L'analyse de la DFCG

Comment éviter que la potion magique PGE ne devienne la pomme empoisonnée des entreprises ?

Publié le 11 décembre 2020 à 18h06

Sébastien Rouzaire

Nous connaissons un des maux dont souffrent les entreprises françaises : le financement moyen-long terme pour assurer sa pérennité, ses investissements et son développement. Avant la crise, l’insuffisance des fonds propres ou les besoins en fonds de roulement fragilisaient déjà nos entreprises. Le financement bancaire s’est essoufflé avec la frilosité de banques alourdies par une gestion du risque centralisée et éloignée du terrain. Le directeur financier voudrait-il alors se tourner vers le marché boursier ? Il reculerait aussitôt devant les contraintes réglementaires et les coûts associés. En dernier recours, il lui reste l’appel aux fonds de capital privé, mais avec les risques de perte de contrôle.

Le PGE mise en place lors du choc Covid a été et est toujours la bouée de sauvetage pour nos entreprises. Face aux risques avérés de baisse d’activité ou de fermeture, les liquidités apportées par les banques et garanties par l’Etat ont évité l’asphyxie de la trésorerie des entreprises. Renforcée par la possibilité de décaler des charges Urssaf ou de négocier des reports d’échéances, ce plan de sauvegarde a été unanimement applaudi par l’ensemble des dirigeants financiers.

La discussion concernant la nature comptable du PGE (fonds propres, quasi-fonds propres ou dette ?) est anecdotique. Mais elle a eu le mérite de poser la question de la sortie de crise et du remboursement de la dette. Si utile qu’elle ait été, cette potion ne va-t-elle pas devenir un poison pour les entreprises ?

Car les questions structurelles de financement des entreprises (principalement TPE-PME) vont resurgir plus violemment encore. Une nouvelle tension sur les prix et les volumes, accélérée par le développement de la numérisation, pourrait empêcher un retour rapide à la profitabilité et donc bloquer tout remboursement de la dette, sauf à couper dans les dépenses d’investissements et de main-d’œuvre. Et très probablement les entreprises déjà en difficulté avant la pandémie, sauvées temporairement par le PGE, ne survivront pas à un retour d’une économie pleinement concurrentielle.

Les directeurs financiers vont devoir non seulement redoubler de vigilance sur le besoin en fonds de roulement, sur le retour financier des investissements et sur la productivité, mais aussi prendre le leadership sur des chantiers de transformation.

D’un point de vue de politique économique, les véritables enjeux vont arriver en deux temps.

A court terme, on recommande la conversion de cette trésorerie à taux quasi nul en un prêt à moyen terme à un taux favorable. Il faut garder bien sûr la condition d’éligibilité bancaire, en veillant toutefois à ce que les banques ne rechignent pas à accepter cette conversion alors qu’elles bénéficient aujourd’hui de la garantie d’Etat. L’Etat a parfaitement compris ce risque, en maintenant notamment sa garantie sur la deuxième vague des PGE (tout en renforçant la territorialité pour les grandes entreprises) et en créant les prêts participatifs pour les TPE et PME.

A moyen terme, s’il s’avérait que beaucoup d’entreprises se montrent incapables de rembourser (notamment les TPE), il serait bon que l’Etat en prenne acte sans trop tarder et trouve des solutions pérennes.

L’Etat pourrait alors loger ces créances dans une structure dite de défaisance, identique à celle de feu Crédit Lyonnais, avec plusieurs outils possibles, notamment l’étalement de remboursement porté à 10 ans, un prélèvement sur les versements de dividendes, etc.

Une autre solution serait de réduire cette dette à la lumière de critères dits extra-financiers, fortement contributifs à l’économie française : niveau des effectifs ou investissements environnementaux ou de biodiversité. L’entreprise devrait ainsi démontrer que son niveau d’effectifs à N + 2 ou N + 3 est équivalent à celui d’avant crise (comparable aux prêts contingents aux Etats-Unis) ou que ses dépenses RSE ont progressé versus les années d’avant crise.

L’Etat pourrait ainsi abonder le remboursement avec un crédit d’impôt comptable qui solderait la dette, en totalité ou partie. Par exemple, pour 100 de PGE, l’entreprise rembourserait 50 ou 75, le solde étant soldé par ledit crédit d’impôt.

Les entreprises deviendraient ainsi acteurs et comptables de leurs propres performances en croissance durable pour justifier ce crédit d’impôts. Le directeur financier devra alors mettre en place le reporting justifiant de la réalisation de ces actions.

Sébastien Rouzaire

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