L'analyse de Patrick Hubert

Droit de la concurrence et M&A : l’autre piège

Publié le 7 juin 2019 à 11h58    Mis à jour le 7 juin 2019 à 16h33

Patrick Hubert

Malgré l’excitation que suscitent les interdictions prononcées par la Commission européenne, il s’agit d’un obstacle très rare dans la vie quotidienne des fusions et acquisitions. Mais c’est le sujet sur lequel les pouvoirs publics aiment à s’exprimer, comme Bruno Le Maire vient encore de le faire à l’OCDE après la remise du rapport de l’Inspection des finances comportant des propositions, guère flamboyantes à vrai dire, de réforme du contrôle des concentrations européen. Dans le cas général, les difficultés provoquées par le droit de la concurrence sont ailleurs.

Elles sont au nombre de trois.

La première difficulté est le risque dit de «gun jumping» qui consiste pour l’acheteur à obtenir des informations sensibles sur la cible, voire à commencer à piloter sa gestion avant le «closing» de l’opération. Les amendes prononcées sont énormes et les solutions restent fragiles. Le principal problème réside dans la nécessité pour l’acheteur de connaître la cible tout en n’ayant pas le droit d’accéder à ses données commerciales précises. Les pratiques de place (les fameuses clean teams qui ont accès à des data room sensibles après avoir signé des engagements ou la pratique consistant à ne donner accès à certaines données qu’aux conseils extérieurs) sont à la fois délicates à gérer et frustrantes pour les décideurs, sans qu’on soit certain – c’est un comble – qu’elles sont approuvées par les autorités.

Deuxième difficulté, la nécessité de devoir notifier le projet à des autorités parfois très nombreuses dans le monde. Cela crée des incertitudes juridiques (dans bien des pays, la règle n’est pas claire ou encore on a l’impression d’un travail inutile si les parties au projet n’ont pas d’activité locale significative), engendre des coûts et complique les calendriers, car toutes ces autorités ont des règles et des rythmes différents. Ni les gouvernements ni les organisations internationales comme l’OMC (depuis une tentative avortée il y a une vingtaine d’années) ne s’en préoccupent.

Troisième difficulté, la plupart des rapprochements un peu délicats du point de vue de la concurrence n’encourent pas l’interdiction mais supposent de proposer aux autorités de céder une partie des actifs à des tiers. Ce sont les fameux «engagements». Qu’ils soient difficiles à anticiper et à négocier avec les autorités est dans la nature des choses : il n’y a rien de choquant à ce qu’une fusion entre concurrents entraîne quelques difficultés. Mais il est moins facile d’admettre tout ce qui va avec : délais de cession très tendus, nécessité de gérer provisoirement les actifs à revendre de façon indépendante, fréquente obligation de proposer immédiatement un acheteur, surveillance étroite par un «trustee». Le rapport de l’Inspection des finances propose de recourir plutôt à des engagements de comportements qui seraient surveillés et qui pourraient évoluer. C’est une solution qui a longtemps été pratiquée par l’autorité française de concurrence mais qui se révèle difficile à gérer : sanctions pour non-respect d’engagements complexes, nouvelles procédures pour les faire évoluer.

Peut-être est-ce un remède pire que le mal ?

Tout cela gêne bien plus la création de groupes puissants que les rarissimes interdictions. Mais, du côté politique, silence. C’est sans doute trop compliqué…

Patrick Hubert

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