Performance absolue

Quelles stratégies privilégier en 2015 ?

Publié le 27 février 2015 à 10h48    Mis à jour le 25 mars 2015 à 10h48

Propos recueillis par Catherine Rekik

L’année 2014 s’est avérée difficile pour certaines stratégies de performance absolue. Funds s’interroge sur les raisons et sur le comportement des fonds de performance absolue l’an dernier. • La difficulté des gérants à générer une performance positive a-t-elle entraîné une moindre appétence des investisseurs pour ce type de fonds ? • Que peut-on attendre pour 2015 ? • Pourquoi s’intéresser aux fonds de performance absolue ? • Quel rôle jouent ces fonds dans un portefeuille ? • Comment sont-ils gérés ?

Quelles sont les stratégies qui se sont le mieux comportées ? Celles qui ont le plus attiré les investisseurs ?

Tarek Issaoui, responsable des solutions flexibles, THEAM,

2014 a été une année de transition durant laquelle nous avons vécu avec l’idée que la Fed allait changer de régime et cesser d’être le grand pourvoyeur de liquidités. Un certain nombre de tendances sur les marchés actions ou les marchés de taux ont commencé à être discutées. Pour les gérants, cela s’est traduit par des performances plus contrastées sur la deuxième partie de l’année. Certains segments comme le high yield ont particulièrement soufferts. L’environnement a été plus difficile pour des fonds investis de façon plus systématique dans le marché, mais plus porteur en ce qui concerne les fonds de performance absolue. Sur la deuxième partie de l’année, certains

hedges funds macro ont renoué avec la performance. En 2015, dans un contexte de taux très bas et de primes de risque tendues, nous avons le sentiment que les investisseurs commencent à se tourner vers des solutions plus alternatives. Ils sont contraints de reconsidérer des offres de placement qui s’orientent plus vers une gestion de performance absolue.

Abdallah Guezour, gérant et responsable dette émergente, Schroders,

Nous avons constaté l’an dernier un grand intérêt pour notre fonds de dette émergente absolute return avec une collecte de plus de 1 milliard de dollars en provenance notamment d’investisseurs institutionnels qui délaissent les stratégies classiques plus benchmarkées pour aller sur des stratégies plus flexibles. Ce basculement s’explique par les éléments qui ont été mentionnés précédemment, mais aussi par la grande différenciation de performance existant entre les actifs et les différents pays. Certains pays ont eu de bonnes performances sur leurs marchés actions et obligataires en 2014, mais d’autres sont en crise.

L’environnement macroéconomique est propice à cette recherche de différenciation. Nous avons vécu ces dernières années dans un environnement de liquidités abondantes, avec un «bull market» généralisé et une forte corrélation à la hausse des actifs. Depuis 2014, les liquidités injectées par la Fed, dont sont dépendants certains pays, sont moins importantes. Les pays ayant des fondamentaux solides résistent mais d’autres sont plus vulnérables. Les investisseurs sont à la recherche d’actifs ou de pays capables de résister dans un environnement de liquidités plus faibles et de remontée des taux américains.

Fabrizio Quirighetti, gérant et CIO, SYZ AM, Oyster,

Je suis convaincu qu’il y a encore de la valeur dans le segment obligataire mais, dans un environnement de rendements faibles, des approches «buy and hold» ou plus «benchmarkée» n’ont pas grand intérêt. Mieux vaut privilégier une gestion flexible, non indicielle, qui permet de gérer activement le niveau d’exposition et d’avoir différentes classes d’actifs à disposition. Exemple : si on pense que les taux vont continuer de baisser, plutôt que d’être uniquement exposé aux obligations à long terme, on peut imaginer trouver des solutions qui offrent un meilleur rapport risque/rendement telles que des actions à haut dividende ou des valeurs foncières.

Par ailleurs, nos clients souffrent généralement tous de ce que nous pouvons appeler une «illusion monétaire». Ils ont, en effet, été habitués à des rendements élevés dans un monde où l’inflation était également plus élevée. Il y a dix ans, les taux étaient plus hauts, mais le rendement réel était plus faible qu’aujourd’hui. Autre erreur classique : penser que le coût d’opportunité de ne pas investir dans une obligation à long terme est égal à son rendement à maturité (par exemple, 0,6 % aujourd’hui sur l’OAT 10 ans). Si les taux restent relativement stables et que la duration est gérée de manière active via des stratégies de «roll down», il est possible de générer plus que cela. Au cours des quinze dernières années, les taux des obligations japonaises ont peu varié, mais les performances des indices gouvernementaux japonais sur trois ans glissants au cours de cette période ont souvent été supérieures à 3 % annualisés et n’ont presque jamais été négatives.

