La négociation à haute fréquence : qui sont vraiment les Flash Boys ?

Publié le 17 avril 2015 à 17h35

Carole Gresse

Depuis le début des années 2000, la négociation assistée par ordinateur ou trading algorithmique, qui consiste à utiliser des algorithmes électroniques pour négocier en Bourse, s’est énormément développée pour atteindre 51 % des volumes d’échange en actions aux Etats-Unis et 39 % en Europe en 2012 selon Tabb Group. Certains de ces algorithmes sont conçus pour placer en Bourse un très grand nombre d’ordres dans des laps de temps extrêmement courts, de l’ordre de la milliseconde, voire de la microseconde. On parle alors de négociation à haute fréquence, souvent désignée sous l’acronyme HFT pour high-frequency trading ou high-frequency traders. Le HFT est, depuis quelques années, au cœur de débats animés sur son utilité effective pour les marchés et sur les dangers qu’il peut représenter pour leur efficience, pour leur stabilité et pour l’équité des échanges. Pour certains, le HFT n’est qu’un mode de négociation plus rapide mais ne change pas les stratégies employées et le fonctionnement structurel du marché. Pour d’autres, le HFT combiné à la fragmentation des échanges entre plateformes multiples contribue à changer les règles du jeu et les équilibres sur les marchés. Ce débat assez technique a été porté à la connaissance du grand public en 2014 par le livre «Flash Boys» de Michael Lewis. Le livre décrit l’essor du HFT dans un style journalistique et romancé, et défend l’idée que la vitesse d’intervention ultra-rapide des HFT leur permettrait de «truquer» le marché aux dépens de l’investisseur final. Au-delà du romanesque et de l’émotionnel, qu’en est-il vraiment ? L’émergence de la négociation algorithmique et du HFT a-t-elle été bénéfique ou néfaste pour les marchés ?

La réponse à cette question nécessite avant tout de connaître la nature des algorithmes et les stratégies qu’ils poursuivent. La littérature académique sur le sujet fait état de deux grandes catégories de HFT : les HFT teneurs de marché qui offrent de la liquidité au reste du marché par la soumission d’ordres à cours limité, et les HFT opportunistes. Concernant les premiers, l’article d’A. Menkveld publié au «Journal of Financial Markets» en 2013 montre qu’ils offrent de la liquidité sur plusieurs plateformes simultanément et, de ce fait, contribuent à la fois à fragmenter le marché et à améliorer la liquidité. D’après l’article, les stratégies des HFT teneurs de marché, rémunérées par l’écart de cours acheteur-vendeur, sont profitables à horizon de temps très court, mais ces opérateurs sont perdants dès lors qu’ils prennent des positions sur des horizons supérieurs à cinq secondes. Ils n’ont donc pas d’aptitude particulière à prévoir l’évolution des cours sur la journée et leur profil serait très semblable à celui des teneurs de marché traditionnels. Concernant les HFT opportunistes, B. Hagströmer et L. Nordén, dans un article également publié au Journal of Financial Markets en 2013, montrent qu’ils ont un comportement très différent des HFT teneurs de marché. Ils ne sont présents aux meilleures limites du carnet d’ordres que 5 % du temps contre 60 % pour les teneurs de marché. Ils placent aussi bien des ordres au marché que des ordres à cours limité. Leurs stratégies d’investissement peuvent être diverses, cependant nombre d’entre elles relèvent très probablement de l’arbitrage. Les ordres de ces arbitragistes à haute fréquence sont souvent preneurs de liquidité mais ils contribuent à consolider les prix des différents marchés. En traitant très rapidement sur plusieurs marchés simultanément, les HFT arbitragistes tirent profit d’inefficiences de prix éphémères que leur activité fait disparaître. Ils font ainsi respecter la loi du prix unique pour un actif donné. Entre les deux catégories de HFT identifiées, la tenue de marché algorithmique se taille la part du lion avec 60 à 70 % des volumes échangés par les HFT selon Hagströmer et Nordén (2013).

S’il est donc communément admis par la recherche académique que les HFT contribuent à améliorer la liquidité et l’efficience informationnelle, les véritables questions en suspens sont plutôt jusqu’à quel point y contribuent-ils vraiment et quels en sont les effets collatéraux indésirables. Leur capacité à annuler leurs ordres à une vitesse éclair ne génère-t-elle pas une liquidité fantôme pour l’investisseur final ? Les HFT continuent-ils à fournir la liquidité dans les périodes de forte volatilité ? Peut-on craindre que la masse des ordres soumis et annulés par les HFT ne congestionne les systèmes des Bourses et ne rende difficile la supervision du marché par les autorités ? Autant de questions sur lesquelles les chercheurs devraient apporter des résultats nouveaux dans un futur proche grâce à la disponibilité croissante de données appropriées.

Mots clés Défaillances
Carole Gresse Professeur ,  Université Paris Dauphine-PSL

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