Le Brexit, poison lent

Publié le 1 février 2018 à 9h50

Wilfrid Galand

Malgré l’absence de fracas, le Brexit fragilise le Royaume-Uni, érode la confiance dans l’Union européenne et pourrait être le symbole du retour mortifère des égoïsmes nationaux.

Depuis le référendum du 23 juin 2016, le calme semble régner. Au Royaume-Uni, la majorité conservatrice est restée au pouvoir malgré des élections anticipées plus difficiles que prévu. Economiquement, la conjoncture s’est certes dégradée par rapport au continent, mais la récession tant redoutée n’a pas eu lieu.

Certes, les grandes banques internationales et certains fabricants automobiles s’interrogent de plus en plus ouvertement sur l’avenir de leurs investissements outre-Manche, mais, pour ce qui est des effets économiques concrets, seuls l’inflation, en progression en raison de la baisse de la livre, et le tassement des prix de l’immobilier à Londres sont venus rappeler que quelque chose se passait. En Europe continentale, les rangs se sont resserrés, et la défaite des eurosceptiques aux élections générales néerlandaises en mars 2017, puis l’élection d’Emmanuel Macron en mai ont semblé écarter tout risque de remise en cause de la construction européenne. Au niveau institutionnel, le processus suit son cours, les deux parties se sont accordées sur une «feuille de route» au sujet des conditions de séparation – y compris sur la délicate question de l’Irlande du Nord –, et l’aboutissement du Brexit est fixé à mars 2019, pour le début d’une phase de transition qui pourrait être de deux ans. Bref, une séparation civilisée. Tout est donc pour le mieux.

Pourtant, le Brexit est bien ce poison lent qui, dans l’ombre, fragilise et affaiblit. La Grande-Bretagne d’abord. Economiquement, les indicateurs avancés montrent que la situation se dégrade à mesure que les décisions d’investissement, en particulier en provenance de l’étranger, sont reportées en attendant une meilleure visibilité. Mais le point crucial est probablement le sujet nord-irlandais, qui élargit les lignes de fracture entre partisans d’un Brexit dur et partisans du maintien d’une relation étroite avec le reste du continent. En effet, la nécessité, précisée dans la feuille de route, de conserver, en Irlande du Nord, des règles «proches» de celles de l’Union pour éviter la réapparition d’une frontière entre les deux Irlande, impose de facto une solution comparable à l’accord entre la Norvège et l’Union européenne : le pays se conforme aux règles de l’Union, contribue à son budget, sans participer aux décisions. Nous sommes loin de la promesse de liberté et de grand large du 23 juin 2016. Faute d’arriver à ce type d’accord, ce pourrait être le retour d’une vraie frontière en Irlande et la remise en cause des accords du Vendredi saint de 1998 qui mirent fin à trente années de troubles parfois sanglants. On ne peut écarter alors une poussée de séparatisme en Irlande du Nord, désireuse de maintenir ses liens avec la République d’Irlande, ce qui, conjugué au retour des velléités séparatistes écossaises, voire galloises, mettrait en jeu l’avenir même du Royaume-Uni.

L’Union européenne n’est pas immunisée pour autant : sa puissance, son attractivité et sa crédibilité internationale s’affaibliront après le départ des Britanniques, qui fait tomber le tabou d’un exil volontaire (et non subi comme dans l’hypothèse grecque de 2015). Son unité aussi, déjà mise à mal par l’irrédentisme des pays du groupe de Visegrád, rassemblés autour de la Pologne, pourrait être fragilisée tout au long des négociations qui se profilent pour arriver à un accord de séparation, sans compter les dangers inhérents au processus de ratification de cet accord par les 27 pays – sans compter certains parlements régionaux. Le Brexit pourrait ainsi bien être, avec la présidence Trump, le symbole de la défaite du multilatéralisme, des murs qui se remontent face à la peur des échanges et à l’insécurité des peuples fragilisés par la crise. Bref, le symbole de l’effritement de ce ciment qui a longtemps été le socle de notre prospérité.

Wilfrid Galand directeur stratégiste ,  Montpensier Finance

Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance

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