Guerre commerciale : et si les Etats-Unis avaient plus à perdre que l’Europe ?

Publié le 12 octobre 2018 à 16h40

Michel Martinez

On ne peut exclure que les Etats-Unis renforcent leurs mesures protectionnistes, vis-à-vis de la Chine, mais surtout vis-à-vis de l’industrie automobile mondiale. De façon peut-être un peu contre-intuitive, l’Europe ne serait pas le plus grand perdant d’une guerre commerciale à plus grande échelle. Ce seraient plutôt les Etats-Unis eux-mêmes ! Ainsi, le scénario du pire n’est pas le plus sûr.

L’administration Trump affiche comme priorité la réduction de son déficit extérieur courant, de l’ordre de 700 milliards de dollars, soit 4 % du PIB. Dans une logique mercantiliste, elle semble s’attaquer aux sources directement observées de ce déficit. La moitié de ce déficit courant provient de la Chine. Près de 20 % portent sur les échanges avec l’Europe, dont un tiers concerne le secteur automobile. Depuis le début de l’année, l’administration américaine a imposé des hausses de tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier. Environ 20 % des importations de Chine ont aussi été touchées par des hausses de tarifs : 25 % sur 50 milliards de dollars et 10 % sur 200 milliards de dollars supplémentaires, un taux qui devrait être remonté à 25 % l’an prochain. Tous les pays visés, dont l’Europe sur l’aluminium et l’acier, ont mis en place des mesures de rétorsion.

Les mesures protectionnistes suscitées n’auront probablement qu’un impact limité sur la croissance des pays avancés. Le FMI considère que la croissance américaine baisserait de 2,9 % en 2018 à 2,5 % en 2019, dont un effet de 0,2 point lié à ces mesures. L’impact sur l’Europe serait négligeable, la croissance étant attendue proche de 2 % en 2018 et 2019. Ces mesures accentueraient toutefois le ralentissement de la croissance chinoise, passant de près de 7 % en 2017 à un peu plus de 6 % en 2019.

L’administration américaine fait toutefois planer la menace d’aller beaucoup plus loin et de taxer à hauteur de 25 % quelque 267 milliards d’importations chinoises supplémentaires, ainsi que l’ensemble des matériels et composants automobiles – visant implicitement l’industrie allemande. Selon le FMI, l’ensemble de ces mesures pourrait retrancher 0,7 point de croissance à l’économie américaine d’ici 2020, dont la moitié proviendrait du renchérissement des prix de l’automobile. En plus de la hausse des prix et de leur impact négatif sur la demande, les profits des entreprises américaines diminueraient, ce qui détériorerait leurs conditions de financement. L’économie chinoise subirait quant à elle une perte de croissance de 1 point.

De façon intéressante, cette guerre commerciale pourrait offrir des opportunités à la zone euro, via des effets de substitution. Le FMI envisage un léger surcroît de croissance de 0,05 point de PIB d’ici 2020. En effet, la Chine et les Etats-Unis importeraient plus en provenance de l’Europe (produits agricoles, produits de consommation, composants électroniques…). Et l’impact sur la compétitivité de l’industrie automobile européenne pourrait être limité si les hausses de tarifs concernaient l’ensemble de l’industrie mondiale.

Ces estimations ne prennent pas en compte d’autres effets plus difficiles à estimer, qui pourraient en renforcer l’impact négatif, comme un choc de confiance au niveau mondial ou une correction durable des marchés actions. Par ailleurs, la combinaison de la guerre commerciale et de la fin annoncée des motorisations diesel pourraient conduire à des réorganisations importantes dans les industries automobiles européenne et allemande.

Ce scénario noir pour l’économie mondiale n’est toutefois pas le plus probable. Il est en effet peu aisé de comprendre la stratégie commerciale américaine. En premier lieu, il est peu vraisemblable que le déficit courant américain se résorbe quand le gouvernement fédéral accroît son déficit de 1,3 % du PIB. Comptablement, le déficit courant est en effet la somme des déficits de tous les agents économiques. En second lieu, les produits ciblés par l’administration américaine ne sont pas ceux dont le contenu est majoritairement produit en Chine ou en Europe. Moins de 40 % de la valeur ajoutée des téléviseurs et ordinateurs importés de Chine est créée en Chine. De même pour les automobiles allemandes. La chaîne de production mondiale est tellement diffuse sur ces produits qu’il y aurait beaucoup de perdants, à commencer aux Etats-Unis. Il est vraisemblable que passé les élections de mi-mandat de novembre, les tensions s’apaisent. Et que les Etats-Unis parviennent à négocier sur des points importants avec la Chine et l’Europe, comme ils y sont récemment parvenus avec le Mexique et le Canada.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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