L'analyse de Jean-Paul Betbèze

Prochaine récession : Fed et BCE se préparent

Publié le 22 mars 2019 à 17h06

Jean-Paul Betbèze

Ciel gris aux Etats-Unis, foncé en zone euro. Les signes d’inquiétude s’amoncèlent, mais «pas de récession en vue», nous assurent les banquiers centraux, de chaque côté de l’Atlantique. Et pourtant ! Avec 20 000 emplois nouveaux en février aux Etats-Unis, alors qu’on en attendait 150 000, une vague d’inquiétude a secoué les marchés le 8 mars. La veille, en annonçant une croissance à 1,1 % en 2019 en zone euro et un marasme prolongé, Mario Draghi avait encore plus surpris qu’inquiété. Depuis, l’annonce d’une baisse de la production industrielle allemande de 0,8 % en janvier a montré les ratés du moteur de la zone (30 % de son PIB), pour cause d’exportations en berne.

Que se passe-t-il dans ce monde ? Est-ce une stagnation durable des pays les plus avancés ? Est-ce l’effet du vieillissement ou la révolution technologique qui «disrupte» l’ancien monde sans que l’on puisse, ou sache, mesurer le nouveau ? Est-ce l’effet des tensions sur le commerce international entre Etats-Unis et Chine, ou entre Etats-Unis et Allemagne sur l’automobile ?

Résultat : une reprise plus molle que prévu, dit la BCE. Mais sans risque de récession interne, pour autant que le reste «tienne». Il y aura donc moins de croissance ici, annonce Mario Draghi, en 2019 et 2020. Pire : «les risques pesant sur les perspectives de croissance de la zone euro restent orientés à la baisse en raison de la persistance des incertitudes liées aux facteurs géopolitiques, de la menace protectionniste et des vulnérabilités sur les marchés émergents». Si récession il y a, elle viendra d’ailleurs.

Donc pas de changement d’approche en zone euro, mais une prolongation de la politique monétaire en cours. Mario Draghi repousse à mi-2020 au plus tôt cette hausse des taux que les marchés attendent tant, car elle marquerait à leurs yeux la sortie de crise. Une hausse d’autant plus repoussée qu’il n’est pas prévu de réduire le portefeuille d’actifs publics de la BCE. Et si cela ne suffit pas pour dire aux marchés que les taux resteront bas plus longtemps, voilà trois programmes de soutien aux banques, pour qu’elles fassent plus de crédits à taux plus faible (TLTRO) ! 

Mais c’est une autre musique qu’on entend avec Jerome Powell, le patron de la Fed, et ses collègues : il faut vouloir plus de 2 % d’inflation, pour obtenir 2 % ! Ils réfléchissent en effet à changer l’allure de la politique monétaire. Certes, la croissance est faible et menacée aux Etats-Unis, dans cette reprise qui devient la plus longue de son histoire. Mais l’inflation n’arrive pas à remonter à 2 %. Les salaires viennent juste de croître un peu, mais l’inflation reste à 1,5 %, avec un taux de chômage à 3,8 % ! Comment comprendre cette morosité dans cette reprise si longue, qui n’a jamais été très forte, et semble s’essouffler ? L’inflation va-t-elle alors rebaisser et les taux d’intérêt rejoindre 0 % ? Ce serait un plancher infranchissable : on ne peut pas taxer les dépôts, ni les billets, pour obtenir des taux négatifs ! Comment rebondir alors ?

Alors, la Fed se demande s’il ne faudrait pas viser l’inflation de manière régulière, et non la cibler annuellement. Car si l’inflation à 2 % est ratée plusieurs fois de suite, comme aujourd’hui (nous ne parlons pas ici de la BCE !), c’est la crédibilité de la Fed qui est en jeu. Donc, si l’inflation reste trop basse comme aujourd’hui, il faut continuer une politique monétaire accommodante pour avoir 2 % d’inflation, mais sur deux ans, donc tolérer un excès temporaire au-delà de 2 %, disons 2,5 %. Alors la Fed aura eu 2 % en moyenne et devra remonter ses taux – mais le risque d’être «collé» à des taux zéro sera évité. Cette approche, dite du «mark-up», ne va pas sans explication, on s’en doute, et la Fed se lance dans une série de réunions. 

Avec cette approche de «cible de prix» et non de «cible d’inflation» plus le gel de son portefeuille de titres publics, voire son augmentation, la Fed se prépare au ralentissement. Elle sera plus accommodante plus longtemps, attendant l’inflation. Mais il faudra voir comment les taux longs vont réagir, avec une inflation dite «temporaire» à 2,5 % ! Le risque de krach est là ! On comprend donc pourquoi la BCE joue les prolongations ! 

En fait, la Fed ne dit pas tout : elle se prépare au ralentissement, mais c’est pour éviter en fait une récession qu’elle craint plus que jamais. La BCE se prépare alors à continuer sa partition, mais plus lentement et plus longtemps. Musiques ! 

Mots clés BCE FED
Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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