Trop de dividendes pénalise l’investissement : vrai ou faux ?

Publié le 9 février 2018 à 15h53    Mis à jour le 9 février 2018 à 18h01

François Meunier

Est-ce qu’un excès de dividendes pénalise l’investissement ? Beaucoup le pensent, y compris au-delà des milieux idéologiquement opposés à l’économie de marché et aux entreprises. Eh bien, cela se discute.

Il y a d’abord un mauvais sophisme à chasser que voici : quand les actionnaires exigent du dividende (ou leur variante, qui est le rachat d’actions), le cash sort du secteur productif, de l’économie réelle, et rentre dans l’économie financière et spéculative. Avec leur cash en poche plutôt que dans les entreprises qu’ils financent, les investisseurs rachètent des actions en Bourse, de l’immobilier, etc., tout un argent qui passe d’une main à l’autre, mais qui jamais ne revient créer des richesses. L’actionnaire réinvestit son dividende en papier plutôt qu’en biens de production. Dans cette vision du capitalisme, le dividende est un gâchis spéculatif ; seul l’autofinancement est le signe d’une économie orientée vers les besoins réels du pays. Avec cette idée en tête, le gouvernement français dans les années 1980 et récemment sous la présidence Hollande a taxé plus fortement les dividendes que le profit retenu dans l’entreprise.

Le raisonnement est faux. Ce qui vaut à l’échelle de l’entreprise (plus d’argent qui sort pour l’actionnaire, c’est autant de moins qui reste dans l’entreprise) est fallacieux quand on fait le bouclage d’ensemble. Il suffit de se rappeler du conseil qu’on donne aux débutants devant un schéma financier compliqué : «Suis le cash !»

Que peut faire l’investisseur avec cet argent ? Oui, il peut acheter une action ou un bien immobilier à un autre investisseur, mais cela ne fait que repousser d’un cran la question : que fait ce nouvel investisseur qui a vendu au premier ? A la fin des fins, l’argent ne part pas dans un trou noir. Il circule. La monnaie est un voile. L’argent va donc 1) soit à la consommation, 2) soit est réinjecté dans l’économie productive : augmentations de capital, participation à des mises en Bourse, investissement en capital-risque, allant des entreprises qui ont peu de besoins de croissance vers celles qui en ont.

Maintenant, il y a des cas tout à fait normaux où le montant de cash retiré du système productif dépasse le montant qui y est investi. Imaginons que l’économie connaisse une croissance zéro, où donc l’investissement net est nul. Elle n’a pas besoin de financement nouveau. Si le rendement du capital est de 3 % net en réel, l’équilibre se fait par le jeu de la consommation. L’argent ne se dissout pas dans un trou noir spéculatif mais va à la consommation capitaliste (ou des détenteurs de fonds de pension investis en actions). Cela a été le cas récemment : les statistiques montrent sur la période récente que les dividendes et rachat d’actions (dont via les OPA) dépassent les augmentations de capital et les mises en Bourse.

Un cas différent tient aux incitations et à la demande. Que se passe-t-il si, par peur du risque, les investisseurs ont peu envie d’investir ? Si les entreprises abandonnent leurs plans de croissance ? En un premier temps, elles rendent l’argent aux actionnaires ou symétriquement les actionnaires exigent des dividendes plutôt que de laisser l’argent dans l’entreprise. Ils cherchent des placements moins risqués pour leurs liquidités. Là encore, l’argent ne se perd pas dans un trou noir : l’ajustement se fait par le bas. L’économie rentre en asthénie conjoncturelle, la baisse de la demande d’investissement réduit la production et donc le revenu. Moins de revenu veut dire moins d’argent à distribuer à la période suivante. On a toujours l’équilibre comptable épargne = investissement, mais tout simplement à un niveau plus bas d’investissement et donc d’épargne. La causalité se renverse : ce n’est plus l’épargne qui permet sur le long terme l’investissement, c’est le manque d’investissement qui réduit le revenu et donc l’épargne. On a là ce que Keynes appelle un «équilibre de sous-emploi».

A noter que, dans un tel équilibre, la faible croissance pénalise les finances publiques, de sorte qu’on retrouve une compatibilité entre le souhait des investisseurs de placer leur argent dans des actifs sans risque et les besoins de financement : c’est l’État qui est en déficit et qui émet les titres de dette propres à assouvir les besoins d’investissement papier des investisseurs.

C’est probablement de ce type de conjoncture que nous sortons, particulièrement en Europe et dans la zone euro. L’investissement se redresse et, tout naturellement, les dividendes se dirigent davantage vers la croissance. Et en tout cas ne partent jamais dans un trou noir.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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