L'analyse de Michel Martinez

La BCE tarde trop à remonter ses taux d’intérêt

Publié le 13 avril 2018 à 18h35

Michel Martinez

La BCE devrait annoncer la fin de son programme d’achat de titres obligataires (QE) avant l’été. Ce programme se terminera en 2018. Il faudra probablement plusieurs années avant que les taux d’intérêt à court terme, aujourd’hui négatifs, se normalisent. A vouloir coûte que coûte maintenir une politique de taux extrêmement bas au motif que l’inflation, de l’ordre de 1,5 %, n’a pas encore atteint sa cible de 2 %, la BCE prend le risque de créer des bulles, notamment immobilières, d’ici trois ou quatre ans.

Le programme d’achat d’actifs (QE) de la BCE porte sur 30 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre. La porte reste ouverte à une prolongation de ce programme, jusqu’à ce que la BCE «observe un ajustement durable de l’évolution de l’inflation conforme à son objectif» de 2 %. L’inflation s’est établie à 1,4 % en mars et il est hasardeux de prévoir un retour durable de l’inflation autour de 2 %, sachant que la composante principale de l’inflation, l’inflation sous-jacente, reste désespérément autour de 1 % depuis cinq ans, que le prix du pétrole ne réagit que mollement aux tensions géopolitiques et que l’euro tend à s’apprécier du fait qu’il a longtemps été sous-évalué. La plupart des opérateurs de marché anticipent d’ailleurs que l’inflation ne dépassera pas 1,5 % en moyenne d’ici 2022. 

Les mêmes s’attendent néanmoins à une fin du programme de QE cette année. Nous nous attendons à ce que la BCE annonce en juin qu’elle réduira ses achats à 15 milliards d’euros par mois d’octobre à décembre et que ce sera là le point terminal de cette perfusion monétaire. Il y a probablement là un débat intense au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, à savoir décider et expliquer l’abandon de cet outil, et ce alors même que les perspectives d’inflation anticipées par le marché, voire celle de la BCE elle-même, restent aussi faibles. Les «faucons» considèrent probablement que cette bataille est celle qu’il faut gagner au plus vite, sachant que les décisions et la communication seront par la suite plus traditionnellement axées sur le niveau des taux directeurs et leur dépendance par rapport au cycle économique.

La BCE s’est engagée à ce que les taux directeurs «resteront à leurs niveaux actuels pendant une période prolongée, et bien au-delà» de la fin de son programme de QE. Dans notre esprit, cela suggère que la première remontée du taux de dépôt, aujourd’hui à - 0,40 %, aurait lieu six mois après la fin du QE, à savoir en juin 2019 (probablement relevé à - 0,20 %) ouvrant ainsi la voie à la fin de la politique de taux négatif au second semestre 2019. Autrement dit, les taux monétaires devraient rester encore proches de zéro au second semestre 2019. C’est une perspective lointaine.

De nombreux arguments plaident pour une remontée plus rapide des taux directeurs. Les enquêtes auprès des entreprises suggèrent que l’écart de production au potentiel (output gap) est désormais positif, voire assez largement positif. Les entreprises indiquent faire face à des contraintes limitant leur production et que celles-ci sont liées à la difficulté de trouver de la main-d’œuvre qualifiée ou bien à l’insuffisance d’équipement, après des années de sous-investissements. Le taux de chômage, à 8,6 %, reste élevé comparé aux Etats-Unis, mais il est probablement déjà proche de son niveau structurel, plus élevé en zone euro. Un output gap positif suggère qu’on se trouve déjà en haut du cycle économique et qu’il serait de bon ton de préparer des réserves, budgétaires et monétaires, pour faire face au prochain retournement économique. En moyenne, les déficits publics en zone euro sont de l’ordre de 1 %, ce qui suggère que la politique budgétaire pourra être activée si le besoin se fait sentir. On ne peut guère en dire autant de la politique monétaire.

Il est courant d’utiliser la règle dite de Taylor pour estimer quel devrait être le niveau des taux monétaires dans une telle situation. Nos outils indiquent que, à supposer que la croissance potentielle soit légèrement supérieure à 1,0 %, ces taux devraient être d’ores et déjà proches de 1,5 % et non à - 0,4 %. Cet écart sera probablement encore plus large à combler en 2019-2020. Autrement dit, la BCE est probablement très en retard dans le cycle économique.

Elle prend ainsi le risque de créer et d’alimenter des bulles des prix des actifs, susceptibles d’éclater dans quelques années. En moyenne, aujourd’hui, le ratio des prix immobiliers en nombre d’années de revenu est 6 % supérieur à sa moyenne historique et 6 % inférieur au pic de 2007. La BCE est certainement dans son droit de dire qu’aujourd’hui les bulles immobilières ne sont pas évidentes. Mais au rythme actuel des hausses, ce ne sera probablement plus le cas dans trois ou quatre ans… La BCE serait-elle en train de refaire la même erreur que la Fed de Greenspan au milieu des années 2000 ? 

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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