Quel bilan peut-on faire de ces premiers mois de l’année ? En quoi cette crise est-elle différente des précédentes ? Dans quel environnement économique évolue-t-on ? Quelles sont les perspectives macroéconomiques au niveau mondial ?

La crise du Covid-19 a balayé tous les scénarios de marché envisagés en début d’année. Quel premier bilan peut-on faire de ces derniers mois ?

Malik Haddouk

Le bilan est à la fois simple et complexe. Nous sommes face à une crise inédite avec des conséquences économiques que nous n’avons jamais vues : la récession sera très importante ! Cette crise du coronavirus est atypique, car habituellement la récession est causée par un choc de la demande et, dans le cas présent, pour limiter la propagation du virus, les gouvernements ont décidé de freiner, voire de fermer, leurs économies pendant deux mois. Il y a donc eu un choc de demande et un choc d’offre. La grande incertitude concerne la durée de cette crise : combien de temps va durer cette épidémie ? Pourra-t-on freiner la propagation du virus et éviter une deuxième, voire une troisième vague ? Il est difficile aussi d’anticiper l’évolution des économies après le déconfinement, et surtout le comportement des consommateurs.

Pour une fois, la crise que nous vivons depuis le mois de février ne vient pas des marchés financiers, mais d’une décision politique consécutive à la pandémie.

David Taieb

Il y a plusieurs bilans à faire de cette crise. Le premier bilan est humain : mi-mai, le nombre de décès s’élève a plus de 300 000 dans le monde. C’est un chiffre effrayant. Nous n’avons jamais connu une telle crise sanitaire. Cela devrait donc conduire certains responsables politiques à s’interroger sur les systèmes en place. Le bilan est aussi économique, puisque cette crise a plongé l’ensemble des économies de la planète dans un environnement inconnu. Aucun analyste et aucun modèle mathématique n’est en mesure de nous indiquer avec précision l’impact qu’aura cette crise sur nos entreprises. Enfin, en matière de bilan boursier, cette crise a rapidement fait apparaître les gagnants et les perdants de demain. Elle a crédibilisé certains thèmes d’investissement qui avaient fortement émergé ces dernières années.

Gilles Etcheberrigaray

Au-delà du caractère exogène de la pandémie, il y avait quand même des fragilités dans l’économie mondiale avant que la crise n’éclate. La Fed était redevenue accommodante à partir de septembre, ce qui laissait présager des difficultés pouvant se matérialiser en 2020. Nous étions donc plutôt prudents en début d’année, dans une configuration de cycle à bout de souffle. La crise du Covid-19 a été un déclencheur inattendu par sa nature et son ampleur, mais les difficultés sous-jacentes expliquent la violence de la baisse.

Thomas Friedberger

Je partage ce point de vue. Avant l’arrivée du coronavirus, il y avait une accumulation de facteurs propices à une crise : une dette sur PIB de 300 % dans le monde, des valorisations à des plus hauts historiques sur toutes les classes d’actifs cotés ou non cotés et une économie très mondialisée avec des entreprises qui pouvaient produire et payer leurs impôts là où elles voulaient, et optimiser leur capital en finançant par la dette des rachats d’actions. Cette optimisation se paye aujourd’hui, l’économie mondiale ayant sous-estimé le risque extrême qui est arrivé sous la forme d’un virus, mais qui aurait pu se matérialiser de différentes manières. Ce virus n’est qu’un déclencheur de la crise.

Comment la crise a-t-elle affecté les grandes classes d’actifs comme les actions ou les obligations ? Avez-vous été surpris de l’évolution des marchés entre mars et mi-mai ?

