Après les printemps arabes

Publié le 18 mars 2016 à 18h06

Michel Foucher

En décembre 2015, la Commission européenne a proposé d’aider l’économie tunisienne à se relever, après les attentats de Tunis et de Sousse, en offrant, à titre temporaire, un contingent tarifaire à droit nul, sans taxes, de 35 000 tonnes d’huile d’olive par an sous forme de mesures commerciales autonomes d’exportation vers l’Union européenne, pendant une période de deux ans. Le secteur oléicole, premier secteur agricole d’exportation, fournit indirectement un emploi à un million de personnes, soit le cinquième de l’emploi agricole total.

Lors du débat au Parlement européen, les eurodéputés, d’abord les Italiens, tous partis confondus, s’y sont opposés, en arguant que cette solidarité de l’Union s’exerçait aux dépens des agriculteurs du sud de l’Europe. La mesure a toutefois été votée le 10 mars, avec des garanties pour les producteurs européens (traçabilité, évaluation à mi-parcours des impacts), au lendemain de l’attaque terroriste perpétrée depuis la Libye par Daech contre la ville frontalière tunisienne de Ben Guerdane. Un tiers des moins de 25 ans est au chômage et les disparités économiques régionales sont criantes (90 % des usines se situent à 30 minutes des trois villes côtières, Tunis, Sfax et Sousse, assurant 85 du PIB). Les plus gros contingents de combattants jihadistes sont tunisiens. C’est dans la région périphérique de Kasserine que débuta, fin 2010, la révolte sociale arabe, qui se diffusa ensuite en résonnance.

Sauf en Tunisie, où un compromis politique a été bâti entre laïcs et islamistes, le bilan est ailleurs clairement négatif. Première révolution à n’être pas fondée sur la poursuite d’une utopie mais sur une aspiration à une vie normale, garantie par l’état de droit, et l’émancipation de régimes autoritaires, elle s’est heurtée partout à l’autoritarisme (Egypte), à la répression brutale (Syrie), au refus d’évolution du système politique (Bahrein) et aux rivalités claniques (Libye, Yémen, Irak).

Les régimes monarchiques personnels (Maroc, Jordanie) ont mieux su répondre aux fortes mobilisations (le Premier ministre marocain vient du parti islamiste), tandis que les monarchies familiales du Golfe ont conservé leur modèle autoritaire tout en arrêtant la contestation par une redistribution des pétrodollars : entre février et mars 2011, 130 milliards d’euros d’aides diverses ont été réparties par la monarchie saoudienne.

L’Algérie avait les moyens, jusqu’à la chute des prix des hydrocarbures, de diffuser la rente (50 % de la fiscalité pétrolière est consacrée aux transferts sociaux) dans une société épuisée par la guerre civile (1992-1998) et peu encline à se révolter mais elle n’a pas su diversifier son économie ; la succession du président Bouteflika, populaire comme «homme providentiel», est un élément d’incertitude et la fuite des cerveaux se poursuit. Mais l’Algérie a l’atout d’assurer plus de 10 % de l’approvisionnement en gaz de l’Union européenne.

Le Maroc a su diversifier son infrastructure industrielle (Renault, Airbus…) et tirer parti des fonds européens de la politique de voisinage. En Libye, l’avenir immédiat est suspendu à la mise en place du gouvernement d’union nationale dirigé par Faïez Sarraj. Quant à la Tunisie, où le secteur du tourisme (7 % du PIB en 2014) ne s’est pas remis des attentats contre les plages de Sousse et le musée du Bardo, on voit bien le rôle majeur de l’UE (premier partenaire économique à hauteur de 80 % de ses échanges) dans l’accompagnement de la consolidation démocratique : aide de 390 millions d’euros, prêts de la BEI, appui à la réforme de la justice et réforme du secteur de la sécurité. Il reste à renforcer le soutien économique afin de réduire les disparités et le chômage.

On débat en Italie de l’opportunité d’une nouvelle intervention militaire en Libye, cette fois contre Daech, implanté sur le littoral en exploitant les dissensions politiques régionales et le ressentiment des anciens cadres du régime précédent. Une telle option contribuera à enrayer une menace, sans régler les questions sociales des pays concernés. Il serait tout aussi utile de réfléchir à une refonte générale des allocations financières de l’UE depuis les pays de l’adhésion de 2004-2007 en direction des pays du voisinage, qui ont un besoin urgent de développement économique pour répondre aux aspirations de leurs citoyens et à nos intérêts géopolitiques bien compris.

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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