Qui flanchera le premier : la Fed ou la BCE ?

Publié le 29 janvier 2021 à 15h35

Philippe Brossard

L’appréciation récente de l’euro face au dollar ne semble pas correspondre aux explications traditionnelles de l’évolution des devises par les écarts de croissance économique : les Etats-Unis ont eu en 2020 et auront en 2021 une croissance supérieure à celle de la zone euro. De fin 2019 à fin juin 2021, nous estimons que cet écart de croissance pourrait atteindra 4 points de PIB, ce qui devrait faire monter le dollar.

Mais le dollar baisse, car le marché des changes semble se focaliser sur l’écart entre les politiques monétaires. Le pays qui pratique la politique monétaire la plus accommodante ou qui la prolongera pendant le plus longtemps, verra sa devise faiblir au profit du pays dont la politique monétaire est vue comme plus rigoureuse, ou amenée à devenir plus rigoureuse à court ou moyen terme. Ce sentiment peut être sous-tendu par plusieurs théories : 1/ une vision quantitative : si un pays « crée plus de monnaie » qu’un autre, sa devise, surabondante, va se déprécier ; 2/ ou encore une vision des écarts futurs d’inflation : si un pays a plus d’inflation qu’un autre, sa devise devra à terme baisser (« dévaluer ») pour compenser sa perte de compétitivité. Et la BCE paraît aujourd’hui être à la fois moins accommodante que la Fed et plus disposée qu’elle à sortir vite de sa politique courante.

Les marchés s’interrogent actuellement sur la date du début du resserrement monétaire américain, qui devrait commencer par un tapering (réduction progressive) des achats d’actifs par la Fed, qui se déroule actuellement à un rythme de 120 milliards de dollars par mois, et a déjà amené le bilan de l’institution à presque doubler depuis début 2020 ; mais ils restent dans l’ensemble convaincus par le discours de la Fed. Celle-ci répète inlassablement que cette réduction n’est pas à l’ordre du jour, redoutant que les marchés ne soient déstabilisés par cette perspective, comme en 2013 lorsque son président avait annoncé bien à l’avance une phase de réduction des achats d’actifs, déclenchant un épisode de « taper tantrum » qui hante encore les esprits.

Mais la BCE, d’une certaine façon, a déjà annoncé la réduction de ses achats d’actifs ou, du moins, c’est ce que comprennent les marchés. L’augmentation de 500 milliards d’euros des achats d’actifs, portant le programme d’achat lié à la pandémie (PEPP) à 1 850 milliards d’euros, venait à peine d’être annoncée, le 10 décembre dernier, que Christine Lagarde multipliait les déclarations pour préciser que l’Eurosystème ferait son possible pour ne pas dépenser toute l’enveloppe, qui devrait s’étaler jusqu’en mars 2022. Elle a par exemple annoncé lors de la conférence de presse du 21 janvier tout à la fois que les perspectives économiques ne s’étaient pas détériorées depuis décembre et que les « conditions monétaires » étaient accommodantes. Cela a pu paraître doublement optimiste, comme s’il s’agissait de donner tout le support possible à l’idée que l’enveloppe des 1 850 milliards d’euros ne serait pas consommée.

Là où la Fed a explicitement répété qu’elle voyait un risque à en faire trop peu plutôt que trop en matière monétaire (et budgétaire), la BCE semble principalement préoccupée par la crainte contraire. Cependant cet écart est peut-être plus apparent et transitoire que réel et durable. Par culture et par manque d’unanimité en son sein, la BCE est toujours plus lente que la Fed à former ou changer son diagnostic économique et à adapter son action. Mais les mesures de confinement en Allemagne risquent de faire reculer son PIB au 1er trimestre et la faiblesse boursière du secteur bancaire européen trahit un stress élevé dans les rouages du financement de l’économie, ce que la BCE devra finir par prendre en compte. Un de ses membres, le Néerlandais Klaas Knot, a d’ailleurs tout récemment cherché à combattre l’idée que la BCE était moins-disante que la Fed en matière monétaire, en déclarant que la limite basse des taux d’intérêt n’avait pas été atteinte en zone euro et qu’une baisse des taux était encore possible. Pour inverser la tendance à l’appréciation de l’euro, les déclarations de cette nature devront sans doute se multiplier.

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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