Thomas Friedberger

Nous n’avons pas été vraiment surpris. La première phase de chute violente est assez classique et correspond à une purge du levier qui s’est accumulé pendant plusieurs années. Mais la réponse des banques centrales a été proportionnée, adaptée et rapide. L’ampleur des mesures prises est une première dans l’histoire : aux Etats-Unis et en Europe, cela représente environ 20 % du PIB. Nous sommes dans une phase où ces mesures ont réussi à stabiliser les marchés, et les multiples de creux de marché seront probablement plus élevés que d’habitude, parce que les taux sont plus bas et les mesures prises pour endiguer la crise exceptionnelles. La crise se manifeste désormais par de la dispersion et non plus par une réaction homogène de toutes les classes d’actifs ou de toutes les actions ou obligations au sein de leur classe d’actifs. Prenons l’exemple du S&P 500 : l’indice est à 12 % de son plus haut historique de février, mais l’action médiane est à - 30 %, tandis que les performances des Gafam sont positives depuis le début de l’année. Les indices vont donc avoir des réactions moins spectaculaires qu’en mars mais, à l’intérieur d’un indice, il faudra être sélectif.

Les banques centrales sont-elles plus réactives que lors des crises précédentes ? Ont-elles pris les mesures adaptées ?

Gilles Etcheberrigaray

En 2008, les banques centrales avaient déjà été réactives. Cette fois-ci, c’est la réactivité des Etats qu’il faut souligner, avec l’annonce des plans budgétaires sans commune mesure avec ce qui avait été fait en 2008, en particulier aux Etats-Unis.

Les banques centrales ont été rapides et coordonnées. Ce qui est inquiétant, c’est la foi que l’on a désormais dans les banques centrales. En cas de perte de confiance, la réaction des marchés pourrait être compliquée.

David Taieb

En effet, il y a une bonne réaction et une bonne coordination des banques centrales, mais il est vrai que les marchés se reposent beaucoup sur leurs réactions et leurs décisions. En cas de perte de confiance, les marchés seraient très nerveux. Les discours de Jerome Powell et de Christine Lagarde sont scrutés et engendrent de la volatilité sur les marchés quand ils sont prononcés. C’est un vrai danger pour la suite : comment les marchés vont-ils pouvoir se détacher de tout ça et revenir à leurs fondamentaux ? 

Malik Haddouk

Cette situation inédite que nous connaissons est intervenue dans un environnement déjà fragilisé pour les marchés financiers, en particulier le marché du crédit, dont les banques centrales voulaient éviter la dislocation, le crédit américain montrant déjà des signes de faiblesse avant la crise. La réaction des banques centrales a été proportionnelle à l’étendue de cette crise sanitaire et de ses implications potentielles sur l’économie réelle. Cela a permis de stabiliser les marchés financiers et d’éviter d’entrer dans une spirale de dépression de l’économie. Le calme est revenu sur les principales classes d’actifs, et les économies ont pu limiter la casse. Mais il est vrai que, depuis la crise de 2008, les investisseurs s’attendent toujours à ce que les banques centrales viennent les sauver en cas de crises majeures. Ils s’habituent à leurs interventions, ce qui les pousse à prendre de plus en plus de risques. La Fed intervient désormais sur le marché du high yield. Il ne reste qu’une étape à franchir : les rachats d’actions par les banques centrales si la situation venait à se détériorer encore plus.

Gilles Etcheberrigaray

C’est déjà le cas au Japon, où la banque centrale est devenue un des premiers actionnaires de la Bourse de Tokyo.

Certains marchés sont-ils plus affectés par la crise ? Est-il trop tôt pour évaluer les conséquences économiques en zone euro, en Asie ou aux Etats-Unis ?

DavidTaieb

Tous les marchés ont été globalement affectés de la même manière. Dans ces moments-là, il y a une recorrélation des actifs par le stress et le risque, mais les Etats-Unis ont fait preuve d’une meilleure résistance grâce au côté refuge du dollar et à la construction des indices davantage exposés à la technologie et à la santé, qui sont apparus comme plus défensifs.

