L'analyse de la DFCG

La valeur de la diversification : la théorie et la pratique

Publié le 13 avril 2018 à 10h09

Franck Bancel et Henri Philippe

L’année 2017 a été une année record en ce qui concerne les fusions et acquisitions. Parmi les raisons avancées pour justifier ces opérations, l’une d’entre elles, à savoir la volonté de «diversification stratégique» des groupes, peut poser question sur le plan financier.

Depuis les travaux de Markowitz (1958), la finance enseigne qu’une partie importante du risque peut être éliminée par la diversification (risque spécifique) et que les investisseurs ont tout intérêt à se diversifier. En revanche, d’après la théorie, ce qui est vrai pour l’investisseur ne l’est pas pour l’entreprise. La diversification d’une entreprise engendre en effet des coûts importants pour les actionnaires : absence de taille critique dans chacun des métiers, mauvaise qualité de l’information comptable, coûts d’agence élevés (les dirigeants des différents métiers s’affrontent pour disposer des ressources de l’entreprise, etc.). Au total, l’actionnaire peut très bien se diversifier seul, et à moindre coût. Ce n’est donc pas le rôle de l’entreprise de diversifier ses investissements à sa place. Ainsi, le cadre de la finance classique impose une représentation de ce que doit être une entreprise : spécialisée, elle doit concentrer toutes ses ressources dans une seule ligne de métier. Elle est valorisée considérant son seul risque systématique et sa capacité à diversifier les risques en interne n’a pas de valeur.

Les cadres théoriques alternatifs qui ont été développés en finance n’ont pas remis en cause ces principes fondamentaux. Ainsi, pour la théorie de l’agence, qui constitue un autre pilier de la théorie financière, si la maximisation de la valeur passe par la réconciliation des intérêts des actionnaires et des dirigeants et la mise en place de mécanismes incitatifs (recours à la dette, intéressement des dirigeants, etc.), cela ne change en rien la nécessité d’imposer à l’entreprise de se spécialiser. Les principes et le cadre général demeurent.

Cela étant, les enseignements de la finance classique ne sont pas en phase avec la manière dont les entreprises appréhendent cette question. Pour l’entreprise, nul doute que la diversification peut créer de la valeur pour les actionnaires. Le cas le plus évident est celui où l’entreprise investit dans des activités qui sont synergétiques et dans lesquelles elle est par ailleurs en capacité d’être un acteur crédible. L’entreprise vaut alors plus que la somme des parties qui la composent parce que les cash-flows générés sont plus élevés du fait de la diversification. L’entreprise peut alors aisément défendre son périmètre vis-à-vis de certains investisseurs qui militeraient pour un démantèlement. Un cas plus intéressant est celui des opérations de diversification sans synergie opérationnelle. Par exemple, une entreprise peut-elle raisonnablement envisager d’investir dans des activités présentant des cycles économiques décorrélés dans le seul but de réduire son risque ? Notons tout d’abord qu’aucune entreprise n’annoncera une acquisition avec ce seul objectif. En revanche, il est parfaitement envisageable de trouver des exemples d’entreprises où les synergies entre activités se sont progressivement réduites et où la question du maintien en l’état du périmètre du groupe se pose.

C’est ici que le cadre de la finance classique et la pratique des entreprises peuvent notablement diverger. Pour le cadre académique, les marchés financiers savent parfaitement appréhender et mesurer les risques. Les marchés étant par définition efficients, ils ne valorisent pas la capacité à diversifier les risques à l’intérieur de l’entreprise. Pour les entreprises en revanche, réduire la volatilité des cash-flows aura pour conséquence une plus grande flexibilité financière, c’est-à-dire une plus grande capacité à résister à des chocs externes significatifs. Cela peut être un élément vital de survie dans les situations de crise, comme ce fut le cas en 2008. A l’époque, bénéficier d’un meilleur rating ou de capacité d’endettement dans l’urgence constituait un avantage majeur. Il est probable que cela soit encore le cas aujourd’hui. 

Franck Bancel et Henri Philippe

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