Vers le retour du contrôle des prix ?

Publié le 19 octobre 2018 à 14h59

Patrick Hubert

Les lecteurs les plus âgés se souviennent de l’époque où des fonctionnaires du ministère des Finances fixaient le prix de la baguette (et de tout ce qui se vendait). C’est ainsi que la France luttait contre l’inflation, sans grand succès car lesdits fonctionnaires ne savaient pas bien sur quoi fonder leurs décisions. Une ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix a mis fin à ce régime. Elle reposait sur une idée simple : faire régner la concurrence (en créant une autorité dotée de forts pouvoirs de sanction) empêcherait les prix de monter ; dès lors, ils pouvaient devenir libres. Et cela a marché, même si certains attribuent plutôt la fin de l’inflation aux banques centrales plus restrictives ou aux bas coûts de l’industrie chinoise.

Il est dès lors étonnant que, le 20 septembre dernier, par une décision passée inaperçue, l’Autorité de la concurrence se soit mise elle-même à contrôler les prix. Elle a en effet considéré qu’une société qui gérait des déchets liés aux activités de soins à risque infectieux en Corse avait trop augmenté ses tarifs, et lui a infligé une amende. L’Autorité, ou la Commission européenne sa grande sœur, peut-elle donc juger quel est le juste prix et punir les entreprises qui ne le pratiqueraient pas ? Comme les prix déterminent les revenus qui déterminent les profits, cette révolution peut inquiéter.

En fait, la décision s’explique par la position de marché de la société sanctionnée : elle n’avait pas de rivaux et, sans concurrence, ses prix n’étaient soumis à aucune contrainte. L’Autorité en a déduit que trop les augmenter constituait un abus. Le champ de cette innovation est donc limité mais ce n’est pas si rassurant.

D’une part, beaucoup plus d’entreprises qu’on le pense ont une forte position de marché : ce type de contrôle pourrait s’étendre non seulement à tous les monopoles mais aussi à toutes les entreprises simplement puissantes sur leurs marchés. En effet, les pouvoirs dont l’Autorité a usé ne dépendent que de l’existence d’une «position dominante», pas d’un monopole. D’autre part, la lecture de la décision ne permet pas de comprendre comment l’Autorité distingue une hausse abusive d’une hausse normale ; les prix avaient beaucoup augmenté, c’est vrai (de 19 % à 194 % sur un an) mais la décision ne dit pas par rapport à quoi. L’Autorité veut faire peur mais, en ne fournissant pas de guide méthodologique, elle laisse les entreprises livrées à elles-mêmes.

Jusqu’à présent, l’Autorité veillait seulement à ce que les entreprises dominantes n’empêchent pas la concurrence d’émerger : elle punissait les actions qu’elles menaient contre leurs petits concurrents actuels ou potentiels. Il semble que, désormais, dans la ligne il est vrai de nombreuses réflexions qui se développent dans le monde autour de cette idée, elle considère qu’elle doit aussi faire quelque chose quand une entreprise se borne à profiter de sa position dominante, sans porter atteinte à des concurrents.

Ce n’est évidemment pas un simple retour en arrière : la répression concurrentielle instituée en 1986 est toujours là, merci pour elle ; ce n’est «que» la liberté des prix qui était sa contrepartie qui pourrait reculer.

Patrick Hubert

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