Gilles Etcheberrigaray

Il est un peu tôt pour évaluer l’impact sur les différentes économies, mais l’Europe occidentale a été particulièrement touchée. Les pays émergents, en particulier les producteurs de pétrole, sont fortement atteints. La Chine a été la première affectée, mais aussi la première à sortir du confinement. On y constate quelques signes d’amélioration, mais la reprise n’est pas aussi rapide qu’escomptée. Mais, alors que la zone euro sort de façon ordonnée du confinement, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, où chaque Etat gère la situation en fonction de critères différents. Les premières statistiques économiques montrent toutefois que l’Europe et certains pays émergents ont été les plus touchés.

Thomas Friedberger

Contrairement aux Etats-Unis et à la Chine, l’Europe n’a pas de marché domestique. Elle est beaucoup plus dépendante des exportations que les autres zones et de la globalisation qui avait déjà atteint ses limites avant la crise du Covid-19 avec les tensions entre la Chine et les Etats-Unis. L’Europe est la zone qui va le plus souffrir d’une inflexion de la mondialisation. Avant la crise, les économies avaient un problème de dette, et la crise se règle par un endettement encore plus élevé, car il n’y a pas d’autre solution en attendant que les entreprises soient recapitalisées. Conséquence : la plupart des pays vont avoir une croissance faible, avec peu de secteurs et d’entreprises capables de générer une croissance forte, alors que les multiples de valorisation sont aujourd’hui plus élevés que lors des crises précédentes. Il faudra être très sélectif.

Malik Haddouk

Les premières estimations montrent que c’est bien sûr l’Europe qui va payer le plus lourd tribut à cette crise, et ce pour deux raisons : elle manque d’une consommation soutenue et est une des économies les ouvertes. L’Amérique latine sera également très affectée, contrairement à l’Asie qui bénéficie d’une consommation interne soutenue. Toutefois, l’Europe a pris des mesures de confinement avant les Etats-Unis et a donc procédé à la levée de ces mesures plus rapidement, ce qui pourrait lui permettre de rebondir plus rapidement.

Avant la crise, l’attention des investisseurs se focalisait sur les Etats-Unis en raison des craintes sur la fin de cycle et de l’élection présidentielle de novembre. Dans le contexte actuel, cette échéance électorale peut-elle être plus déstabilisante ?

Gilles Etcheberrigaray

Nous observons un changement de consensus sur les marchés américains. Récemment encore, une victoire de Joe Biden sur Donald Trump était possible, mais avec un Sénat toujours républicain bloquant les éventuelles réformes. La gestion de la crise par l’administration Trump pourrait rendre possible un «grand chelem» des démocrates à la Chambre des représentants déjà acquise, à la présidentielle ainsi qu’au Sénat. Le pouvoir démocrate étant plus à gauche qu’il ne l’était il y a quelques années, cela pourrait avoir des conséquences non négligeables sur certains secteurs comme la santé ou sur les Gafa.

Thomas Friedberger

A l’exception de Roosevelt pendant la Grande Dépression, jamais un président américain n’a été réélu durant une récession économique. Trump va bâtir sa campagne sur une rhétorique très agressive vis-à-vis de la Chine, car il lui faut un bouc émissaire externe. Cela va accroître les tensions commerciales entre les deux pays, ces tensions n’étant que la partie visible d’un iceberg plus profond. L’enjeu concerne la domination monétaire en Eurasie, la Chine essayant d’imposer sa devise. Par ailleurs, la structure de la reprise aux Etats-Unis va être assez différente des précédentes crises. Auparavant, une crise aboutissait à un renforcement du dollar qui entraînait un déficit budgétaire et une relance de la consommation aux Etats-Unis. Cette fois-ci, le marché de l’emploi est en train de muter. Des études montrent que la moitié des emplois perdus ne seront pas retrouvés. En effet, les entreprises qui licencient emploient beaucoup de main-d’œuvre, alors que les recrutements sont le fait des entreprises technologiques dont les besoins sont limités. Trump va donc baser sa campagne non pas sur le redémarrage de la consommation, mais sur la relocalisation de la production américaine. Cela peut entraîner des mutations importantes de l’économie américaine.

