Les entreprises de la construction, déjà prêtes pour le coup d’après ?

Publié le 17 novembre 2017 à 18h13

Ludovic Subran

En 10 ans, le secteur de la construction est passé par tous les états. Après les sommets de 2006, la descente aux enfers de 2009 et le rétablissement de 2011, le secteur a connu en 2014 une embellie, suivie depuis d’une phase de croissance stabilisée. Nous prévoyons une progression du marché mondial de la construction de + 3,6 % en 2017 et + 3,7 % en 2018, proche de sa croissance de long terme.

Structurellement, la démographie continue de porter le secteur. En Afrique et en Asie, l’accroissement de la population et celui du taux d’urbanisation devraient générer respectivement un besoin additionnel annuel de 7 millions et de 19 millions de logements urbains jusqu’en 2020. Une tendance qui concerne aussi les économies avancées. En Europe et en Amérique du Nord, la pression démographique va se traduire par une demande additionnelle de 689 000 et 1,1 million de logements urbains par an respectivement.

Conjoncturellement, la reprise de l’activité dans la construction est derrière une partie de la reprise économique dans toutes les régions du monde ; elle en est aussi une conséquence, boostée par des taux d’intérêt toujours très bas (Etats-Unis, zone euro, Chine et Japon), et qui baissent dans les marchés émergents. Ces conditions de financement exceptionnelles expliquent jusqu’à un tiers des mises en chantier puisqu’elles stimulent l’investissement résidentiel des ménages. Leur normalisation devrait se faire sans trop de casse. Cependant, dans certains pays comme l’Australie ou le Canada où l’endettement des ménages est critique, la prudence est de mise.

Les entreprises du secteur, elles, ne sont pas dupes. Les bilans de ces entreprises, habituées aux hauts et aux bas, indiquent déjà l’avenir du secteur : porteur mais risqué. Dans le monde, leurs besoins en trésorerie se sont en effet accrus de + 4 jours de besoin en fonds de roulement (BFR), et leur taux d’endettement est passé de 129 % en 2015 à 140 % en 2016. La hausse progressive des taux d’intérêt à l’échelle mondiale pourrait encore accroître ce ratio, et freiner la croissance du secteur. Il suffirait d’une légère hausse de 0,5 point de taux d’intérêt en 2018 aux Etats-Unis et la même chose en 2019 en zone euro pour annihiler la reprise du secteur de la construction dans ces pays.

Sur le bas de bilan, les entreprises du secteur doivent aussi faire face à des délais de paiement clients toujours plus tendus. En 2016, une entreprise de la construction était payée avec un délai moyen de 72 jours (+ 2 jours par rapport à 2015), contre 62 jours pour l’économie mondiale dans son ensemble. La construction est en particulier tributaire des paiements souvent longs des acheteurs publics et d’une fragmentation de la chaîne de valeur qui font des directeurs financiers de ce secteur de vrais équilibristes de l’impayé. Certains acteurs ont fait le choix de la souplesse commerciale dans un contexte rassurant, laissant couler les délais de paiements pour avoir les contrats. Une situation à même de mettre en péril la trésorerie et l’activité des plus petites entreprises du secteur.

Dernier sujet d’inquiétude, le cours des matières premières. La baisse exceptionnelle des coûts de certains matériaux de construction a permis aux entreprises du secteur de doper leur niveau de rentabilité en 2016 (5,8 %). Mais la tendance s’inverse, et certaines matières ont vu leur prix s’envoler. C’est le cas du PVC, qui a pris + 7 % au cours des 12 derniers mois, et du fer à béton (+ 50 %). Un poids supplémentaire à porter pour les entreprises, dont la rentabilité sortira forcément affectée et repassera sous la barre des 5 % dès cette année.

Finalement, la reprise dans la construction est un cadeau empoisonné qui devrait faire du bien au secteur tout en mettant en exergue les vulnérabilités accumulées. Les carnets de commandes qui reprennent des couleurs sont à contraster avec la hausse du coût des matériaux et des taux d’intérêts : l’effet ciseau pourrait être négatif et mettre en danger la dynamique. Avec une activité qui repart et des matières premières historiquement bon marché, les entreprises du secteur qui avaient fait le pari d’investir dans les stocks et d’accorder des délais de paiement plus longs à leurs partenaires vont devoir faire accepter de nouvelles pratiques.

La construction est un moteur clé de l’économie mondiale, il représente environ 8 % de la valeur ajoutée hors services publics. Alors que la croissance mondiale atteint à peine la barre des + 3 %, un nouveau tollé pour le secteur aurait des conséquences importantes. D’où l’importance de conforter la reprise du secteur de la construction par des mesures de soutien, si besoin, pour affronter l’avenir.

Ludovic Subran

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