L'analyse de Michel Martinez

La BCE a manqué la fenêtre pour remonter les taux directeurs

Publié le 12 avril 2019 à 17h04

Michel Martinez

En mars, la Banque centrale européenne a pris deux décisions significatives. Elle a repoussé à 2020 une éventuelle remontée de ses taux directeurs, alors que son taux d’intérêt de référence reste négatif à – 0,4 % et décidé de lancer en septembre une opération de refinancement des banques à long terme (TLTRO III). Récemment, certains de ses membres ont déclaré étudier des mesures pour compenser les effets négatifs d’une politique de taux d’intérêt négatif (notamment sur la profitabilité des banques). Il n’en fallait pas plus pour que les marchés obligataires se disent que la BCE, inquiète, envisage de maintenir les taux d’intérêt à ces niveaux pendant des années voire de les baisser. En conséquence, le taux d’emprunt de l’Allemagne à dix ans, est désormais négatif.

De façon marquante, on observe depuis le début de l’année une rare dichotomie entre le comportement des marchés actions européens, en hausse de près de 15 %, et celui des rendements obligataires redescendus aux plus bas historiques. Il est rare qu’une telle configuration, entre des marchés actions devenus plus optimistes et des marchés obligataires plus pessimistes, persiste longtemps.

A moins que le Brexit se dénoue sans accord, il est probable que ce soient les marchés actions qui aient raison dans les prochains mois. Les données économiques en provenance de la zone euro signalent dans l’ensemble une amélioration. Les enquêtes de confiance nationales auprès des entreprises restent sensiblement au-dessus des moyennes historiques. L’enquête PMI dans la construction, les services, le commerce de détail affiche des niveaux très corrects.

La chute continue de la confiance et des commandes dans le secteur manufacturier interpelle, mais elle semble pour l’instant affecter principalement l’Allemagne. La production industrielle se redresse ailleurs depuis le début de l’année, probablement en raison de la faiblesse de l’euro.

D’un point de vue fondamental, il y a bien sûr des éléments qui pèsent actuellement sur la croissance, dont l’incertitude liée au Brexit ou la faiblesse du commerce chinois. Toutefois, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis semblent s’aplanir et l’activité en Chine se redresse. Combinée avec la faiblesse de l’euro, cela suggère que la contribution du commerce extérieur net de la zone euro sera beaucoup moins négative que l’an passé.

Plus fondamentalement, la croissance du pouvoir d’achat des ménages devrait être solide cette année, du fait de la baisse de l’inflation, attendue ce printemps autour de seulement 1 % ainsi que des mesures de relance budgétaire, en France avec le plan Macron de décembre dernier, mais aussi en Allemagne (détérioration du solde budgétaire positif de 1,6 % du PIB à 1 % cette année) et en Italie. Il est donc logique d’attendre que la consommation se redresse cette année. Les immatriculations de véhicules ou les ventes au détail suggèrent que c’est déjà le cas au premier trimestre.

Par ailleurs, la croissance du crédit ne montre pas de signes de ralentissement, au contraire, et les enquêtes sur l’investissement des entreprises montrent que les entreprises, assises sur une santé financière solide, ont besoin et désirent continuer à investir.

Ces éléments indiquent que l’activité économique devrait s’améliorer dans les prochains mois (à supposer bien sûr que le Royaume-Uni et l’Europe parviennent à négocier une sortie sans heurt). Si tel était le cas, la BCE pourrait alors se montrer plus rassurée et même revoir ses prévisions économiques à la hausse. Les rendements obligataires ne manqueraient pas de se redresser. Leur hausse resterait toutefois capée par la prudence maintenue des banques centrales en général et de la BCE en particulier, sachant qu’elle a fermé la porte à toute action cette année et qu’elle ne peut changer ce guidage sans nuire à sa crédibilité.

A l’automne, la BCE serait alors confrontée à un dilemme qui devrait toutefois l’empêcher d’ouvrir la porte à une hausse des taux imminente, dès début 2020. En effet, même si la conjoncture était favorable, la persistance d’un taux d’inflation faible, probablement sous la ligne des 1 %, loin de sa cible de 2 %, devrait la conduire à repousser à mars, voire juin 2020, le signal d’une éventuelle remontée des taux d’intérêt. La BCE a probablement raté en 2018 l’opportunité de remonter ses taux directeurs et s’est ainsi privée de marge de manœuvre pour affronter le prochain retournement économique, notamment lorsque les Etats-Unis, en reprise depuis plus de dix ans, fléchiront.

Mots clés OPA M&A
Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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