 

David Taieb

De nouvelles tensions sino-américaines vont apparaître à mesure que les élections approchent. Trump va se focaliser sur cet enjeu pour détourner l’attention de sa gestion très moyenne de la crise sanitaire. Tout cela aura des conséquences sur les échanges, le commerce mondial et donc sur la croissance potentielle.

 

Malik Haddouk

En effet, le niveau de tensions entre les Etats-Unis et la Chine va être scruté dans les prochaines semaines. Il y aura des annonces comme celle du durcissement des règles de cotation des entreprises chinoises qui va pénaliser ces dernières et limiter leur rayonnement à l’international. Pour autant, Trump ira-t-il jusqu’à une confrontation directe ? Difficile de savoir, compte tenu de la situation économique américaine. Par ailleurs, la pandémie et ses conséquences sur l’économie américaine peuvent être une opportunité pour Joe Biden, que l’on n’entend pas beaucoup. Il doit démontrer qu’il est capable de s’élever à la hauteur de la situation. S’il parvient à se faire entendre, cela modifiera les scénarios à mesure que nous approcherons de la date de l’élection, les sondages ayant des effets sur l’évolution des marchés. Toutefois, c’est l’issue de l’élection qui sera déterminante, car une victoire des démocrates aura des conséquences sur la hausse des impôts, la régulation des Gafa, etc.

Gilles Etcheberrigaray

La confrontation entre les Etats-Unis et la Chine vient des deux côtés. La diplomatie chinoise est de plus en plus agressive. Récemment, à l’ONS, les Chinois ont essayé d’empêcher une enquête indépendante, par exemple. Aux Etats-Unis, la vision antichinoise est partagée par tous ; historiquement, ce sont plutôt les démocrates qui s’opposaient à la Chine. Cela va perdurer quel que soit le résultat des élections, notamment au Sénat. Si les démocrates sont au pouvoir, la confrontation avec la Chine sera moins brouillonne et plus structurée que celle menée par Trump.

Quelles seraient les conséquences en Europe de l’escalade entre ces deux pays ?

Gilles Etcheberrigaray

L’Europe étant une des économies les plus exportatrices de la planète, elle est prise entre deux feux. Le risque majeur dans cette confrontation économique est la création d’une nouvelle «guerre froide» technologique et commerciale. Les autres économies seront sommées de se ranger d’un côté ou d’un autre en termes de normes technologiques. La Grande-Bretagne, qui veut renégocier un traité de libre-échange avec les Etats-Unis, risque d’être confrontée à ce problème. Les Chinois n’ont peut-être pas les moyens de se lancer dans une telle guerre, leurs incursions économiques en Afrique ou au Venezuela n’ayant pas eu beaucoup de succès.

David Taieb

Cette guerre est déjà en cours sur le plan digital, et la prochaine étape concernera certainement la santé. La perspective de la découverte d’un vaccin a révélé de nouvelles tensions entre les différentes zones, comme l’a montré l’affaire Sanofi. Malgré les discours politiques de coopération mondiale pour la fabrication d’un vaccin, rien ne dit qu’il n’y aura pas de nouvelles tensions en cas de découverte de celui-ci.

Thomas Friedberger

La Chine essaie de faire aujourd’hui ce que les Américains ont fait après la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire imposer leur devise à leurs partenaires commerciaux pour dépendre moins du dollar. Ils le font à travers des projets «One belt, one road» ou «Made in China 2025». C’est inacceptable pour les Etats-Unis, parce que la trajectoire du déficit budgétaire américain est malheureusement unidirectionnelle, vers la dégradation. Les Etats-Unis doivent toujours maintenir une pression militaire en Eurasie et augmenter aussi leurs dépenses de santé indépendamment du coronavirus, car les problèmes d’obésité et de diabète coûtent très chers à l’Etat fédéral. Les Etats-Unis doivent donc émettre beaucoup de «treasuries», 3 trilliards de plus qu’en 2019. Ils ne peuvent donc pas se permettre d’avoir dans le monde une autre devise de référence que le dollar américain. Les tensions entre les deux pays vont donc perdurer et prendre des formes multiples. L’Europe en sera très affectée, car c’est l’économie la plus ouverte sur le monde : l’Allemagne est par exemple très dépendante des exportations vers la Chine.

