Elections européennes : rétrecissement national ?

Publié le 7 juin 2019 à 17h32    Mis à jour le 11 juin 2019 à 11h40

Hans-Helmut Kotz

En Allemagne, le centre politique maigrit – ou plutôt se rétrécit, à droite comme à gauche. A eux deux, les conservateurs et les sociaux-démocrates ont perdu 19 points lors des élections européennes. Le chiffre, énorme, amplifie une tendance lourde. Ensemble, – y compris les conservateurs bavarois – les deux «Volksparteien» (partis du peuple) n’arrivent plus, avec 45 % des votes, à créer un gouvernement.

Ce résultat mine gravement la position de la grande coalition (ou GroKo). Déjà, lors du référendum de la SPD sur la participation au gouvernement en 2018, 40 % de ses membres avaient voté non. Depuis, au vu des résultats électoraux de plus en plus médiocres, cette motion devrait avoir gagné en force, et ce malgré le bon travail accompli au sein du gouvernement (avec le salaire minimum, les retraites minimales, etc.).

Si la GroKo finit par éclater à l’automne prochain, à l’issue des élections dans trois Länder de l’est de l’Allemagne, où l’extrême droite, l’AFD, est la plus forte, il deviendra beaucoup plus difficile de mener à bien un projet important : l’union monétaire européenne, lancé en 2015 – et inachevé. Les perspectives se sont en effet dégradées, pour trois raisons.

D’abord, toutes les pistes de mutualisation des risques – budget européen, réassurance chômage commune, garantie commune des dépôts – sont devenues improbables. Elles n’ont d’ailleurs même pas été défendues dans les programmes des deux partis les plus européens (SPD et Verts). L’éclatement probable de la GroKo fera basculer encore plus le curseur vers la direction du chacun pour soi.

La situation est similaire dans les autres pays membres : la solidarité transfrontalière, souvent considérée comme un élément incontournable d’une monnaie commune, a de plus en plus à être acceptée. La réaction à la crise des réfugiés en 2015 en est un parfait exemple. La réponse, en ordre dispersé, de l’Europe, a ouvert un nouvel axe de conflits, aussi bien dans les pays membres qu’entre eux. Il en va de même dans l’énergie (avec le Nord Stream) ou en ce qui concerne la réplique aux menaces américaines sur les tarifs douaniers des voitures européennes. Le particularisme national domine. Le rétrécissement derrière les frontières est la tendance lourde.

Finalement, avec l’Allemagne en train de devenir «normale», et qui risque ainsi de perdre sa stabilité politique, la situation en Europe se complique. La «stabilité hégémonique» particulière qui prévalait jusqu’alors, plus ou moins autour de Paris et Berlin, est remise en question. Les deux pays ne sont plus depuis quelque temps sur la même longueur d’onde.

Cette situation n’augure rien de bon. A court terme, la probabilité d’une récession mondiale s’accentue. Les incertitudes créées par l’administration américaine en sont une des raisons évidentes. L’OCDE tout comme le FMI ont révisé leurs prévisions de croissance  à la baisse. C’est la raison pour laquelle, depuis quelques semaines, la Fed prépare les marchés à une baisse des taux (à un niveau inconvenablement bas : 2,4 %). La BCE, elle aussi, a déclaré, jeudi dernier, le 6 juin, qu’elle continuerait sa politique de taux directeurs négatifs jusqu’à mi-2020. De plus, elle a renforcé sa politique de LTRO. Soit exactement l’inverse de ce qu’elle voulait faire initialement avec sa stratégie de «normalisation». Déjà, le ralentissement fragilise les budgets nationaux, dans des proportions qui varient selon les pays. Pour les marchés, la solution du conflit entre la Commission européenne et le gouvernement italien sur l’évolution du déficit et la dette italienne est à ce titre particulièrement importante.

C’est dans ce contexte que  la directrice générale du FMI Christine Lagarde réclame, dans sa note écrite en préparation du récent G20 au Japon, «la nécessité de politiques multilatérales pour répondre aux défis globaux». Malheureusement, même en Euroland, nous avons bien du mal à mener à bien une telle coopération. Pourtant, l’existence ou non de cette coopération sera décisive si un ralentissement économique se manifeste. Dans certains pays membres, les banques sont encore assez vulnérables. Bien que leurs ratios de fonds propres soient apparemment plus solides et que les prêts non performants aient diminué depuis quelque temps, ces derniers sont largement un reflet de la situation économique. Un ralentissement risquerait très probablement de fragmenter davantage les marchés européens.

Le nouveau paysage politique après les élections européennes pose donc de sérieux défis. Entre pays membres, les diagnostics divergent autant que les intérêts. Et le vieux couple franco-allemand manque de l’ambition et de la volonté nécessaires à la construction d’une position commune.

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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