«La crise du logement !»

Publié le 4 avril 2014 à 16h27    Mis à jour le 25 août 2014 à 18h09

Arnaud Simon

par Arnaud Simon, Maître de conférences, DRM-Finance, université Paris-Dauphine, Directeur scientifique MeilleursAgents.com

«C’est la crise !» La crise en général, chaque jour répétée. Regardons-la dans un cas particulier : la crise du logement, et cela en rappelant quelques chiffres étrangement mal connus.

En ce qui concerne le parc immobilier, le nombre d’unités d’habitation a évolué entre 1984 et 2011 de 24,9 à 33,8 millions, soit + 36 %. Sur cette même période, la population française n’a évolué que de + 15,6 %. Le nombre de logements vacants est passé de 9,3 % à 8,6 %, le nombre de logements sociaux de 16,3 % à 18,4 %. Sur la même période, le taux de propriétaires est passé de 51 % à 58 %. A l’intérieur de cette population, les non-accédants (ménages n’ayant plus de prêt immobilier) représentaient 53,7 % en 1984, ils sont 68,3 % aujourd’hui. Sept propriétaires sur 10 ne remboursent plus de prêt immobilier actuellement.

La surface des biens a pour sa part évolué entre 1999 et 2011 de 97 à 102 m² pour les maisons, celle des appartements restant constante à 62 m². Le nombre de personnes par logement est passé de 2,5 à 2,35. La surface moyenne par individu est de 36,1 m².

Enfin, les loyers ont augmenté entre 1998  et 2011 pour les locataires restant en place de 1,8 % par an, alors que les prix évoluaient de 11,6 % par an ; les locataires ont donc été protégés contre cette hausse.

Avec de tels chiffres, pourquoi cette croyance en une crise du logement généralisée existe-t-elle ? Le terme important est ici «généralisée». La fondation Emmaüs définit le mal-logement par différentes rubriques, mais les deux plus importantes sont la privation de confort (2,1 millions de personnes) et le surpeuplement (4 millions). Ces situations concernent 10 % de la population française et représentent un enjeu majeur de politique publique.

Mais l’objet du présent article est ailleurs. Son sujet est de comprendre pourquoi ce discours de «La crise du logement !» est si populaire, alors que le caractère général de cette crise n’est pas valide. Hormis les situations recensées par la fondation Emmaüs, les français sont plutôt bien logés, et dans des situations patrimoniales très confortables pour 41 % d’entre eux (les propriétaires non accédants).

Comment une telle idée peut-elle alors perdurer ? Cette idée ne se soutient en fait que d’un seul chiffre, très connu, qui a pour effet détestable d’occulter les autres éléments : les prix immobiliers ont crû de 158 % depuis 1996.

Trois facteurs principaux expliquent ce mouvement : l’augmentation de l’espérance de vie, la baisse régulière des taux depuis 1990, mais surtout la décision des «baby-boomers» de mettre en œuvre une stratégie du «devenir propriétaire à tout prix, au cas où les retraites ne seraient plus assurées, pour ainsi, au moins, ne plus avoir de loyer ou de prêt à payer à la retraite». Dixit. Et sur ce dernier point : mission accomplie ! Pour 41 % des Français du moins…

Quelles en sont les conséquences ? Un clivage social, classiquement. Mais surtout, la fermeture du club des propriétaires aux jeunes générations, sauf à avoir un appui familial. Un clivage générationnel, donc.

La fonction du discours centré sur «La crise du logement !» est d’empêcher de poser le problème en termes d’égalité générationnelle. Ses deux techniques d’occultation sont d’une part la réduction du débat aux problèmes, réels, du mal-logement ; et d’autre part l’ignorance des statistiques immobilières autres que le prix du mètre carré.

Nous terminons en posant trois questions, dont les réponses peuvent être pressenties. Quel est le taux de propriétaires chez les retraités ? Comment a évolué le taux de primo-accédants depuis vingt ans ? Quel sera l’effet sur les prix des ventes immobilières issues des héritages, sur les 10-20 ans à venir, dans ce contexte de papy-boom ? Ces questions sont simples, l’étonnant c’est qu’on ne les pose pas. Il est vrai que la richesse immobilisée dans l’actif immobilier, soit 6 000 milliards d’euros, ne compte pas vraiment… après tout, c’est le hors-bilan du particulier !

Arnaud Simon

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