Les investisseurs doivent-ils s’inquiéter de la liquidité des marchés obligataires ?

Publié le 25 mars 2016 à 17h17

Michael Sfez

Un des principaux points d’attention des régulateurs mondiaux suite à la crise financière de 2008 a été de diminuer le risque mondial de marché auquel étaient exposées les grandes institutions financières. Les réglementations sur la réforme financière, comme la loi Dodd-Frank ou la réforme Bâle III, ont eu comme objectif de réduire les stocks d’obligations détenus dans les bilans des grandes banques. Mais, en résolvant un problème, les régulateurs n’en ont-ils pas créé un autre ?

En forçant les grandes banques à se dessaisir de leurs obligations, les régulateurs ont créé un manque de liquidité sur le marché obligataire car les banques étaient de grands fournisseurs de liquidité. Quelles en sont les conséquences pour les investisseurs ? Doivent-ils s’inquiéter des grands titres de la presse spécialisée sur la liquidité du marché obligataire ? Pour les investisseurs investis en OPCVM, le risque est de ne pouvoir vendre sur une valorisation du fonds, c’est-à-dire à la valeur liquidative du fonds, lorsqu’il le souhaite. Mais malgré la liquidité réduite, nous considérons qu’actuellement ce risque est faible.

Du point de vue du gérant de portefeuille, il y a cependant plus d’implications. La liquidité a une influence potentiellement positive ou négative sur les opportunités, ainsi que sur la volatilité des performances. Par exemple, une moindre liquidité peut rendre plus difficile l’exécution de certaines stratégies qui requièrent des ordres fréquents, en particulier dans les segments les plus risqués, les émissions de plus faible qualité de crédit. Les gérants obligataires auront besoin de bouger de manière incrémentielle et d’être davantage confortable avec une stratégie buy & hold, consistant à détenir plus longuement ses positions, que par le passé.

Un autre exemple de stratégies de gestion qui pourrait être plus difficile à mettre en œuvre concerne les fonds obligataires passifs, et en particulier les ETF. La liquidité du marché est un plus grand problème pour les ETF que pour le marché obligataire dans son ensemble. En effet, les flux sur les fonds passifs ont tendance à être dictés par la direction des performances de leurs actifs. Une faible liquidité amplifie les coûts de transaction pour les investisseurs passifs qui doivent satisfaire les flux de leurs détenteurs de part, les fonds devant acheter des actifs dans des marchés haussiers (lorsque les prix sont élevés) et vendre des actifs dans des marchés baissiers (lorsque les prix sont bas).

Ce problème s’exacerbe pour des investisseurs en ETF obligataires – en particulier sur le segment du high yield. Si la demande pour les obligations high yield diminue, ces investisseurs peuvent se retrouver à détenir un portefeuille en baisse si le prix de l’ETF corrige et créer une situation similaire à celle que l’on a connue après la disparition de Lehman Brothers, lorsque tout le monde s’est précipité pour vendre comme un seul homme.

Nous pensons que, pour certains gérants actifs, leur volonté de remplacer le vide laissé par les grandes banques en tant que fournisseurs de liquidité présente une opportunité potentielle. Les banques ne sont pas sorties de cette ligne d’activité parce qu’elle n’était plus profitable, mais pour des raisons réglementaires.

Au cours des épisodes historiques de liquidité restreinte, aucun secteur obligataire n’est totalement épargné. Cela inclut même les émissions du Trésor US, même s’il reste le marché le plus liquide du monde et que nous ne nous attendons pas à ce que cela change de sitôt.

Chez Russell Investments, nous regardons de près cette problématique de crédit sur les segments du crédit investment grade, le high yield et les marchés de dette émergente libellée en dollar. Ce sont les segments de marché qui ont toujours beaucoup compté sur les banques comme principal intermédiaire. En tant que gérants de gérants sur les obligations, nos gérants apprécient désormais les avantages potentiels de nouvelles stratégies – par exemple sur les devises et les obligations internationales d’Etat (arbitrage ou global macro) – qui peuvent diversifier le risque de liquidité des actifs de crédit moins liquides et pourraient limiter l’impact d’un «liquidity crunch» si cela devait arriver.

Michael Sfez

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