La force tranquille du cycle

Publié le 5 janvier 2018 à 16h07    Mis à jour le 5 janvier 2018 à 17h46

Isabelle Job Bazille

En 2017, la croissance mondiale a connu une réelle embellie, avec une accélération graduelle des rythmes d’activité à la fois dans les économies avancées et dans les pays émergents. Sauf accident, cette tendance devrait se poursuivre en 2018.

Les Etats-Unis vont entrer dans leur neuvième année d’expansion économique, un cycle qui paraît atypique de par sa longévité mais aussi de par sa lenteur. Les cicatrices profondes et durables laissées par la grande crise auxquelles viennent se greffer des transformations structurelles, avec la mondialisation et l’accélération du progrès technique, façonnent ce nouveau monde de croissance faible sans inflation. Et rien à ce stade ne laisse présager d’un ralentissement. Au contraire, la réforme fiscale adoptée par le Congrès fin 2017 qui ramène notamment le taux d’imposition des sociétés de 35 % à 21 % devrait donner un coup de pouce à l’investissement, à supposer que les entreprises ne profitent pas de ces allégements fiscaux pour distribuer surtout plus de dividendes ou pour augmenter leur programme de rachat d’actions. Il faudra aussi compter sur le consommateur américain. Il y a certes peu à attendre des baisses d’impôts à destination des particuliers, lesquelles se concentrent sur les hauts salaires dont la propension à consommer est la plus faible. Mais, forts d’une situation financière assainie et vu la bonne tenue anticipée du marché du travail, génératrice à terme de pressions haussières (même graduelles) sur les salaires, les ménages devraient continuer à dépenser. Au total, la croissance devrait légèrement accélérer à 2,4 % en 2018.

La zone euro, longtemps à la traîne, voit sa croissance gagner en vigueur et en autonomie avec un enchaînement vertueux entre les créations d’emplois, la génération de revenu et la consommation. Aucune raison endogène ne paraît pouvoir interrompre ce cycle de reprise, le redémarrage de l’investissement étant gage de sa pérennité. La convergence du cycle entre les pays membres permet aussi de redynamiser les échanges intrarégionaux dans une zone commercialement très intégrée, de quoi générer des effets d’entraînement positifs. Toutes les conditions semblent réunies pour maintenir un rythme de croissance solide, supérieur à 2 % ces deux prochaines années. L’environnement paraît dès lors propice pour que l’Union, mise à rude épreuve ces dernières années, puisse s’atteler à sa refondation afin de répondre au sentiment d’insécurité, économique et sociale, d’une majorité de la population inquiète face aux enjeux de la mondialisation et de la révolution numérique. La fenêtre d’opportunité est étroite : après une année 2017 sous haute tension, le calendrier électoral est clairsemé avec en seul point d’orgue les élections italiennes au printemps et le risque d’absence de majorité claire au Parlement. Sans ce renouveau institutionnel allant dans le sens d’une plus forte intégration (même à petits pas), la reprise du cycle électoral en 2019 avec le scrutin européen menace de faire ressurgir le risque politique.

Ailleurs, la remontée du prix des matières premières et le raffermissement de la demande mondiale vont continuer de soutenir la croissance des pays émergents avec, notamment, une reprise en pente douce en Russie et au Brésil. Le ralentissement chinois paraît, quant à lui, sous contrôle même si cela se fait au prix d’une montée de l’endettement. Cela dit, cette dette étant libellée en monnaie locale et détenue en majorité par les épargnants chinois, la nécessité du désendettement est moins pressante et gérable dans la durée.

Ce régime de croisière à basse inflation permet aux banques centrales d’envisager sereinement la normalisation graduelle de leur politique avec un resserrement prudent aux Etats-Unis et une fin progressive de l’assouplissement en zone euro.

Ces politiques toujours très accommodantes donnent du carburant aux marchés car si l’inflation a déserté la sphère réelle, les enjeux se sont déplacés vers la sphère financière. Dans un environnement de taux sans risque extrêmement bas, la recherche de rendement a poussé nombre de segments de marchés à la surchauffe : les Bourses américaines sont jugées excessivement chères tandis que la forte compression des primes de risque sur les actifs de diversification, obligations d’entreprises ou émergentes, font craindre la formation de bulles. La probabilité de retournement violent des marchés sur fond de réappréciation brutale des risques augmente alors que les incertitudes demeurent. Les risques géopolitiques n’ont pas disparu avec des foyers de tensions en Asie, Corée du Nord et mer de Chine, et au Moyen-Orient avec un leadership régional disputé entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Sur le front économique, le risque pourrait venir des Etats-Unis si, avec le stimulus budgétaire, l’inflation refait plus rapidement surface et oblige la Fed à accélérer le rythme de normalisation monétaire, provoquant un choc de taux difficilement tolérable pour les marchés.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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