Les devises sont également devenues des éléments importants dans notre palette d’actifs, notamment dans une optique de protection. La Chine inquiète les investisseurs, mais comment se protéger contre ce risque éventuel ? Via la devise chinoise (CNH), qui a l’avantage d’être peu volatile puisqu’elle est arrimée au billet vert. Par conséquent, en cas d’accident de la croissance, nous pouvons raisonnablement imaginer que le gouvernement chinois ne voudra certainement pas que sa devise s’apprécie d’avantage contre un dollar qui est lui-même en phase ascendante. Il est donc possible de trouver des moyens de couvrir des risques inhérents à certaines parties du portefeuille (actions ou rendements fixes) via des stratégies optionnelles sur devises (coûts moindres, meilleure liquidité et important levier).

 

Cédric Baron, senior fund manager, Lyxor AM,

L’année 2014 a été marquée par un rebond des marchés obligataires alors que les investisseurs anticipaient une remontée des taux. Les marchés ont été volatils l’an dernier et cela devrait continuer en 2015. Clairement, une stratégie «buy and hold» ne suffira pas pour réaliser de la performance cette année. Les allocations réellement flexibles offrant la capacité de passer d’une classe d’actifs à une autre en fonction des opportunités de marché seront certainement plus payantes. Des opportunités pourraient se présenter par exemple sur les matières premières qu’il faudra être capable de saisir. Il faut par ailleurs habituer les clients à attendre des niveaux de rendements autres que ceux qu’ils ont connus ces dernières années.

 

François Bocqueraz, directeur de la sélection de fonds et de la due diligence, Amundi Alternative Investments,

Il est utile de rappeler que la flexibilité ne crée pas de valeur en soi : elle libère simplement les opportunités en affranchissant la gestion de la contrainte du benchmark et de son choix. Autrement dit, comme évoqué ici par mes pairs, la flexibilité des fonds de performance absolue autorise souvent une meilleure diversification des sources de rendement et la mise en œuvre de gestions de conviction au risque parfois d’une moindre lisibilité des produits. Egalement, les gestions alternatives, de performance absolue ou multi-asset n’ont pas toujours eu en 2014 des résultats à la hauteur des attentes des investisseurs et de leurs promoteurs, cela malgré un intérêt accru des clients pour ce type de fonds. Par exemple, les hedge funds ont pu être pris à contre-pied sur certaines thématiques de marché qui, sur le plan macroéconomique ou des fondamentaux d’entreprise, étaient raisonnables et attendues à défaut de se réaliser. Les résultats sont ainsi très hétérogènes. Dans le cas particulier des stratégies global macro, il y a eu des choses très intéressantes sur les périphériques et les marchés émergents au regard de la volatilité et de la différenciation auxquelles nous avons assisté. 2014 aura par contre été source de surprises sur certains marchés développés, au premier rang desquelles on notera par exemple des attentes déçues sur les actions japonaises et le yen sur le premier semestre et, surtout, des paris de duration (short) très coûteux sur les taux long US.

Nous ne garderons de 2014 que la gestion de performance absolue n’est pas aussi dynamique (ou tout du moins aussi régulière) qu’elle pourrait le laisser présager ; elle n’est également pas exempte de chocs ou de positionnements pris à contre-pied.

L’année 2014 a-t-elle été atypique en termes de gestion ?

François Bocqueraz

En termes de gestion, l’année n’a pas été particulièrement atypique, mais nous avons eu droit à notre traditionnel lot de surprises, dont la poursuite de la baisse des taux souverains, la déception sur la croissance mondiale et les craintes de déflation qui lui sont liées, la correction très importante sur le secteur de l’énergie. Si, au cours des dernières années, on avait beaucoup parlé de la succession de brefs épisodes «risk on» et «risk off», l’environnement de gestion en 2014 aura plutôt été marqué par une forte dichotomie entre le premier et le second semestre, ce dernier voyant un fort accroissement de la volatilité avec parfois des corrections considérables. Cependant, avec un niveau de levier globalement faible dans les portefeuilles et une bonne liquidité, les gérants alternatifs étaient généralement bien protégés. Par ailleurs, quelques mouvements importants comme la forte appréciation du dollar américain ces six derniers mois sont à garder à l’esprit ; un pari lisible et profitable sur lequel il y a aujourd’hui risque de surchauffe. Nous nous attendons d’ailleurs à voir une certaine rotation, une plus grande différentiation sur les devises et sur certains marchés de taux. Au-delà de la flexibilité, j’insisterais surtout sur l’importance de la vélocité des ajustements dans un portefeuille de performance absolue, cela afin de profiter au mieux de ces changements de tendance.

