Démolir et bâtir

Publié le 22 juin 2018 à 16h39

Isabelle Job Bazille

Alors que Donald Trump s’emploie à démolir l’ordre mondial d’après-guerre, Xi Jinping s’emploie, lui, à bâtir l’ordre mondial de demain.

Le rôle central des Etats-Unis dans la fondation et le fonctionnement des institutions internationales leur a assuré une influence politique et économique déterminante dans le monde d’après-guerre. Avec l’effondrement de l’empire soviétique, le modèle américain fondé sur la démocratie et le capitalisme libéral a triomphé des autres idéologies politiques. Du statut de superpuissance d’après-guerre, les Etats-Unis se sont alors hissés au rang d’hyperpuissance dans un monde devenu unipolaire. L’universalisation de la démocratie libérale, de la mondialisation et du libre-échange, la suprématie du dollar, l’américanisation des modes de vie et des cultures témoignent du caractère multidimensionnel de la domination américaine qui n’est pas seulement une puissance militaire.

Ce monde-là centré sur les Etats-Unis et au service de leurs intérêts est en train de se défaire sous nos yeux par la volonté même de la puissance qui l’a bâti. Fossoyeur du multilatéralisme, le président Trump démantèle de manière systématique les instruments de la puissance américaine. Avec son slogan «L’Amérique d’abord», D. Trump prône à l’intérieur un nationalisme de repli et agite la menace protectionniste face à une mondialisation jugée hors de contrôle et déloyale. A l’extérieur, l’administration Trump tourne systématiquement le dos à la coopération internationale (retrait de l’accord de Paris sur le climat, dénonciation de l’accord sur le nucléaire iranien, sortie de l’Unesco…) et s’enferme dans une logique isolationniste.

La fin du leadership sans partage des Etats-Unis coïncide avec l’ascension d’une puissance rivale en devenir, la Chine.

La Chine, convertie à l’économie «socialiste» de marché, est devenue en moins d’un demi-siècle la deuxième puissance économique mondiale. L’ouverture économique, à l’origine du miracle chinois, ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation du régime politique qui reste sous monopole du Parti communiste chinois (PCC). Lors du 19e congrès du PCC, la Chine, par la voix de son tout-puissant secrétaire général, Xi Jinping, n’a pas caché son ambition de devenir une puissance de premier rang, moderne, innovante et prospère, capable de jouxter, voire de supplanter, les Etats-Unis d’ici à horizon 2049, date du centenaire de la République populaire de Chine.

À l’extérieur, le lancement des nouvelles «routes de la soie» (One Belt One Road, OBOR) par Xi Jinping en 2013 marque aussi la volonté de la Chine de rayonner hors de ses frontières en proposant un nouveau modèle de relations internationales et de gouvernance mondiale fondé sur la coopération gagnant-gagnant.

Ce projet titanesque visant à interconnecter le continent eurasiatique via six corridors économiques terrestres et une route maritime nécessite des milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures de transport et de logistique et les réseaux de télécommunication. L’objectif consiste à mettre en synergie la stratégie de développement de la Chine, devenue apôtre du libre-échange, et celle de nombreux pays en stimulant les investissements et le commerce. Pour la Chine, le défi est économique avec la volonté de poursuivre l’internationalisation des entreprises chinoises, de trouver de nouveaux débouchés, d’exporter les surcapacités industrielles, de favoriser la montée en gamme de son industrie, et de désenclaver les provinces intérieures en les ouvrant au commerce pour réduire les inégalités socio-spatiales. Ce rééquilibrage entre les provinces chinoises reste d’ailleurs un impératif de sécurité et de stabilité intérieures. L’enjeu est également géostratégique avec la nécessité de sécuriser les sources d’approvisionnement énergétiques et en matières premières en Asie centrale notamment, et de diversifier les routes de transit pour éviter le détroit de Malacca et un risque de blocus. Enfin, cette «diplomatie des infrastructures», qui soigne l’image d’une puissance douce et bienveillante, est un moyen d’affirmer le «soft power» chinois. Avec cette stratégie de séduction, la Chine entend bien influencer les règles du jeu internationales, ses standards, ses normes, et pourquoi pas redessiner un ordre mondial plus sino-centré au service de ses intérêts nationaux.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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