L'analyse de Jean-Paul Betbèze

Trois pièges pour trois banquiers centraux

Publié le 27 septembre 2019 à 16h54

Jean-Paul Betbèze

Trois pièges guettent actuellement les banques centrales, mais ils diffèrent d’une institution à l’autre.

Moins de munitions classiques : c’est le problème de la Fed. La Banque centrale américaine avec Jerome Powell, et sous d’autres influences (qui sait ?), se met dans une logique de baisse. Elle vient de procéder à la deuxième de l’année mi-septembre. Elle se trouvera ainsi plus vite à court, quand viendra la récession, sauf à racheter les bons du Trésor américain – qui ne manquent pas ! Récession ou pas ? Le mot retrouve, dans les comptabilisations de Google, sa fréquence de 2008, et la production industrielle décline. Mais la consommation reste solide, l’inflation «core» reprend, à 2,8 % en rythme annualisé sur les trois derniers mois (le maximum depuis treize ans), et les taux à 10 ans des bons d’Etat passent de 1,44 % début septembre à 1,8 % (même avec les tensions entre l’Arabie saoudite et Iran) ! Le risque de la politique monétaire américaine est donc de baisser les taux par crainte exagérée d’un ralentissement, ou bien sous influence politique, alors que l’activité reste solide, qu’on peut penser que l’inflation s’éveille et sans savoir où vont les tensions géopolitiques.

Trappe à liquidité : c’est le problème de la BCE, la banque centrale de l’Union monétaire européenne. La baisse des taux alimente les dépôts non rémunérés, c’est la trappe ? Elle affaiblit les banques, puisqu’elle serre leurs marges ! L’agrégat M1, billets et dépôts à vue, augmente de 7,8 % en juillet sur un an, les dépôts à terme baissent. Les crédits aux entreprises augmentent de 3,9 %, c’est très graduel. Nous ne sommes pas aux 10 % d’avant crise, ni heureusement plus aux - 4 % de 2016. Pour en sortir, Mario Draghi joue du bâton et de la carotte, à sa manière. Bâton, et les dépôts des réserves bancaires passent à - 0,6 % (certes, avec des aménagements). Carotte si l’on peut dire, car le bâton sera administré aussi longtemps que l’inflation ne va pas durablement vers 2 %, alors qu’elle est à 1 % ! La carotte draghienne, c’est comprendre qu’il faut éviter le bâton. Plus vite les entreprises s’endetteront, plus vite les banques octroieront plus de crédits, plus vite l’activité et l’emploi repartiront, puis les salaires, puis l’inflation, plus vite se referont les marges – sachant que les hausses de taux seront volontairement à la traîne, pour aider, cette fois. Le risque de la politique monétaire de la BCE est de ne pas convaincre les ménages et les entreprises de sortir assez vite de leurs dépôts pour investir. Si la trappe à liquidité s’agrandit encore, elle engouffrera les banques et l’inflation avec !

Stagflation : c’est le problème de la Bank of England. La croissance est à 1,2 % au deuxième trimestre 2019, avec un risque de décélération plus prononcé encore, voire de récession, avec le Brexit, mais avec une inflation à 1,7 %, et sans doute plus si certains produits viennent à manquer et si la livre baisse encore. Moins de croissance mais plus de risque d’inflation : Mark Carney, le gouverneur de la BoE, pourrait monter ses taux. Mais il ne le fait pas. Il se trouverait alors en butte aux politiques, à commencer par Boris Johnson, surtout s’il est encore Premier Ministre, qui l’accuserait d’empirer la situation.

Comment en sortir ? Aux Etats-Unis, en zone euro et au Royaume-Uni, les politiques monétaires s’opposent aux leaders politiques. Le cas le plus clair est américain, où Donald Trump ne cesse d’insulter Jerome Powell, même s’il baisse les taux ! Il menace de le démettre de son poste de président, ce qu’il fera si le ralentissement s’accentue sans qu’il baisse assez les taux, menaçant sa réélection. Donc Jerome Powell devrait continuer à baisser ses taux, sauf s’il prend en compte les derniers signaux de reprise de l’activité et de l’inflation. Mais il risque son poste : son successeur les baissera, lui, mettant l’accent sur la croissance à consolider. Au Royaume-Uni, Mark Carney prépare ses bagages. Il a annoncé son départ après le Brexit. Et son successeur baissera les taux, pour soutenir la croissance, même si l’inflation grimpe.

En zone euro, Christine Lagarde arrive. Elle veut suivre la politique de taux bas, même si le départ de Mario Draghi rend plus dures les critiques allemandes, néerlandaises et autrichiennes, tandis que le gouverneur de la Banque de France veut, lui, une politique budgétaire plus volontariste… où ? Mais, en Allemagne, Christine Lagarde va trouver des politiques qui ne veulent pas de soutien budgétaire et des banquiers qui ne veulent pas de taux plus bas ! Banquier central : quel métier !

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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