Gilles Etcheberrigaray

La Chine n’a aucune chance de remplacer le dollar par le yuan comme devise de référence car, pour y parvenir, il faudrait accepter un déficit énorme pour financer l’économie mondiale. Or, les Chinois ne consomment pas assez pour se permettre un tel déficit permanent. Ils veulent diriger leur aire locale et surtout être les maîtres de la partie sud de la mer de Chine, bordée par des alliés des Américains.

Malik Haddouk

Je suis d’accord avec l’idée que les Chinois auront du mal à remplacer le dollar comme devise de référence, mais ils essaieront de limiter son rôle dans l’économie chinoise. Ils ont déjà décidé d’annuler le dollar sur les transactions boursières et de développer l’e-reminbi pour les transactions internes.

Comment avez-vous géré cette période en termes d’allocation d’actifs ?

David Taieb

L’allocation d’actifs a été particulièrement difficile dans cet environnement, notamment en raison de la volatilité. Nous avons eu une approche pluridisciplinaire, d’abord une évaluation des conséquences économiques de la crise, puis une approche plus technique pour pouvoir assembler les classes d’actifs. Certes, il s’agit d’assembler des convictions, mais aussi d’assembler du risque. Jusqu’à aujourd’hui, nos portefeuilles ont plutôt bien résisté et restent orientés «prudents». Sur les actions, nous préférons rester investis dans les marchés américains, qui sont davantage exposés aux secteurs de la technologie et de la santé, plus défensifs. Nous avons également maintenu nos investissements dans les marchés émergents avec une plus grande sélectivité, d’ailleurs plutôt en faveur de l’Asie que de l’Amérique latine et de la Russie. Du côté obligataire, nous avons continué à investir dans les dettes d’Etat, et notamment les «treasuries» américains, et nous sommes revenus récemment sur l’investment grade européen. Nous regardons de nouveau les subordonnées financières, qui nous semblent un peu trop décotées. Enfin, nous avons acheté régulièrement des options de protection sur la volatilité pour faire face à cette situation exceptionnelle.

Malik Haddouk

En début d’année, nous étions investis dans les actions, mais nous n’avions pas de crédit, ni investment grade ni high yield, car la classe d’actifs nous semblait survalorisée. Nous n’avons donc pas été impactés au moment de la baisse très sensible de ces actifs, ce qui nous a permis de reprendre ensuite du risque sur cette classe d’actifs compte tenu de l’implication des banques centrales. Sur la partie actions, nous avons privilégié les marchés américains et asiatiques dans un premier temps, en délaissant l’Europe, avec une exposition aux valeurs technologiques et pharmaceutiques.

Notre évolution a été assez tactique lors de cette crise, qui s’est déroulée en trois étapes : la correction marquée jusqu’au 23 mars, l’intervention des banques centrales qui a permis de stabiliser les actifs financiers et de reprendre du risque sur le high yield malgré une anticipation de la remontée des taux de défaut, et, aujourd’hui, le déconfinement, avec la perspective d’un rebond des économies et le retour progressif de l’activité des entreprises. Dans cette dernière étape, nous cherchons des points d’entrée sur des valeurs cycliques, car les valeurs de croissance ont bien monté et sont chères. C’est un mouvement tactique, car nous pensons que les PMI vont s’améliorer dans les semaines à venir et revenir au-dessus de 50, ce qui se traduirait par une surperformance des valeurs cycliques et décotées par rapport aux valeurs de croissance. Mais nous conservons une position plutôt prudente sur l’exposition globale aux actions. Nous allons profiter également de la baisse de la volatilité pour remettre des protections sur les marchés actions, car la hausse ne va pas se poursuivre éternellement. Une correction est probable, mais nous ne pensons pas revoir les points bas de mars. Sur la partie obligataire, nous avons des positions sur les «treasuries» américains, avec des arbitrages du dix ans vers le cinq ans, et sur les emprunts d’Etat italiens, car la BCE continuera à protéger les spreads italiens.

