Il faut être plus sévère sur les tests de dépréciation comptables

Publié le 19 octobre 2018 à 14h55    Mis à jour le 22 octobre 2018 à 15h49

François Meunier

Le scandale Carillion Plc se poursuit au Royaume-Uni. Cette très grande entreprise du BTP a récemment fait faillite alors qu’elle avait versé, quelques semaines plus tôt, de copieux dividendes à ses actionnaires et bonus à ses dirigeants. Une générosité qui avait pour conséquence de laisser un trou de 900 millions de livres sterling au fonds de retraite de ses salariés, à présent sur le carreau. Mais Carillion a servi ces dividendes de bon droit puisque son bilan montrait de copieuses réserves.

Hum ! C’était avant la sortie des comptes 2017. Le bilan 2016 présentait un montant gigantesque de survaleur (goodwills), pour près du tiers de ses actifs totaux, résultat d’une politique d’acquisition très hardie. Par exemple, la société avait acquis en 2011 la société Aega pour la somme de 306 millions de livres sterling et écrit dans ses comptes un goodwill de 329 millions, signe qu’elle acquérait déjà une société à valeur nette comptable négative. Or cette acquisition s’est très vite révélée un désastre : le chiffre d’affaires, de 800 millions de livres sterling en 2010, est passé très rapidement à 200 millions environ en 2012, pour s’approcher de zéro en 2014. A cette date, l’actif net approchait les – 200 millions de livres sterling.

Curieusement, Carillion a attendu la clôture de ses comptes 2017 pour faire la dépréciation qui s’imposait. Et KMPG n’a rien vu – ou rien voulu voir – pendant les six ans qui ont suivi la transaction. Et au-delà d’Aega, c’est un tsunami de 1,2 milliard de livres sterling que Carillion a dû rayer des comptes au titre de 2017. Il y a bien sûr la responsabilité, peut-être pénale, des dirigeants de Carillion et, cela reste à voir, de KPMG. Mais cela pose une autre question : les normes comptables ne seraient-elles pas trop complaisantes dans le traitement des goodwills ?

On amortissait autrefois le goodwill au prorata d’une période donnée. La croissance externe en était quelque peu pénalisée puisque toute acquisition allait grever ses comptes dans les années à venir. La règle était efficace mais grossière : pourquoi amortir un actif si celui-ci est profitable ? Et sur quelle période ? Un principe meilleur repose sur l’étalonnage sur le marché, ce que retiennent les normes comptables IFRS : on ne déprécie que si la valeur recouvrable de l’actif est moindre que la valeur nette comptable de l’actif.

Mais deux facilités sont offertes à la société qui répugne à passer le coup d’éponge nécessaire. D’abord, le test de dépréciation ne s’applique pas à chacun des actifs ayant fait l’objet d’acquisition, mais à des sous-ensembles cohérents d’activités, auxquels les différents actifs se rattachent. Ce qu’on appelle les unités génératrices de trésorerie (UGT). C’est de bon sens : des années après l’acquisition, l’actif n’est plus forcément identifiable en tant que tel, parce qu’immergé parmi d’autres activités de même nature. Mais à procéder ainsi, il devient facile de mutualiser pertes et profits et de cacher à jamais qu’une acquisition n’a pas répondu aux espoirs mis en elle.

L’auditeur veille à ce que les UGT déterminées par l’entreprise répondent à une véritable logique économique et ne soient pas un moyen de jouer la loi des grands nombres. Mais la proposition suivante l’aiderait beaucoup : quand une acquisition reste parfaitement identifiable, à savoir une entité légale ayant ses comptes, son management, etc., alors le test de dépréciation doit toujours s’appliquer à cette entité, et non à l’ensemble auquel elle appartient.

Seconde facilité à corriger : rendre plus stricte la définition de la valeur recouvrable. Aujourd’hui, c’est la valeur maximum que prend d’un côté ce qu’on appelle la valeur d’utilité (en clair la valeur selon un modèle «discounted cash flow» ou DCF) et la juste valeur, à savoir la valeur de revente possible, une définition qui permet que d’autres critères entrent en compte, tels que des valeurs de comparables ou même de valeur stratégique. Deuxième proposition : prendre le minimum et non le maximum.

Les dépréciations seraient ainsi plus fréquentes et plus rapidement réalisées. Et devraient devenir des choses banales. Après tout, il n’est pas honteux pour une entreprise d’avoir fait de mauvaises acquisitions : cela fait partie du risque d’entreprendre. Pour les rendre plus banales, voici une dernière proposition, incitative pour un management : corriger l’asymétrie dans le test de dépréciation. Si, en effet, on peut facilement déprécier un actif du montant de sa «moins-valeur», il faudrait toujours pouvoir effacer cette dépréciation si, lors des exercices comptables suivants, on constate que l’actif connaît un retour de forme. En quelque sorte, il faudrait que le test de dépréciation devienne réversible, sous condition bien sûr qu’il y ait eu dépréciation préalable.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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