Cela dit, il y a de nombreuses raisons d’être positifs pour 2015 : une moindre corrélation entre des classes d’actifs et à l’intérieur de celles-ci et une volatilité modérée devraient générer des opportunités. Le contexte est par exemple intéressant pour les stratégies d’arbitrage, notamment de taux d’intérêt. Aussi ce regain de volatilité va-t-il conduire nos gérants à être plus véloces, plus actifs et à déployer plus largement des stratégies de type optionnelles, afin de protéger leurs portefeuilles.

 

Abdallah Guezour

La gestion flexible et les stratégies macro n’ont pas été porteuses en 2014. Une des raisons, que l’on constate aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents, est l’explosion de la liquidité globale. Les marchés ont été plus ou moins manipulés. Cette politique monétaire laxiste a contribué à éclipser un certain nombre de problèmes. Des pays mal gérés, très endettés et avec des déficits importants ont eu de belles performances grâce à cette avalanche de capitaux. Mais, depuis l’an dernier, nous avons constaté que le risque pays revenait. Nous commençons à voir de nouveau de la différenciation. Comme le dit Warren Buffet : «Quand la vague de liquidités commence à se retirer, on découvre qui se baigne sans maillot de bain !» Nous allons revenir à une période comme celle que nous avons connue dans les années 1990, avec des minicycles de crises à répétition qui peuvent être très localisées ou générer de la contagion. Cela crée énormément d’intérêt pour les gestions actives.

 

Tarek Issaoui

En tant que gérant, je constate que la tâche est moins aisée aujourd’hui, non pas parce que les tendances sont moins lisibles, mais parce que la lecture du risque est perturbée par les actions des grandes banques centrales. Cela se traduit par un paysage de risques compliqué à interpréter. Prenons l’exemple de la parité euro/franc suisse : il n’était pas possible de lire le risque ex ante juste sur une considération de statistiques. Il est difficile pour un gérant de dimensionner le risque et de construire un portefeuille susceptible de traverser toutes les phases de marché.

Sur la question des stratégies qui performent mieux que d’autres, il y a une hétérogénéité très forte des fonds de performance absolue et des fonds flexibles liée au fait qu’il y a autant de manières de faire une performance absolue que de gérants. Sur ce spectre-là, certains gérants sont plus ou moins passifs et ont recours plus fréquemment que d’autres à des stratégies de carry. Si un client tente de déterminer quels sont les meilleurs fonds, il va regarder la performance des trois dernières années. Cette performance est mécaniquement meilleure pour les fonds qui ont eu recours à des stratégies de carry. Or, ces stratégies ne sont peut-être pas celles qui vont fonctionner dans les prochains mois. Le client doit regarder d’où vient la performance du fonds qu’il a choisi et s’il y a véritablement de la flexibilité.

 

Cédric Baron

En 2014, de nombreux investisseurs ont joué les mêmes thèmes, notamment sur des stratégies dites de «portage». Ces stratégies présentent des profils vendeurs de volatilité procurant un rendement positif dans la plupart des configurations de marché et permettant de se retourner très fortement à certains moments, entraînant des pertes bien plus importantes que les gains précédemment encaissés. Ces pertes potentielles sont d’autant plus importantes que ces stratégies sont «surjouées» par les investisseurs. En gestion alternative, certains fonds ont souffert l’an dernier car ils ont été surpris par la rotation sectorielle de mars/avril et l’impact de la remise en cause des deals de «tax inversion». La volatilité permet de mesurer en moyenne les variations des cours, mais elle n’est pas une bonne mesure pour appréhender l’impact de ces risques extrêmes résidant dans certaines stratégies, surtout lorsqu’elles sont surjouées par le marché comme en 2014.