Gilles Etcheberrigaray

Tous nos fonds modérés et équilibrés sont positifs depuis le début de l’année. Nous avons géré la crise avec un positionnement défensif sur les «treasuries» et sur les actions américaines, mais pas sur les valeurs technologiques, que nous jugeons trop chères. Nous avons également acheté du crédit américain après l’intervention de la Fed.

Nos portefeuilles sont positionnés pour faire face à une deuxième vague de baisse à moyen terme. Le rebond a été trop fort, alors que les conséquences économiques ne sont pas encore toutes visibles. Nous pourrions donc revoir les plus bas du mois de mars, notamment sur les marchés actions américains.

Thomas Friedberger

Notre gestion de conviction est concentrée sur les actions et les obligations d’entreprises. Nos allocations d’actifs ne reposent pas uniquement sur une approche macroéconomique. Nous analysons 250 actions et 800 émetteurs dans le monde qui correspondent à nos critères et notre fonds flexible compte 25 positions. Nous sommes prudents depuis un bon moment, à tort sans doute en 2019, mais la qualité du stock piking nous a permis de faire des bonnes performances.

Nous avons été contrariants dans la phase de baisse, ce qui nous a permis de profiter du rallye. Aujourd’hui, le fonds est concentré sur des valeurs de qualité, car nous restons prudents sur un rebond de la value dans un contexte de taux négatifs et de croissance faible. Nous avons acheté des actions de qualité qui ont été massacrées pendant la correction, notamment en raison de leur poids dans les indices. C’est le cas de certaines valeurs technologiques aux Etats-Unis ou de sociétés appartenant à des secteurs jugés comme les perdants de cette crise, comme l’hôtellerie ou le transport. La prudence reste de mise, car nous estimons que la crise est loin d’être finie pour les entreprises. Les défauts et les restructurations restent à venir, beaucoup d’entreprises vont dépenser une partie de leurs cash-flows pour rembourser leurs dettes

Quelle part consacrez-vous au cash et à l’or dans les portefeuilles ? 

Malik Haddouk

Le cash est une part importante de nos portefeuilles, car nous restons prudents et disposons de munitions pour reprendre du risque. Nous en avons utilisé une partie pour revenir sur le crédit américain. Nous utilisons des ETF et des dérivés pour construire notre allocation d’actifs, par conséquent nous ne pouvons pas investir directement dans l’or. Néanmoins, nous avons une exposition aux valeurs aurifères, car c’est un actif de diversification important, et nous en avons besoin dans le contexte actuel.

Gilles Etcheberrigaray

Nous n’avons pas peur d’avoir 25 % de cash dans nos fonds modérés, même s’il ne rapporte rien. Nous avons également utilisé les sociétés aurifères comme actifs de diversification, mais le cours de l’or a monté récemment sur des anticipations de rebond d’inflation qui nous semblent prématurées. Mais c’est un actif intéressant pour la décennie à venir.

David Taieb

Dans notre cas, le cash est utilisé uniquement pour des positions d’attente de réinvestissement. En revanche, l’or est une classe d’actifs à part entière. C’est un actif de décorrelation que nous avons régulièrement dans nos allocations, au même titre que la volatilité ou certaines devises refuges comme le yen ou le franc suisse.

Thomas Friedberger

Nous utilisons beaucoup le cash quand les marchés ou les valeurs dans lesquelles nous voulons investir sont chers. Cela coûte d’avoir du cash, mais c’est un vrai choix. Nous voyons bien, dans cette crise, que, à part l’or, tout autre type de couverture fonctionne plus ou moins bien, surtout quand la volatilité est élevée et les options moins efficaces.

