Durabilité vs ESG : Eviter l’écueil de la « bulle verte »
En attendant que la taxonomie Européenne définisse un cadre clair sur les investissements durables, il est important de prendre conscience des limites des notations et d’investir avec prudence et discernement dans les actions « vertes » dont les valorisations sont parfois élevées.
L’attribution d’une notation ESG
Si les indicateurs liés à la gouvernance d'entreprise sont facilement comparables d'un secteur à l'autre, il est en revanche difficile de comparer les performances sociales ou environnementales d'un constructeur automobile fortement consommateur de matières premières et de main-d’œuvre, avec celles d'un concepteur de logiciels. C'est pourquoi les agences de notation ESG comparent et classent les entreprises au sein d'industries spécifiques. Par exemple, Valeo n’est évalué qu’en fonction d’entreprises similaires telles que Continental en Allemagne, Aptiv aux États-Unis ou Denso au Japon. Les agences de notation donnent à chaque mesure un poids différent selon le secteur d'activité, ce qui est simple pour des secteurs clairement définis comme les équipementiers automobiles, mais l’est moins pour des holdings diversifiées dont les entreprises appartiennent à différents secteurs.
Les deux inconvénients de la notation
Il est certain que l’analyse des sujets ESG conduit à une meilleure compréhension des risques et des opportunités. Cependant les notations ne sont pas suffisantes.
Tout d’abord, les agences de notation ESG n’arrivent pas toujours à se mettre d’accord sur certains critères comme le taux d’émission de carbone, ou le nombre d’heures de formation accordées aux employés, contrairement aux agences de notation crédit qui sont alignées sur la définition de levier et de liquidité. La corrélation entre les notes ESG données par différentes agences pour une même entreprise est de seulement 61 % selon une étude récente de la MIT Sloan Business School[1]. A titre de comparaison, on atteint 99% pour une notation de crédit. Le rapport indique que "53 % de l'écart provient du fait que les agences de notation ESG mesurent les mêmes catégories différemment, et 47 % de l'écart provient de l'agrégation de données communes utilisant des règles différentes".
Prenons l'exemple de Tesla. Certaines agences de notation ESG jugent la société médiocre en raison d'une mauvaise gouvernance, de mauvaises conditions de travail ou d’opérations financières défavorables pour les actionnaires minoritaires (comme l'acquisition de SolarCity, société déficitaire et fortement endettée). D'autres agences la considèrent comme le seul constructeur de voitures purement électriques, ayant un faible impact sur l'environnement, alors que ses concurrents sont encore très dépendants de l’essence ou du diesel.
Ensuite, l’approche relative au secteur qu’adoptent les agences de notation ESG peut parfois être trompeuse. MSCI ESG Rating attribue des notes de AAA, AA et A respectivement à la compagnie pétrolière Galp Energia, au fabricant d'armes BAE Systems et à l'opérateur de paris en ligne William Hill. Pour autant, ce dernier attribue au conglomérat de santé Fresenius la note BBB, le plaçant ainsi dans la moitié inférieure du secteur de la santé en raison d'une controverse liée à une affaire de corruption et d'une mauvaise gestion des employés. Fresenius est pourtant une entreprise qui s'inscrit parfaitement dans les objectifs de développement durable des Nations Unies, selon Vigeo Eiris.
Le potentiel de confusion des notations ESG
Si nous construisons un portefeuille hypothétique comprenant toutes les entreprises exclues d’une stratégie typique d'investissement socialement responsable (tabac, alcool, charbon…), on obtient la note AA par MSCI, une note similaire à celle qu’obtiendrait un portefeuille durable. Durabilité d’une industrie ou d’un business model et notations ESG sont donc deux choses différentes. Une entreprise peut être un acteur irresponsable dans une industrie durable et vice versa.
Il ne faut pas en conclure pour autant que l'analyse ESG n'est pas cruciale dans le processus d’investissement. Au contraire, une société dont les pratiques sont controversées et qui ne montre aucun signe d'amélioration a peu de chances de se retrouver dans un portefeuille ISR.
Si le marché a tendance à se concentrer sur les leaders ESG, il ne faut pas oublier les entreprises qui font les efforts nécessaires pour s’améliorer. Ce sont elles qui ont le plus besoin du soutien de leurs actionnaires et c’est comme cela que nous éviterons l’écueil de la bulle ESG.
[1] Aggregate Confusion: The Divergence of ESG Ratings. MIT Sloan Business School, August 2019.