Fabrizio Quirighetti

La flexibilité ne suffit pas. Il faut aussi de la diversification en termes de risque, mais également d’instruments à disposition. Ces deux conditions, dans un cadre clairement défini en termes de budget de risque et d’objectif de performance, donnent la possibilité aux gérants qui en ont la capacité de s’adapter. Il faut arrêter de faire le procès des stratégies absolute return dont l’objectif de rendement n’est justement pas fixé à un indice. Dans l’ensemble, les fonds de performance absolue ne se sont pas si mal comportés. Certaines performances ont été décevantes (à l’instar de n’importe quel ensemble de comparaison : est-ce que tous les gérants actions ont bien fait l’année passée ?), mais le niveau de risque au sein de ses stratégies a globalement bien été géré.

Comme dans n’importe quelle catégorie de fonds, la capacité du gérant à s’adapter, à bien lire le marché et à être opportuniste est fondamentale. A mon avis, il n’existe pas de recette miracle ou triviale qui permette, indépendamment du contexte, de toujours générer du rendement absolu.

 

Tarek Issaoui

Certes, mais il y a des solutions de facilité qui ont bien fonctionné.

 

Fabrizio Quirighetti

Elles ont marché par le passé, mais cela ne donne aucune garantie quant à leur succès futur.

Abdallah Guezour

Dans la catégorie des fonds de performance absolue, il y a quand même une certaine homogénéité en termes d’objectifs. Ces stratégies délivrent en effet deux objectifs : la préservation du capital et l’optimisation des rendements.

 

Est-ce que ces deux objectifs ne génèrent pas trop d’attentes chez les clients ?

Cédric Baron

De façon générale, les clients regardent principalement la performance des marchés actions. Or, c’est une erreur de comparer cette performance avec celle des fonds de performance absolue qui cherchent à atteindre un rendement décorréllé de celui des marchés traditionnels. Ils vont s’exposer à d’autres facteurs de risque, sans doute moins lisibles pour les investisseurs mais qui apportent de la décorrélation par rapport à un marché actions ou obligations. Il est difficile d’attendre de ces fonds qu’ils surperforment dans toutes les configurations de marché et qu’ils apportent de surcroît de la décorrélation au sein d’un portefeuille. Les fonds de performance absolue réalisent des rendements souvent bien meilleurs que les fonds actions lorsque les marchés actions souffrent, il est donc assez naturel qu’ils puissent sous-performer dans certaines configurations de marché très favorables aux actions.

François Bocqueraz

En effet, n’oublions surtout pas que nous avons connu un «bull market» presque ininterrompu depuis six ans et que l’essentiel des actifs risqués ont montré une très forte corrélation. Or, la gestion alternative, telle que nous la concevons, consiste dans son essence à prendre le minimum de directionnalité, quelle qu’elle soit, ou tout au moins à savoir faire varier opportunément la collection de beta en portefeuille pour un objectif de moyen terme de forte decorrélation. Les promesses des stratégies de gestion alternative doivent aussi s’évaluer au regard des objectifs qui sont les leurs et de bases de comparaison légitimes et réalistes, en l’absence le plus souvent d’un benchmark crédible sur lequel s’appuyer. Ceci se comprend d’autant plus facilement qu’il n’y a absolument pas d’homogénéité dans les styles de gestion, risques pris et positionnements des gérants de hedge funds.

 

Abdallah Guezour

Tout dépend encore une fois des attentes des investisseurs. Nous recommandons constamment à nos clients de juger sur l’objectif de préservation de capital et l’objectif de rendement qui a été défini sur un cycle de marché. Il est aussi important pour un client de tester un fonds avec un long track record. Beaucoup de fonds dits «alternatifs» ou «absolute return» sont en fait positionnés comme des fonds indiciels assez classiques qui marchent bien dans un «bull market», avec des drawdowns considérables en cas de retournement des marchés. Ce qui génère d’importantes pertes de crédibilité.

Les clients institutionnels, les banquiers privés ou les family offices l’ont assez bien compris. Nous assistons à une forte demande pour des gestions plus simples que celles qui ont perdu leur crédibilité en 2008 ou les produits structurés. Il y a beaucoup de nuages à l’horizon, ce qui incite les investisseurs à privilégier des produits transparents et liquides, des positions qui peuvent être débouclées rapidement.