Quels sont les risques qui pourraient peser sur les portefeuilles que vous gérez à court et moyen terme ? La volatilité ? L’inflation ?

Gilles Etcheberrigaray

Dans les prochaines semaines, le principal risque serait une deuxième vague de correction boursière. A moyen/long terme, les investisseurs anticipent une croissance déflationniste et ne prennent pas du tout en compte l’hypothèse d’une résurgence progressive de l’inflation liée à une moindre efficience des économies et à des choix politiques de financement monétaire de la dette émise pendant la crise.

Malik Haddouk

Le risque principal est celui de deuxième ou troisième vague d’épidémie. A court terme, un risque de déflation est plus probable qu’un risque inflationniste. Les banques centrales vont rester assez présentes. Les relocalisations d’activités industrielles stratégiques sont une perspective structurelle de long terme. Cela ne devrait pas avoir d’impact immédiat sur l’inflation. Cette dernière pourrait même être négative en zone euro dans les prochains mois. Mais, à moyen terme, les banques centrales agiront pour un retour de l’inflation afin d’alléger le fardeau de la dette.

Par ailleurs, malgré l’action des banques centrales et des gouvernements, il y a un risque que la reprise ne soit pas au rendez-vous et que nous soyons confrontés à une récession.

David Taieb

En dehors du risque sanitaire, nous craignons le cycle infernal : «faillites d’entreprises – chômage – baisse de la consommation des ménages», qui représente une part importante de la croissance des différentes économies. Ce sont les principaux risques pour 2021. Quant à la volatilité, elle se gère si on parvient à avoir une bonne allocation et une bonne diversification des portefeuilles.

Récemment, les marchés ont acheté une lueur d’espoir, celle du déconfinement, de la réouverture des commerces et des usines, mais ce rebond repose plus sur la psychologie que sur des données réelles. Quand il y a autant d’incertitudes, les investisseurs se rattachent à des racines émotionnelles, mais ils finiront par être confrontés à la réalité des publications de résultats des entreprises. Accepteront-ils alors de payer de tels niveaux de valorisations pour cette qualité de résultats, même dans un environnement de taux bas ? Nous ne sommes pas à l’abri d’une deuxième vague de baisse. Quant à l’inflation, cela ne semble pas être un risque à court et moyen terme, en raison du double choc que nous vivons sur l’offre et la demande.

Thomas Friedberger

L’inflation est un risque à moyen terme car, à court terme, il ne peut y avoir d’inflation sans reprise de la demande. L’action des banques centrales a été calibrée pour lutter contre une déflation très forte, à juste titre. Les banques centrales auront du mal à revenir en arrière. L’exemple du «tapering» en 2018 montre à quel point c’est douloureux pour les marchés financiers. Quand la demande repartira, l’inflation fera son retour, d’autant que les déficits budgétaires seront importants dans un monde moins globalisé. Or, la mondialisation a été un facteur déflationniste important. De même, la population mondiale en âge de travailler ne cesse de se contracter depuis 2010, en partie à cause du vieillissement de la population chinoise. Il faudra donc apprendre à nouveau à investir dans un monde inflationniste. Qui dit inflation dit compression de multiples, et il faudra des résultats en hausse pour compenser. Or, il n’y a pas beaucoup de secteurs ou d’entreprises pour lesquelles on attend une progression des profits, ce qui nous oblige à être très sélectifs. 

Quelles sont les opportunités à moyen terme ?

Malik Haddouk

Les marchés actions sont à des niveaux de valorisation historiques, il n’y a pas eu d’ajustements sur les bénéfices. Il y a une déconnexion entre le marché obligataire et les marchés actions. Ces derniers privilégient une résolution rapide de la crise avec un rebond de la croissance économique et des bénéfices. En termes de prévisions, le consensus table pour 2021 sur un retour vers les niveaux de profits de 2019. Cela nous semble trop optimiste. Il est donc préférable de profiter du rebond pour prendre une partie des bénéfices sur les actions et de trouver des opportunités sur le crédit. De manière tactique, certaines valeurs décotées peuvent être intéressantes en anticipation d’un rebond des indices PMI en Europe. Enfin, pour capitaliser sur notre expertise en gestion thématique, nous voyons des opportunités sur des thèmes qui bénéficient de l’engouement des investisseurs comme la disruption ou la santé.

