Siemens-Alstom : une crise en vue ?

Publié le 1 février 2019 à 15h17    Mis à jour le 1 février 2019 à 16h36

Patrick Hubert

La Commission européenne n’a pas encore pris de décision sur le rapprochement entre Siemens et Alstom, mais l’on sait déjà que ce projet a mis le droit de la concurrence au cœur des débats politiques.

Que Bruno Le Maire affirme que «le droit de la concurrence européen est obsolète» n’est pas surprenant : la France soutient depuis toujours que le droit de la concurrence ne doit pas empêcher la création de champions nationaux ou, maintenant que l’on est plus réaliste, de champions européens.

Que le gouvernement allemand soutienne la même thèse est plus étonnant, la tradition allemande s’opposant sur plusieurs points à la fameuse «politique industrielle» française.

D’abord, pour l’Allemagne, une structure de marché comportant plusieurs concurrents est fondamentale, pour des raisons économiques (l’industrie allemande des voitures premium n’a-t-elle pas connu le succès à cause, et non pas en dépit, de la concurrence que se livrent ses constructeurs ?) mais aussi politiques (les géants sans contrepoids sont dangereux). Ensuite, la vision allemande de l’économie consiste à créer des règles du jeu abstraites puis à laisser les entreprises libres de leur stratégie pourvu qu’elles les respectent, ce qui est l’exact opposé de l’idéal français, une politique industrielle animée discrétionnairement par un gouvernement.

Le revirement allemand relèverait-il du simple cynisme ? Non, cela est plus profond : dans un monde où les règles du jeu ne sont guère respectées, l’Allemagne prend conscience que l’Europe ne peut pas rester naïve ; en témoigne la récente mise en place outre-Rhin d’un contrôle des investissements étrangers visant notamment à protéger l’industrie nationale contre les acquisitions chinoises.

Mais on aurait tort d’en déduire que l’Allemagne s’est simplement rapprochée de la France : les réticences de la société face à une concentration qui ferait disparaître presque toute concurrence y sont fortes ; la toute-puissante autorité allemande de la concurrence vient de publier sa propre position (sans portée contraignante), très opposée au rapprochement des deux champions du ferroviaire.

Plusieurs gouvernements européens ont manifesté leurs craintes face à la fusion et, donc, leur attachement à la politique de concurrence traditionnelle : il paraît difficile de changer radicalement les règles du jeu.

C’est pourquoi une voie de progrès plus discrète, à droit constant, mériterait peut-être l’attention.

Patrick Hubert

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