 

Tarek Issaoui

Les phases de turbulence des marchés financiers peuvent s’avérer être des moments d’opportunités pour les fonds de performance absolue. En ce qui concerne l’attente des clients, je constate que sur les fonds de performance absolue il y a cette idée presque magique que le gérant est capable de fournir une bonne performance chaque année. Si ce gérant a une performance égale à 0 sur une année, les clients s’interrogent. Or, quand un gérant «benchmarké» réalise la performance de son indice de référence, la pression est moins forte. Il y a donc une forte exigence envers les gérants de fonds de performance absolue.

Par ailleurs, il n’existe pas de blockbusters Ucits dans cette catégorie de fonds en France, alors qu’il existe plusieurs fonds flexibles avec des encours supérieurs à 15 milliards d’euros. Cette absence de success story rend difficile l’identification de cet univers très émietté.

Cédric Baron

Si un gérant actions dégage une performance légèrement inférieure à son indice de référence lorsqu’il gagne 20 %, cela ne pose pas de problème au client. Avec les stratégies d’absolute return qui ont pour objectif de battre le taux de cash, une sous-performance du même ordre que celle réalisée par le gérant actions sera très mal perçue, puisque la performance absolue sera faible. Cet effet est amplifié actuellement avec un taux eonia à 0 %. 

 

Fabrizio Quirighetti

Ce sont aussi les rendements nuls offerts sur les dépôts à terme (voire négatifs dans certains pays, dont la Suisse) qui poussent certains investisseurs, notamment privés, vers les fonds de performance absolue. Cela génère des flux importants mais, paradoxalement, pour les gérants absolute return, un taux à 0 % constitue un problème, puisque détenir du cash en portefeuille équivaut à une performance nette négative. Cela oblige donc les gérants à être constamment investis et à trouver des solutions au travers de paris décorréleés pour tenter de délivrer, au final, un rendement positif tout en maintenant la volatilité sous contrôle.

 

Abdallah Guezour

Il y a deux types d’investisseurs : ceux qui veulent allouer à de l’absolute return ou à de l’alternatif quelles que soient les stratégies et ceux qui ont déjà choisi entre actions, obligations ou commodities, etc., pour créer un peu de décorrélation par rapport à des fonds classiques. C’est ce type d’allocation que nous avons vu s’accélérer ces dernières années dans le fixed income, notamment aux Etats-Unis. Il y a deux raisons à cela : la recherche de rendement et le retour du risque macro qui induit plus de sélectivité, surtout dans les pays émergents.

Les fonds de performance absolue une alternative aux fonds obligataires ?

Tarek Issaoui

Je constate surtout qu’il y a, depuis un an, une recherche du rendement sous forme de coupon, comme si le fait de verser un dividende offrant un rendement de 3 %, bien plus élevé que celui du taux sans risque, était une bonne chose en soi sans regarder la variation du prix de l’actif. Il y a une forme de risque, non pas au niveau de la gestion, mais en termes de «service après-vente». Les clients pourraient réfléchir selon une seule logique buy and hold sans voir la variation des prix.

Abdallah Guezour

Tant qu’il y a une stabilité dans les marchés financiers et qu’il n’y a pas de forte perte sur le capital, tout va bien. Mais tous les coupons accumulés ces dernières années peuvent disparaître en un jour en cas de violent retournement des marchés. La situation est inquiétante car beaucoup de fonds ont été lancés sur cette thématique et ont attiré des flux importants. Tout est une question d’attente des investisseurs : lorsqu’ils investissent dans ces produits, savent-ils vraiment ce qu’ils achètent ?

Fabrizio Quirighetti

Les investisseurs tendent également à oublier l’équilibre général nécessaire au sein d’un portefeuille. Si le portefeuille comprend des actions, des obligations et du cash, le remplacement des fonds obligataires par des fonds de performance absolue va entraîner un déséquilibre qui sera surtout perceptible dans une phase de marché difficile. Même si les emprunts d’Etat ne rapportent plus grand-chose, ils ont au moins permis ces dernières années de réduire la volatilité totale des portefeuilles. Les obligations ont certes moins d’attrait en termes de rendement mais elles restent, pour l’instant, toujours attractives en termes de diversification du portefeuille.