Plus généralement, nous pensons que la pandémie mettra en avant les fonds à impact, car les investisseurs deviendront très sensibles au fait d’apporter, par leurs investissements, une amélioration positive et concrète des enjeux sociaux et des défis environnementaux. Quelques mois avant la crise, l’équipe d’allocation d’actifs en collaboration avec l’équipe actions thématiques a lancé un nouveau fonds, CPR Invest-Smart Trends, qui a une approche défensive pour bénéficier du potentiel des actions thématiques. Notre ambition est d’atteindre un portefeuille 100 % ESG à la faveur du développement de l’investissement responsable dans toutes les classes d’actifs. Ce fonds répond tout à fait à l’appétit des clients pour l’investissement thématique responsable et pour des niveaux de risque maîtrisés.

Thomas Friedberger

Un des rôles de l’asset management est de financer l’économie. Nous devons flécher une partie de nos encours vers le financement des entreprises, notamment dans certaines filières en Europe comme la technologie, la santé ou l’aérospatiale. En termes de secteurs, nous pensons que ces deux premiers secteurs, tout comme la transition énergétique, vont bénéficier d’une croissance solide. Le match «économie mondiale contre Covid-19» va être gagné par l’économie mondiale mais, pour gagner le match «économie mondiale contre changement climatique», il faut réallouer 500 milliards d’euros par an d’investissements des énergies fossiles vers la transition énergétique. L’asset management est probablement le seul secteur capable d’orienter un tel montant vers les énergies renouvelables.

Par ailleurs, en ce qui concerne les classes d’actifs, les subordonnées financières nous semblent intéressantes. Il y a eu une correction très forte sur cette classe d’actifs pour des raisons techniques, mais les banques n’ont pas coupé leurs coupons sur les subordonnées financières, et le rendement est très attractif. Le crédit short duration offre également un rendement de l’ordre de 4 % pour une duration inférieure à 1.

David Taieb

Dans cette crise, la gestion diversifiée est une réponse juste et pertinente. C’est la seule classe d’actifs capable de s’adapter au cycle économique. La fin de l’année risque d’être difficile, et un retour à la normale n’est pas envisageable avant 2021. Cette crise est la plus violente de la décennie, car elle a mis à l’arrêt l’économie. Il faut donc surveiller le redémarrage des entreprises et leurs niveaux d’investissements, tout en mesurant l’état d’esprit des ménages et leur consommation. L’épargne s’est accumulée dans les banques pendant le confinement. L’intensité de la reprise dépendra aussi de la capacité des ménages à dépenser cette épargne.

Par ailleurs, que l’on soit investisseur professionnel ou pas, il faut avoir en tête le niveau de liquidité de son investissement, car c’est un facteur clé souvent oublié.

Enfin, les thèmes d’investissements porteurs ces derniers mois comme le digital, la santé et tout ce qui a trait à la réduction des émissions de CO2, autour de la finance responsable, vont prendre plus d’importance post-crise.

Gilles Etcheberrigaray

La gestion diversifiée est en effet un outil adapté à l’environnement actuel. Nous sommes dans une fin de cycle douloureuse, mais une nouvelle ère va commencer, pour laquelle nous devons identifier les secteurs et les marchés qui vont en profiter. Historiquement, nous savons que les secteurs qui ont performé durant le cycle précédent ne seront pas les gagnants du cycle suivant. Nos portefeuilles diversifiés seront donc très différents de ce que nous avions jusqu’à présent. La capitulation boursière des Gafa marquera, selon nous, le début de ce nouveau cycle. 

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