Le reporting intégré : mode ou modèle ?

Publié le 13 décembre 2013 à 18h40

Jean-Florent Rérolle et Laurent Choain

Le 5 décembre dernier, l’IIRC[1] a approuvé formellement le référentiel du «reporting intégré» (RI). Derrière cette expression simple se cache un sujet plus ambitieux : (re)donner confiance aux investisseurs en communiquant plus et mieux sur la création de valeur à long terme de l’entreprise. Le constat est banal et ancien : les investisseurs sont frustrés par la complexité, le volume, le jargon et le caractère historique des informations qui leur sont communiquées et qui ne sont pas forcément utiles aux décisions de la communauté financière. Les investisseurs ont besoin de comprendre la trajectoire stratégique et le modèle de développement de l’entreprise car l’essentiel de la valeur réside dans les perspectives futures de celle-ci.

Une rénovation profonde du dialogue avec les marchés est donc nécessaire. C’est tout l’objet du RI qui est défini comme le «processus qui donne lieu à une communication sur la création de valeur au fil du temps, notamment par la production d’un rapport intégré». Concis, pertinent, prospectif, ce rapport doit porter sur les conditions dans lesquelles la stratégie, la gouvernance, la performance et les perspectives de l’organisation lui permettront de «créer de la valeur à court, moyen et long termes». L’entreprise est invitée à expliquer son business model, moteur de la création de valeur, à identifier ses actifs tangibles et intangibles clés, ses relations avec son écosystème et ses risques essentiels.

Elle doit montrer quelles sont les connexions entre tous les éléments du système. Les indicateurs de performance financière et non financière doivent être peu nombreux et liés entre eux. Ils doivent être rigoureusement choisis pour s’assurer de leur pertinence à l’aune de la création de valeur et de la capacité de l’entreprise à les produire de manière fiable et pérenne pour expliquer aux investisseurs les progrès réalisés au cours du temps. L’IIRC ne propose pas un standard ou des indicateurs clés, mais plutôt un guide d’analyse pour aider les directions générales dans leur réflexion sur leur système de création de valeur, par définition unique. Enfin, le rapport intégré vise prioritairement les investisseurs pour les guider dans leurs décisions.

Ce n’est pas un rapport de développement durable, même si les autres partenaires de l’entreprise y trouveront certainement un intérêt. Seules les initiatives RSE contribuant à la valeur financière future de l’entreprise méritent de figurer dans ce rapport. Les premières réactions des investisseurs sont très positives car non seulement le RI répond à leurs besoins d’information, mais il incite aussi les entreprises à être plus à leur écoute. Concentré pratique de la vision de l’entreprise, le RI nécessitera un travail préalable de synthèse et surtout de mise en cohérence : l’«integrated thinking», que l’on peut traduire par la maxime de Boileau : «Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément.» Inutile d’espérer communiquer efficacement sans une conception préalable ! Le RI est déjà une réalité depuis quelques années en Afrique du Sud et en Australie.

Depuis début octobre, les conseils anglais doivent donner à leurs actionnaires un «strategic report», en bien des points très comparable au RI. Cette tendance de fond est bien comprise par un certain nombre d’entreprises françaises qui se sont déjà lancées dans l’aventure et ont ainsi découvert les vertus de cette démarche. Véritable projet mobilisateur au sein de l’entreprise, idéalement animée par la direction financière et menée sous la responsabilité de la direction générale, il permet d’engager un dialogue stratégique entre des fonctions qui travaillent habituellement en silos. L’objectif simple et ambitieux à la fois est de bâtir un véritable consensus stratégique et de cerner quels sont les chantiers opérationnels prioritaires du point de vue de la valeur actionnariale.

Une meilleure articulation entre la stratégie et le modèle de création de valeur conduit enfin à des mesures de performance financière et non financière plus pertinentes et opérationnelles. La qualité de l’exécution stratégique en sort renforcée. Le RI est donc tout sauf un standard supplémentaire ou une mode. Le succès de la démarche nécessite une discipline et une mobilisation en faveur de la création de valeur à long terme. Elle ne sera pas forcément évidente pour tous, mais ses bénéfices à la fois internes et externes en valent la peine.

[1]. International Integrated Reporting Council.

Jean-Florent Rérolle et Laurent Choain

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