 

François Boqueraz

Il est vrai que certains investisseurs, notamment institutionnels, tels que les assureurs, ont pu procéder dans un contexte de recherche de rendement à des modifications significatives dans la structure de leurs portefeuilles, y compris parfois au profit des gestions de performance absolue. Je ne crois cependant pas que ces dernières aient été indistinctement ou de manière élusive présentées comme des solutions alternatives à l’obligataire. Si cela a pu être le cas, il est alors impératif de rappeler que les fonds de performance absolue ne sont pour la majorité d’entre eux absolument pas conçus comme des produits de substitution ou de rente ! Pour la gestion alternative que je représente, les moteurs de performance et leurs comportements historiques dans les cycles haussiers et baissiers sont autant de facteurs qui les différencient des fonds obligataires, en particulier ceux constitués essentiellement de «govies». Dans une perspective de long terme, c’est donc moins sur une cible de rente que sur un objectif de préservation du capital que l’on pourrait faire un corollaire éminemment imparfait entre gestions alternatives et fonds obligataires souverains.

 

Cédric Baron

Les investisseurs peuvent en effet être tentés de faire un raccourci rapide, car ces fonds de performance absolue peuvent avoir un objectif de rendement proche de ceux de rendements obligataires à long terme. Mais les risques sous-jacents et les vertus diversifiantes de ces deux actifs au sein d’un portefeuille sont très différents.

Quel est le rôle d’un fonds de performance absolue dans un portefeuille ? Comment choisir dans un univers aussi varié ?

François Bocqueraz 

Il n’existe évidemment pas de réponse universelle pour tous. Tout dépend de l’objectif de l’investisseur, de ses contraintes et préférences en termes de sensibilité aux actifs risqués, de la possibilité ou non d’avoir recours à des stratégies d’investissement illiquides… Dans notre dialogue avec nos investisseurs, nous cherchons à déterminer l’équilibre optimal pour le client entre exigences en termes d’appréciation du capital et tolérance maximale au risque de pertes, en particulier en termes de positionnement sur des stratégies d’investissement pouvant utiliser l’effet de levier et/ou les ventes à découvert, parfois généreusement. Dans un marché difficilement lisible, à la vue de la multitude des offres de performance absolue, face à la complexité de certaines d’entre elles, peut se concevoir le choix de la délégation d’allocation, celle-ci étant prise en charge par un gérant dont c’est le seul et unique métier.

 

Mais pourquoi choisir un fonds absolute return et non pas un fonds flexible, par exemple ?

Tarek Issaoui

La frontière entre les fonds flexibles et les fonds «absolute return» peut être assez floue, mais ces derniers doivent être capables de gagner de l’argent dans des phases de marché baissières, voire dans des phases où tous les actifs du monde baissent. Les fonds de performance absolue doivent être capables d’être long et short. Dans un environnement de baisse des marchés actions et de remontée des taux – ce qui pourrait arriver –, beaucoup de fonds flexibles risquent de souffrir. Ils apportent plus de dynamisme dans des environnements où une classe d’actifs va mieux fonctionner qu’une autre. Dans un environnement baissier, les fonds de performance absolue figurent parmi les mieux placés pour dégager de la performance. Cependant, il est souvent très difficile de trier le bon grain de l’ivraie et de voir quel est le processus mis en œuvre dans le fonds.

Cédric Baron

Pour qu’un fonds flexible puisse délivrer de la performance absolue, il faut qu’il y ait une décorrélation entre certains des actifs détenus au sein du portefeuille, en particulier entre actions et obligations.

 

 

Abdallah Guezour

Nous venons de connaître une longue période de baisse des taux. Rien ne dit que, dans un contexte de remontée des taux, nous n’allons pas connaître des chamboulements importants. Il y a même une probabilité assez forte que nous entrions dans un «bear market» sur l’obligataire dans les prochaines années. Quel sera alors le comportement des allocataires d’actifs ? Il y aura une focalisation sur la protection du capital. Ce sera sans doute une thématique dominante à l’avenir. Cette avalanche de capitaux qui a déferlé sur les taux ces dernières années va devoir transiter vers un autre type de produits. Les gestions flexibles et alternatives focalisées sur la préservation du capital vont revenir à la mode. Nous sommes au début de ce mouvement.

 

François Bocqueraz

Les niveaux de valorisation des actifs risqués sont tels que les investisseurs, au moins les institutionnels, se posent tous les jours la question de savoir ce qu’il faut faire dans ce contexte de risque de rotation et de possible «bear market» obligataire. Les fonds de pension britanniques sont par exemple tous en déficit malgré le rallye que nous avons connu sur les marchés financiers, l’absolute return prend alors tout son sens : conserver les gains acquis ces dernières années, viser la continuation de l’appréciation du capital sur la durée, éviter les retournements. Ce style de gestion est sur le moyen terme le plus à même de contenir l’effet des pics de volatilité et de corrélation que nous avons pu constater en 2014 et que nous devrions voir encore dans un avenir proche.

