Défaillances : stabilité apparente, disparités inquiétantes, sévérité croissante

Publié le 9 mars 2018 à 15h49

Ludovic Subran

Après sept années consécutives de baisse conséquente des défaillances d’entreprises à l’échelle mondiale, l’heure est à la stabilisation : le nombre de faillites a légèrement cru en 2017 (+ 1 %), et devrait modérément reculer en 2018 (– 1 %). La conjoncture économique, avec une croissance mondiale de + 3,2 % en 2017 et 2018, est assurément favorable aux entreprises. Mais ses effets seront limités par le retour des pressions sur les coûts et le resserrement des politiques monétaires. En y regardant de plus près, le recul mondial des défaillances pourrait bien cacher quelques mauvaises surprises.

Un premier facteur d’inquiétude provient des disparités régionales : certaines zones demeurent très sinistrogènes. En Europe de l’Ouest, la dynamique est positive (– 6 % en 2017 et – 3 % selon nos prévisions en 2018), mais les défaillances resteront supérieures à leurs niveaux d’avant-crise dans un pays sur deux. Au Royaume-Uni, sur fond de négociations relatives au Brexit et de résurgence des tensions inflationnistes, elles devraient croître de + 8 % cette année. Autre zone de tension, l’Asie, qui continue de pâtir des effets négatifs de la normalisation de la croissance en Chine. Les défaillances y sont attendues en hausse de + 6 % en 2018. Enfin, la situation sera également à surveiller en Afrique et au Moyen-Orient (+ 6 % en 2018).

Dans le panorama mondial des défaillances, une dichotomie sectorielle est également à noter. Les secteurs les plus affectés sont les plus proches du consommateur. Que ce soit chez les émergents ou dans les pays développés, on peut s’attendre à une hausse de la sinistralité dans les secteurs liés à la distribution et aux services par exemple. Ces derniers subissent particulièrement la stagnation du pouvoir d’achat des ménages et la transformation des modèles de consommation, dans un contexte de hausse du coût du crédit. Deux issues sont alors à prévoir : soit on assiste à une phase de consolidation heureuse, avec une vague de fusions-acquisitions, les plus solides rachetant les plus faibles ; soit on assiste à la naissance de véritables entreprises zombies et à une nouvelle accélération du nombre de faillites dans le monde.

Le dernier indicateur qui pousse à la vigilance, c’est la hausse du nombre de défaillances de grandes entreprises, celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros. En 2017, on dénombrait 57 grandes défaillances de plus qu’en 2016, soit un total de 321 entreprises représentant un chiffre d’affaires cumulé de 104 milliards d’euros. L’Europe de l’Ouest a été particulièrement affectée (138 cas en 2017), de même que l’Asie (63 cas). Niveau sectoriel, le postulat évoqué précédemment prend tout son sens : ce sont bien les secteurs proches du consommateur qui sont les plus touchés. Les services en Europe centrale et orientale, le commerce de détail en Amérique du Nord et l’agroalimentaire en Europe de l’Ouest ont tous enregistré plus de 20 défaillances de grandes entreprises l’an passé.

La France n’est pas épargnée par le phénomène, avec un cimetière des éléphants assez bien fréquenté. La baisse importante du nombre de défaillances constatées en 2017 (– 7 %) est fortement nuancée par la résurgence de grandes défaillances (+ 46 %). Une dégradation à mettre en parallèle de l’accroissement de la dette des entreprises françaises, supérieure à la moyenne de la zone euro, et à la stagnation des marges, qui ne progressent plus depuis plus d’un an. L’agroalimentaire (5 cas) et le commerce de détail (2 cas) sont en première ligne. L’exemple de l’automobile est également révélateur : alors que les perspectives de croissance sont intéressantes pour le secteur, on relevait 3 grandes défaillances en 2017, contre 0 en 2016. Le risque zéro n’existe plus.

Que ce soit en France ou à l’international, un phénomène de défaillances en chaîne n’est pas à exclure. Certains fournisseurs sont dépendants d’un nombre limité d’acheteurs, et un incident de paiement peut suffire à les mettre en difficulté. Quand une grande entreprise s’éteint, elle peut emmener dans sa tombe ses partenaires les moins solides. Si la fréquence des défaillances tend à se réduire de manière généralisée, un risque de sévérité continue de peser sur les entreprises du monde entier. Prévention, protection et agilité sont les maîtres mots pour perdurer.

Ludovic Subran

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