A chacun ses ciseaux ?

Publié le 28 septembre 2018 à 16h43

Patrick Hubert

Il y a quelques mois (citer le n° du journal), je vous parlais des ciseaux de Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, dont Google devait se méfier car la Commission européenne dispose du pouvoir de découper en morceaux une entreprise qui enfreint le droit de la concurrence. Voici maintenant que le Parlement français autorise le gouvernement à doter l’Autorité française de concurrence, par simple ordonnance, de pouvoirs comparables, et cela dans l’indifférence générale. Il est vrai que l’habilitation a été introduite par un amendement furtif qui ne parle même pas de la mesure ; toutefois, celle-ci est prévue par une directive (non encore adoptée !) qu’il s’agit de transposer.

Or c’est une punition autrement terrifiante qu’une amende : elle porte atteinte au droit de propriété et peut bouleverser la stratégie d’une entreprise. Et la mesure pourrait sanctionner de simples ententes, pas seulement les abus d’un dominant.

A vrai dire, même pour Google, la Commission n’a jamais osé s’en servir : serait-ce une arme de dissuasion ayant vocation à ne jamais sortir de son silo ? Il n’est pas certain que l’Autorité française sera aussi timide. En fait, elle dispose depuis longtemps d’une version dégradée de l’engin : elle ne peut pour le moment adresser une « injonction structurelle » (appellation jargonnante de la sanction en question) qu’à une entreprise qui a abusé de sa position dominante, et seulement si cette dernière résulte d’une concentration. L’Autorité a déjà utilisé ce pouvoir, mais à une époque où ses injonctions devaient être mises en œuvre par le ministre de l’Economie, et la mesure est restée lettre morte.

Il faut reconnaître que recourir à une telle arme n’est pas nécessairement absurde quand une entreprise dominante enfreint sans cesse la loi alors qu’il suffirait de séparer deux de ses activités pour que cela cesse. Mais au niveau européen, la réglementation n’autorise la Commission à le faire que si aucune autre mesure moins bouleversante n’est à sa portée. Il serait bon que le futur texte français comporte au moins cette restriction. Comme il s’agira d’une ordonnance, texte furtif s’il en est, les entreprises seraient bien inspirées de veiller à ce que ses pouvoirs soient dûment encadrés.

Patrick Hubert

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