Le triomphe de l’américanisme

Publié le 11 novembre 2016 à 14h44

Michel Foucher

Donald J. Trump avait raison de prédire un «Brexit puissance 3». La comparaison des deux cartes électorales, britannique du 23 juin et américaine du 8 novembre, illustre nettement l’opposition entre les circonscriptions gagnantes de l’ouverture au monde (Londres et les grandes villes, New York, le nord-est et la côte Ouest) et les perdantes dans la compétition internationale (l’Angleterre noire et la «rust belt», l’Angleterre rurale et le Midwest). Nombre d’électeurs travaillistes anglais se sont ralliés à la position anti-Europe du parti conservateur et les ouvriers proches du parti démocrate de l’Ohio ont voté pour le candidat républicain. La reprise économique est là, sur les deux rives de l’Atlantique, mais les effets négatifs de la crise de 2008 restent prégnants dans les esprits de la moitié des électeurs. Le Royaume-Uni s’apprête à quitter une Union européenne qu’il a largement façonnée (vision néolibérale, élargissement continu, ni défense européenne ni union politique) ; les électeurs de Trump veulent que les Etats-Unis prennent congé d’un ordre international entièrement créé par Washington après 1945 (extension de la démocratie et de l’économie de marché, garantie de sécurité en dernier ressort aux alliés d’Europe et d’Asie, institutions internationales sises à New York et Washington, interventions militaires à répétition pour promouvoir un «wilsonisme botté»). Il s’agit, en apparence, d’une véritable bifurcation, de portée nationale et mondiale.

En réalité, lors de son mandat de 45e président de la première puissance mondiale, Trump va accélérer la mise en œuvre de corrections et d’inflexions déjà présentes chez Obama, qui avait engagé une transformation structurelle dans le rapport des Etats-Unis au monde : «nation building» chez soi plutôt qu’en Afghanistan, fin des expéditions militaires désastreuses, recentrage de l’action extérieure sur le seul critère des intérêts nationaux (d’où l’inertie en Syrie mais une action antiterroriste vigoureuse), exigence d’un effort financier accru des alliés stratégiques pour leur propre défense, relance du «reset» avec Moscou, qui s’y prépare, et même ambition de contenir la Chine. Tout cela ne sera plus théorisé par les analyses sophistiquées d’un Obama mais le shérif avait déjà décidé de rendre son étoile. Isolationnisme ? Non, plutôt une ligne «américaniste».

Le pragmatisme l’emportera chez Trump car son électorat, s’il le respecte, attend que l’Etat fédéral s’occupe d’abord de lui et non plus de la stabilité mondiale, tâche trop coûteuse pour un pays trop endetté (22 000 Mds$ en 2020). Il est protectionniste : les divers traités de libre-échange existants (NAFTA) ou en cours (TTIP, TPP) seront réévalués. Comme Teresa May, il devra – priorité du parti républicain – gérer les questions migratoires, donc les relations avec l’Amérique latine. Les Etats-Unis ne seront plus qu’un «primus inter pares» dans un monde globalisé mais éclaté.

Son programme interne est contradictoire car on voit mal comment la réduction drastique des impôts et la privatisation et la mise en concurrence des marchés de l’assurance santé diminueront les inégalités croissantes dénoncées par ses électeurs souffrant d’un sentiment de déclassement. «Make America Great Again» n’est pas un slogan géopolitique mais un rappel que le rêve américain d’ascension sociale est bloqué pour beaucoup.

Bref, pour comprendre l’Amérique du 8 novembre 2016, il est plus utile d’analyser les courants traversant une société diverse et divisée que de regarder exclusivement la personnalité improbable et controversée d’un vainqueur nourri de téléréalité bousculant les certitudes des deux partis. Reagan était issu, lui, du cinéma, version série B ; avec l’appui de Mme Thatcher, il impulsa une dérégulation radicale d’où procéda la mondialisation néolibérale, dont les électorats de D. Trump et de T. May semblent vouloir sortir.

Et, du côté européen, il devient urgent de se préparer à un monde qui suivra une pente vers la multipolarité, ce qui suppose d’assumer plus de responsabilités. Pour le président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, cette élection, avec son risque de désengagement américain, est une véritable alerte. Il se trouve que la période électorale dans plusieurs Etats essentiels en Europe risque de faire de 2017 une «année blanche»[1].

[1] Europe 2017, une année blanche ? Lettre Jacques Cœur n° 11 www.cfjc.fr/sites/default/files/Lettre%20Jacques%20Coeur%2011-%20Europe%202017%2C%20une%20ann%C3%A9e%20blanche.pdf

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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