 

Fabrizio Quirighetti

Dans un scénario de hausse des taux, les obligations vont clairement souffrir, puis ce sera le tour d’autres actifs risqués. N’oublions cependant pas que le cash peut être une classe d’actifs intéressante. La diversification ne garantit pas une performance absolue, mais c’est une condition minimum ! En outre, il faut aussi considérer la possibilité que les taux ne remontent pas et que nous entrions dès lors dans un scénario à la japonaise, avec des taux bas pendant une très longue période. Dans ce cas, le cash et les obligations ont, peut-être, encore de beaux et longs jours devant eux.

 

François Bocqueraz

Les fonds de performance absolue, en particulier les hedge funds, ne constituent pas uniquement un moyen vers une diversification optimale entre les classes d’actifs risqués et le cash. Ils représentent aussi et surtout une source de diversification manifeste dans la richesse et la diversité de leurs stratégies d’investissement, les processus de gestion qui en découlent et les techniques qu’ils emploient. Les hedge funds ont un objectif structurellement différent de celui d’une gestion flexible traditionnelle. Nous avons beaucoup évoqué les similitudes entre global macro, fonds flexibles et fonds de performance absolue ; on en vient à oublier que certains styles de gestion comme l’arbitrage pur reviennent progressivement dans un contexte de possible remontée de taux et surtout de volatilité plus importante. Ces stratégies vont enfin recréer de la performance après des années de relative traversée du désert. On notera, en dehors de tout lien avec la gestion flexible, des opportunités certaines sur des classes d’instruments moins «standards» mais ouverts aux institutionnels, avec typiquement des stratégies d’investissement alternatives «buy and hold», non «hedgées» et moins liquides, comme le financement direct représenté par les placements de dette privée.

 

Cédric Baron

Le spectre des fonds de performance absolue est très large et couvre un grand nombre de stratégies. Il peut donc être intéressant de privilégier une stratégie plutôt qu’une autre en fonction de l’environnement, tout en conservant cet objectif de performance décorrélée. Typiquement, des stratégies très liquides comme les CTA n’ont pas bien fonctionné pendant quelques années, mais présentent à nouveau de très belles performances depuis deux ans.

 

François Bocqueraz

En effet, l’attrait de la performance absolue se fait bien également sur la pluralité des processus de gestion. On notera, d’une part, le bon comportement des CTA – le trading systématique sur base de modèles de gestion quantitatifs –, et, d’autre part, quelques inquiétudes sur les stratégies de type «event driven», sur les arbitrages de fusions-acquisitions ou sur l’arbitrage de convertibles. Il demeure que certaines turbulences de 2014 constituent les opportunités de 2015.

Quelles stratégies vous semblent les mieux adaptées au contexte actuel ?

Tarek Issaoui 

Les clients doivent avoir conscience que nous sommes dans un environnement risqué, que les recettes faciles de ces dernières années sont sans doute érodées et qu’il y a un besoin de diversification vers d’autres fonds. C’est dans cette optique qu’il faut réfléchir et non pas tenter d’aller se positionner sur une classe d’actifs ou un marché en particulier. Même dans un monde durablement calme, les recettes «faciles» sont érodées en raison de la faiblesse des taux.

 

Abdallah Guezour

Je considère qu’il est préférable d’investir dans des actifs et des marchés sur lesquels le risque s’est déjà matérialisé. On dit que la crise apporte le changement, et certains pays émergents l’ont bien compris. Certains ont procédé à des ajustements significatifs, ce qui a créé quelques poches de valeurs ici et là. Prenons l’exemple du Brésil qui, après avoir été une des destinations favorites des investissements pendant des années, est aujourd’hui complètement ignoré avec la récession économique et les scandales de corruption. Les valorisations de certains actifs brésiliens commencent à devenir très intéressantes : les obligations rapportent du 12 ou 13 %, alors que la dette rapportée au PIB n’est pas énorme et, en tout cas, moins importante que ce que nous avons connu dans les années 1990. De nombreux changements budgétaires et fiscaux sont en train de s’opérer dans ce pays. Il y a dans certains de ces marchés émergents des sources de performance intéressantes pour les prochaines années.

