Banquiers centraux : la fin des tours d’ivoire ?

Publié le 17 octobre 2019 à 10h21

David Ganozzi

Le statut des banquiers centraux évolue sous la pression des politiques. Il serait souhaitable que cette tendance aboutisse à une situation équilibrée en raison des défis auxquels les banques centrales doivent aujourd’hui faire face.

Un président américain qui met en doute les compétences du président de la Réserve fédérale et lui indique précisément ce qu’il en attend en termes de politique monétaire. Quatre anciens présidents de la Réserve fédérale qui se fendent d’une tribune dans la presse pour rappeler l’importance du caractère indépendant de la banque centrale américaine. Moins spectaculaire mais non moins significatif, de ce côté-ci de l’Atlantique, la nomination surprise d’une présidente de la BCE au profil plus politique que technique, bien éloigné de ceux de ses prédécesseurs depuis la création de l’institution (sans parler des anciens présidents de la Bundesbank…).

D’anciens banquiers centraux trouveraient certainement le monde actuel bien différent de celui qui prévalait encore il y a quelques années, marqué par la déférence des dirigeants politiques et une aura proche de celle des pythies antiques dont le public financier guettait avec respect les prophéties. L’un des plus célèbres d’entre eux, Alan Greenspan, en rajoutait même en déclarant, non sans humour : «Si ce que je viens de dire vous a paru clair, c’est que vous m’avez probablement mal compris.» On peut donc se demander si les banquiers centraux ne sont pas en train de sortir (ou d’être sortis) des tours d’ivoire dans lesquelles ils ont longtemps vécu.

Outre les changements dans le paysage politique international, des éléments d’explication sont certainement à chercher du côté des banques centrales elles-mêmes. La crise de 2008, d’abord, les a poussées à adopter des politiques monétaires très agressives et non conventionnelles dont on mesure bien aujourd’hui combien il est difficile de sortir sans provoquer des turbulences majeures. Les coûts de financement de la dette publique des grands pays développés ont atteint des niveaux tellement faibles, alors même que les ratios d’endettement sont à des sommets, que l’orientation de la politique monétaire a désormais un effet direct et massif sur la marge de manœuvre budgétaire des gouvernements. D’où une incitation forte pour les dirigeants élus à une ingérence accrue dans la conduite des politiques monétaires.

La difficile adéquation de la réalité avec les théories économiques qui ont longtemps sous-tendu la conduite des politiques monétaires a probablement aussi joué son rôle dans une forme de retour sur terre des banquiers centraux et de démocratisation du débat sur ces sujets. Deux exemples sont très parlants sur ce point.

Le lien traditionnel entre taux de chômage et hausse des salaires semble bien impuissant pour expliquer la situation qui prévaut aux Etats-Unis depuis plusieurs années. Alors que le taux de chômage était un déterminant important de la politique monétaire, permettant d’anticiper l’évolution future de l’inflation, la Réserve fédérale en est désormais réduite à suivre l’évolution des salaires au mois le mois. Autre exemple encore plus frappant : les craintes d’une résurgence de l’inflation du fait du gonflement spectaculaire des bilans des banques centrales qui se sont lancées dans le quantitative easing se sont révélées très largement infondées, malgré l’appui des théories monétaristes.

On se retrouve ainsi dans une situation où les politiques monétaires ont à la fois un poids plus important que jamais dans le «mix» de politique économique et des fondements théoriques de moins en moins évidents. Il apparaît logique dans ce contexte d’assister à un retour en force du politique face à des banquiers centraux qui ont longtemps été surtout des techniciens. Un juste équilibre apparaît toutefois souhaitable. Comme le rappelaient les quatre anciens patrons de la Fed dans leur récente tribune, la conduite de la politique monétaire ne doit pas seulement résulter de considérations politiques de très court terme. En outre, diminuer la crédibilité des banques centrales comporterait des risques sérieux pour tout le monde, au moment où les cryptomonnaies fleurissent et remettent un peu plus en question encore leur rôle et leur autorité.

David Ganozzi

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