Quelles caractéristiques pour devenir dirigeant?

Publié le 8 septembre 2017 à 16h45    Mis à jour le 11 septembre 2017 à 12h02

Edith Ginglinger

Quelles sont les caractéristiques qui amènent un individu à atteindre les plus hautes fonctions dans l’entreprise ? Et parmi elles, quelles sont celles qui conduisent aux meilleures performances ? De nombreuses études s’intéressent à ces questions. Par exemple, l’une d’entre elles[1] examine un échantillon de candidats à des postes de dirigeant de firmes qui viennent d’être acquises par des sociétés de capital-risque, soumis à cette occasion à une batterie de tests. Les caractéristiques sont classées en cinq catégories : leadership, personnalité (intégrité, engagement, organisé…), cognitives, motivation, interpersonnelles. Ces caractéristiques sont associées aux performances ultérieures des firmes dirigées. Les résultats montrent que les performances des dirigeants sont croissantes avec l’estimation moyenne de l’ensemble des qualités mesurées, en particulier le leadership, l’efficacité, l’organisation et la détermination, tandis que les qualités d’empathie apparaissent moins déterminantes. Ces qualités de dirigeant sont-elles innées ou acquises au fil des expériences professionnelles ? Plusieurs études récentes ont examiné cette question à partir de données disponibles en Suède[2]. Elles utilisent les informations résultant des tests menés à l’âge de 18 ans dans le cadre du service militaire obligatoire jusqu’en 2010 en Suède et leur base de données comporte la quasi-totalité des hommes suédois. Les informations disponibles concernent les capacités cognitives (raisonnement, compréhension verbale et technique, capacité spatiale…) et les capacités non cognitives (maturité sociale, stabilité émotionnelle, énergie mentale…).

Une première étude s’intéresse à l’impact du rang de naissance sur la probabilité de devenir cadre dirigeant. Elle montre que cette probabilité est de 30 % supérieure pour les aînés, et que l’effet est directement lié aux capacités non cognitives, qui sont plus développées pour ceux-ci. Les auteurs expliquent ce résultat par un surinvestissement des parents, en temps et en attention, pour leur aîné, associé à une éducation plus stricte.

Une deuxième étude utilisant les mêmes données compare les caractéristiques des hommes devenus dirigeants (au nombre de 26 000) à l’ensemble de la population masculine (données disponibles pour 1,3 millions d’observations), mais également à d’autres métiers qualifiés tels que médecins, juristes ou ingénieurs. La population des futurs dirigeants est caractérisée par des capacités cognitives et non cognitives supérieures à celles de la population générale, l’écart étant croissant avec la taille de l’entreprise dirigée. Par exemple, les capacités cognitives sont de 5.15 pour la population générale, de 6.02 pour des dirigeants d’entreprise dont l’actif est de moins de 10 millions d’euros et de 7.16 pour ceux qui sont à la tête d’entreprises de plus d’un milliard d’actifs. Ces capacités cognitives des dirigeants des plus grandes firmes sont comparables à celles des médecins et des ingénieurs. Les dirigeants se distinguent surtout par leurs capacités non cognitives. De 5.09 pour la population dans son ensemble, elles passent à 6.14 pour les dirigeants des plus petites firmes et à 7.36 pour les dirigeants des grandes firmes. Dans ce dernier cas, ces capacités sont très supérieures à celles de tous les individus qui exerceront d’autres métiers qualifiés. L’étude compare ensuite les firmes familiales aux firmes non familiales. Toutes choses égales par ailleurs et notamment à taille comparable, les firmes familiales ont des dirigeants dont les capacités à la fois cognitives et non cognitives sont inférieures à celles des dirigeants des autres entreprises, et c’est plus particulièrement le cas des dirigeants héritiers de la famille qui se distinguent par des capacités non cognitives plus faibles (5.90 comparé à 6.35 pour tous les dirigeants de firmes non familiales). Ces différences peuvent expliquer les résultats de certaines études montrant que les firmes gérées par des dirigeants de la deuxième ou troisième génération familiale peuvent conduire à des performances plus faibles pour l’entreprise[3]. A l’âge de 18 ans, les futurs dirigeants, même de très grandes firmes, ont des capacités importantes, mais pas exceptionnelles : le dirigeant médian d’une très grande firme fait partie des 5 % d’individus les plus capables. Les expériences professionnelles ultérieures sont donc déterminantes, d’où l’importance de les offrir aux jeunes les plus talentueux.

 

[1] Kaplan, S.N., Klebanov, M.M. and Sorensen, M., «Which CEO Characteristics and Abilities Matter?», The Journal of Finance, 67: 973-1007, 2012.

[2] Black, S.E., Grönqvist, E., Öckert, B., «Born to Lead? The Effect of Birth Order on Non-Cognitive Abilities», The Review of Economics and Statistics, 2017.

Adams, R.B. and Keloharju, M. and Knüpfer, S., «Are CEOs Born Leaders? Lessons from Traits of a Million Individuals», available at SSRN: ssrn.com/abstract=2436765, 2016.

[3] Pérez-González, F., «Inherited Control and Firm Performance», American Economic Review, 96(5), 1559-1588, 2006.

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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