 

Tarek Issaoui

Nous avons choisi une diversification sur les classes d’actifs et sur les styles. En pratique, nos fonds sont des assemblages de plusieurs sous-styles qui vont sur des stratégies de court terme ou de moyen/long terme. Ces assemblages permettent normalement d’atteindre plus de stabilité, quel que soit l’environnement de marché, et de ne pas être lié à un certain style qui pourrait connaître une phase compliquée pendant quelques mois. Il n’existe ainsi pas de phase de marché privilégiée pour investir dans ce type de fonds.

 

Cédric Baron

C’est bien ce que les clients recherchent avec l’absolute return : ne pas se demander si le timing est le bon et avoir une performance positive en tout temps.

Notre démarche cumule différentes stratégies : notre allocation stratégique se fonde sur une technique de diversification par les risques que nous adaptons à l’environnement de marché à l’aide d’analyses macroéconomiques et de suivis de tendances pour gagner en flexibilité. Le tout se fait dans un univers long only et dans un cadre de volatilité contrôlée.

Fabrizio Quirighetti

Nous avons une approche multi-asset avec la préservation du capital comme objectif premier. Dans un cadre bien défini, sécurisé et sans levier, je dispose d’une palette complète d’actifs pour atteindre un rendement réel positif quelles que soient les conditions de marché. La décision d’investir ou non sur tel ou tel actif, et dans quelles proportions, m’appartient.

A ce propos, le resserrement à venir de la politique américaine me préoccupe car, si la Fed remonte suffisamment les taux et que l’on retrouve donc du rendement sur du cash ou des proxy du cash en USD, cela va agir comme une sorte d’aspirateur sur les autres classes d’actifs avec un risque de corrélation non négligeable entre les actifs. En effet, beaucoup de flux qui se sont déversés dans des obligations high yield, des actions à haut dividende ou d’autres stratégies palliatives au «faible rendement» pourraient revenir simplement vers des fonds monétaires américains. De tels flux feraient fi de la sélectivité au sein de la classe d’actifs et pourraient ainsi mettre à mal aussi bien les stratégies d’arbitrage que certaines gestions multi-asset trop peu flexibles ou trop quantitatives.

 

François Bocqueraz

Notre approche se veut également «all weather», à ceci près que nous avons à cœur de viser généralement une appréciation du capital supérieure à 5 % l’an sur un cycle. Notre démarche est donc opportuniste et très active, au sens où elle combine la diversité des stratégies alternatives liquides à la flexibilité apportée par nos ajustements tactiques d’allocation. Nous croyons profondément aux gestions long/short, market neutral et relative value. Aujourd’hui, la rotation entre les classes d’actifs ou entre les secteurs peut être violente et seule une gestion prudente, long et short, des expositions directionnelles peut réellement en tirer profit et/ou viser à préserver le capital. Je ne crois donc pas qu’il soit possible aujourd’hui d’offrir des produits raisonnablement diversifiés et solides de performance absolue sans passer par une gestion de type relative value. Par ailleurs, les niveaux de volatilité sont intéressants, on peut par exemple souhaiter se positionner dynamiquement sur des paris de décompression au regard de spreads particulièrement bas sur les marchés obligataires. Enfin, la génération de performance est désormais possible sur le «fixed income RV» traditionnel, ce qui n’était pas le cas ces dernières années.

 

Tarek Issaoui

Ces produits peuvent faire parfois peur aux clients, car ce sont des paris qui impliquent plus de levier. Ces fonds s’adressent en priorité à des investisseurs institutionnels, certaines autorités n’autorisant pas la vente de ces produits aux particuliers. Ces fonds nécessitent un niveau de compréhension important.Le défi ne consiste pas tant à faire de la performance qu’à l’expliquer.

 

François Bocqueraz

En effet, l’effort d’explication, l’accompagnement permanent de nos investisseurs, y compris les plus sophistiqués, ont une place très importante dans notre quotidien. Notre maison a fait le choix du modèle de la multigestion : c’est le rôle du multigérant d’assumer le risque technique et de l’expliciter ensuite aux clients, qu’ils soient institutionnels ou particuliers. Certaines stratégies ne sont d’ailleurs pas compatibles au format Ucits, mais peuvent être incorporées dans des fonds sous le label AIFM pour la clientèle institutionnelle. 

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